La guerre est déclarée

par Rage
jeudi 20 septembre 2007

Nicolas Sarkozy l’avait annoncé, mon dernier article « la société du tous contre tous » l’avait analysé, cette fois-ci le chef de l’Etat déclare la guerre aux systèmes solidaires ou collectifs : que l’argent soit roi, et que chacun se débrouille avec !

A l’image de B. Kouchner ou de B. Hortefeux, le gouvernement veut déclarer la guerre au monde entier, à tous les excès apparents, à tous les acquis sociaux, à tous les fonctionnaires, à tous les étrangers après une séance de passage de pommade et de discours sans ambiguïté : il va falloir se serrer la ceinture et admettre un durcissement de la société.

Nous avons tous regardé en ce sens, pour casser l’avantage du voisin, mais pour quels résultats, pour quels changements de fond ? La stratégie superficielle de réaction aux conséquences menée avec fracas par le gouvernement actuel ne doit pas masquer le fond du décor : on nous annonce un régime de vache maigre pour mieux rémunérer les erreurs du passé et les gabegies d’aujourd’hui.

En effet, qu’on ne s’y trompe pas, la France n’est pas aussi embourbée qu’il n’y paraît, mais les gouvernements successifs s’attèlent méthodiquement à faire en sorte de renverser toutes les mécaniques de redistribution, à modifier toutes les règles du jeu et finalement à sceller une société inégale à la racine du fronton de nos mairies. Les dernières dispositions de Mme Pécresse, derrière les discours de louanges, sont tout à fait caractéristiques : dorénavant les bourses ne seront plus attribuées aux handicapés ni à ceux qui vivent loin de chez eux, mais aux familles nombreuses et à ceux qui jouent au « Sudoku » de l’impôt gruyère sur le revenu.

Et la FAGE - qui ne sait pas lire entre les lignes- succombent aux 18 € de bonus par mois qu’on lui lance comme cacahuète : Amen.

Sur le fond, évidemment, rien ne change et c’est même de pire en pire.

En oubliant ce que nous sommes et d’où nous venons, en refusant de reconnaître les excès du passé, nous avons laissé une porte béante à l’excès inverse, celui qui a pour seul et unique but de restaurer une société féodale où la majeure parti des citoyens travaillera pour que d’autres puissent jouir de privilèges.

A l’image de la dette que l’on nous vend comme fardeau pour les générations futures, il serait plus juste de dire que cette dette sera le fardeau des générations qui paieront pour que les enfants des plus riches puissent s’enrichir de leurs bons du Trésor et autres bons d’emprunts de l’Etat.

Pendant que l’on nous vend une société du tous contre tous, où l’on croit à tord que 2 000€/mois c’est plutôt pas mal, d’autres mobilisent en 10 jours ce que certains à ce niveau-là de salaire gagnent en une vie : laissez donc jouer la plèbe pendant que l’on s’occupe des vraies affaires...

Hier avec les régimes de retraite, aujourd’hui avec la fonction publique, demain avec l’immigration, cette politique est une politique de dogmes et de grande confusion : on cherche à mettre dans le même sac - en prenant bien soin de sortir le cas des amis - des situations bien différentes et des héritages d’une histoire longue et tumultueuse.

Dans le cas de la fonction publique, et j’ai honte pour mes collègues de l’IRA qui n’ont pas eu l’once de cran de dire à ce président ce que tout le monde pense tout bas, ce n’est pas avec une vision stérilisante et suffisante que l’on fera avancer structurellement les défaillances de la fonction publique, ou plutôt des fonctions publiques.

En effet, il n’existe pas une, mais trois fonctions publiques, toutes trois très différentes du recrutement aux retraites en passant par les conditions de travail.

Dans la fonction publique qui est la mienne, la « FPT » ou Fonction publique territoriale, tout le discours de M. Sarkozy ressemble à une vieux plat indigeste resservi avec rancœur et sans aucune connaissance de terrain :

- Les emplois privés ? Ils existent déjà : ces CDD dont on se sert pour combler les trous ou bien pour placer un proche politique. Certains deviendront même CDI au bout de six ans.

Dans le premier cas, une bonne rustine. Dans le second, un excellent moyen de payer deux fois plus cher un « proche » qu’un fonctionnaire tout aussi compétent si ce n’est plus.

- Le mérite ? Avec quels critères lorsque l’on a pour mission de mettre en œuvre des politiques publiques et donc de suivre ce qui est voté par l’assemblée délibérante ? Quelles marges de manœuvre, qui plus est dans une hiérarchie féodale et dans un système ou le management des personnes est défaillant ?

On confond reconnaissance de l’investissement des agents avec gestion d’entreprise, ce qui est très complexe à mettre en œuvre lorsque l’on a pas, comme dans le privé, des objectifs quantitatifs et des comptes de résultats clairs comme objectifs.

Devra-t-on condamner les agents de petites collectivités à avoir de petits salaires parce que leurs élus n’ont aucune ambition et/ou marge de manœuvre ?

- La suppression des concours ? Le concours est sans doute la voie d’accès la moins injuste et la plus « longue » pour accéder au sacro-saint statut : comment des lauréats doivent-ils considérer la liquidation d’un concours pour lequel ils ont souvent consacrés une année de préparation et des heures de pression si ce n’est autrement que par la mise à la poubelle de leur mérite ? Quant au fait de voir arriver une nuée de contractuels, il faudrait déjà avoir un minimum de retour sur la condition des CDD de droit public en collectivité... et ce n’est pas dit que ce soit la panacée...

- Les heures supplémentaires ? Encore plus fort ! Si l’administration venait à payer l’ensemble des heures supplémentaires réalisées, cela ferait déjà longtemps qu’elle aurait fait faillite ! Du DGS à 70 h/semaine au chef de service en passant par bon nombre de chargés de mission, rares sont ceux qui se bornent uniquement à leur durée de base de travail. Bien sûr, il y a les régimes avantageux de congés et les placardisés dénoncés par J.P. Pernod : mais cela n’est qu’une frange de la réalité... On trouve la même chose dans les grandes entreprises privées.

- Les rémunérations ? Il faut là aussi distinguer les choses, entre les catégories C qui plafonnent à 1 300 € en fin de carrière, sur 12 mois, sans participation ni prime de départ, aux agents de catégorie A déjà plus garnis mais dans bien des cas sous-évalués aux rémunérations du privé : si l’ensemble des cadres A négociait de « gré à gré », non seulement on pourrait distinguer de graves distorsions de salaires suivant le rapport de force au moment de l’entretien avec la RH, ou pire, avec le maire, mais en plus on aurait une élévation immédiate d’environ 80 % des rémunérations.

Un ingénieur gagne en « statutaire » 1 567 € en début de carrière. Il complète cette rémunération par un « régime indemnitaire » variable suivant la collectivité pouvant aller de 0 € à 1/3 de sa rémunération : cette situation peut sembler intéressante, mais elle constitue le haut du panier et se décline au mieux sur 13 mois.

Le même ingénieur, dans le privé, pourrait en milieu de carrière espérer deux fois plus que ce que lui propose le public : son statut est donc la contre-partie à cette rémunération plus limitée.

- Le statut ? Cœur de la déclaration de guerre, le statut des fonctionnaires n’a pas été inventé pour se faire plaisir : la neutralité et surtout l’intégrité des agents ne peut s’accompagner que de droits et de devoirs concrétisés dans le statut des fonctionnaires. Si des contractuels assurent un service public, ils ne sont pas majoritaires, ce qui permet de conserver en permanence un « noyau dur » de fonctionnaires qui assurent la continuité du service.

Cette neutralité est une protection face aux élus, par rapport aux relations tendues qui peuvent exister dans l’urgence ou du point de vu politique.

Par ailleurs, le statut est accompagné de devoirs, comme le fameux devoir de réserve : si l’on venait à supprimer le statut des fonctionnaires, alors il faudrait s’attendre à ce que ces derniers puissent enfin avoir le « droit d’ouvrir leur gueule ».

Et dans ce cas précis, si certains venaient à parler, cela ferait très, très mal.

Car n’en doutons pas, sur le terrain, nous voyons parfaitement les difficultés de la fonction publique, à tous les niveaux, et surtout à son sommet :

- prolifération du politique et décisions contre-nature ;

- sédimentation des lois et impossibles applications de la moitié des décrets ;

- superposition des échelons et interférences de compétences ;

- défaillance du management des ressources humaines ;

- positionnement scandaleux de « parachutés politiques » aux postes-clés et souvent à des rémunérations supérieurs à 5 000 €/net/mois, c’est-à-dire le niveau d’un ingénieur chef en fin de carrière (le top) ;

- absence de définition d’objectifs clairs, complexité et paperasses obligatoires ;

- hiérarchie féodale ou ultra délégataire sans management opérationnel des compétences ;

- démotivation à la racine (affectation) ou à la pratique (déresponsabilisation) ;

- sous-rémunération des basses catégories et des agents de petites structures alors qu’à l’inverse les rémunérations des collaborateurs de cabinet explosent ;

- faible valeur d’un point indiciaire non annexé sur l’inflation ;

- explosion des recrutements dû à des compétences croisées et à des luttes de pouvoir.

La liste pourrait être longue Monsieur le Président et elle serait sans doute une bonne base de travail pour faire évoluer la situation. Mais vous n’êtes pas prêt à cela, puisque ce n’est pas la réforme qui vous préoccupe, mais le fait de saborder un peu plus les garants de l’intérêt général au profit des intérêts particuliers.

Cette doctrine de l’argent comme seul régulateur n’a de sens que s’il existe des règles du jeu rationnelles et contrôlées. Mais ces règles n’existent pas, et leur absence profite à ceux qui n’ont pas de scrupules et considèrent plus l’Etat comme une bête à piller plutôt que comme l’instance garante de l’intérêt général à laquelle il faut contribuer.

Vos déclarations de guerre sur la superficialité des choses drainent les esprits revanchards qui n’ont pas idée du fond des choses et en restent aux idées reçues. La croyance aveugle dans l’entreprise toute-puissante, dans le culte de l’élitisme et dans le rejet de toute contradiction constituent le socle idéologique d’une politique qui recherche les boucs émissaires dans toute circonstance sans faire la part des choses et sans s’attaquer au fond.

Les Français ne voient pas aujourd’hui qu’ils sont en train de déconstruire les forces de leur système sans pour autant s’attaquer aux problèmes structurels qui minent la croissance. Beaucoup se congratulent aux effets d’annonce, mais peu constate d’effectifs changements rationnels dans leur quotidien (autres que les bénéficiaires du paquet fiscal bien entendu) : je pense que les déclarations à l’emporte-pièce, congratulant puis assassinant, sont à l’image de celles du gouvernement « d’ouverture » et d’opportunistes, non seulement dangereuse pour l’avenir de notre pays, mais aussi pour les valeurs que nous représentons à l’international.

France, orgueilleuse et généreuse, tu n’es bonne qu’avec tes ennemis. Victor Hugo


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