La haine de l’ultra-droite française contre le peuple ukrainien et le crépuscule de la « dissidence »

par Florian Mazé
lundi 28 février 2022

Je suis – et ce n’est un secret pour personne – de sensibilité nationaliste, populiste et conservatrice. Pour autant, le patriotisme français, si légitime soit-il, n’autorise personne à écrire de dangereuses bêtises anti-ukrainiennes.

Il y a beaucoup de paradoxe à se réjouir de l’envahissement de l’Ukraine et de la prise possible de Kiev par un pays étranger lorsqu’on se dit soi-même… nationaliste et patriote. Les gauchistes n’ont pas tout à fait tort lorsqu’ils nous comparent, nous autres populistes, à ces faux patriotes et faux nationalistes français de la Seconde Guerre mondiale qui voyaient d’un fort bon œil l’envahissement de la France par Hitler et proposaient même au Führer un régime de collaboration… Certes, il s’agit aujourd’hui d’un pays qui n’est pas le nôtre. Mais tout de même. Hitler, après tout, a commencé par des pays qui n’étaient pas le nôtre. Certes aussi, je ne pense pas que Vladimir Poutine ait l’intention d’envahir la France, mais il peut par progressions successives envahir des pays qui entretiennent avec la France de bonnes relations.

 

Heureusement, la droite radiale institutionnelle – Marine Le Pen et Éric Zemmour – a fermement condamné cet envahissement russe, sage décision qui a évité aux deux politiques de devenir aussi ridicules et répugnants que leurs petits frères de la ci-devant « dissidence » française, laquelle considère le beau et viril Vladimir Poutine avec l’œil d’une maîtresse soumise devant un amant impérieux.

 

Sacrée dissidence ! Pour ceux qui ne savent pas, la « dissidence » est une nébuleuse patriotique française, née d’une réaction légitime face à l’insécurité grandissante dans notre pays, mais dont les idées, au lieu de maturer dans le bon sens, sont devenues en quelque dix ans un fatras de théories complotistes haineuses et hystériques mêlées à un soutien, presque inconditionnel, à des dictateurs perçus comme « virils », « efficaces » et « au service de leur peuple ».

 

La « dissidence » est un mouvement composite et disparate qui va, en gros, d’Alain Soral à Riposte laïque en passant par les cathos intégristes royalistes nostalgiques du supplice des brodequins et des bûchers anti-déviances. Au départ, tous ces mouvements se surveillaient et se détestaient entre eux. C’est toujours un peu le cas. Mais, au fur et à mesure que leurs idées sont devenues plus populaires, toutes ces organisations, au lieu d’évoluer vers un contenu de qualité, ont fini par se rassembler et se ressembler dans une vaste crétinisation.

 

Nous avons eu droit à toutes les billevesées qui excitent les morveux, les crânes mous, les ignares et les vieilles filles frustrées.

 

Nous avons eu droit au coronavirus qui n’existait pas, pas plus que n’existait la pandémie, supposée totalement fictive (j’ai tout de même choppé une forme bénigne de la Covid). Nous avons eu droit à Brigitte Macron qui serait un homme (une vieille ficelle américaine, usée et recyclée : Madame Obama serait un homme transsexuel vivant avec un homme LGBT). Nous avons eu droit à la reine d’Angleterre, Élisabeth II, à la tête d’un immense réseau pédophile international contrôlé par les Illuminati. Nous avons eu droit à la Terre plate (marginale, mais présente chez certains cathos intégristes). Nous avons eu droit à Descartes et Galilée (XVIIe siècle) puis aux philosophes des Lumières (XVIIIe siècle) dont les œuvres, impies, infâmes, dictées par le diable, auraient détruit la civilisation occidentale en discréditant la sainte Église catholique apostolique et romaine. Nous avons eu droit à des propos extasiés sur certains chefs d’État et sur certains régimes. Ah, la République islamique d’Iran, quelle beauté, quel génie ! Ah, Hugo Chavez, quel homme, quel muscle ! Ah, la Biélorussie, quelles belles épaules, quelle belle moustache ! Ah, la Corée du Nord, ça au moins, c’est pas des tapettes, ma bonne dame ! Et, surtout, ah, Poutine ! Ah, Vladimir, tu m’excites ! Pas de moustache, un peu trop imberbe et poupin, mais quelle énorme paire de couilles ! Ça, c’est un homme, un vrai, et qui chevauche des ours en plus !

 

Tel est, grosso modo, le niveau intellectuel de l’ultradroite française…

 

Certes, Poutine n’a probablement pas accompli que du mauvais sous son mandat. Il est rare qu’un chef d’État soit ou tout bon ou tout mauvais. Il faut se garder de tout manichéisme ; c’est l’éternel problème de la politique. Un régime autoritaire peut – parfois – épargner à son peuple les horreurs caractéristiques de la démocratie déliquescente, de l’État moribond : désordre généralisé, inversion des valeurs, corruption, idéalisation du crime et de la délinquance, dépendance économique, chômage de masse, crétinisation des masses et des élites, etc.

 

Mais il restera toujours une question, très difficile à résoudre : la dictature épargne-t-elle vraiment au peuple ce type de maux ou bien, plus simplement, se contente-t-elle de les masquer, de les transmuter, de leur donner une autre expression que dans les démocraties ? C’est la confrontation d’Athènes, la démocratique, la licencieuse, et de Sparte, la guerrière, l’autoritaire, la virile… Au bout du compte, vivait-on si bien qu’on le dit à Sparte, avec son fanatisme militaire et ses brutalités contre les hilotes ? Vit-on si bien qu’on veut nous le faire croire dans la magnifique Russie – musculaire et chrétienne – de M. Vladimir Poutine ? M’est avis que cela se discute…

 

Une de mes collègues, bien pensante, mais instruite, me disait : « la Russie, c’est un chaos avec un bâillon » Je ne suis pas sûr qu’elle ait complètement tort. En tout cas, probablement pas plus tort que tous ces « dissidents » qui nous présentent la Russie comme une sorte de Paradis sur terre, un Éden populiste où les Russes vivraient, le sourire aux lèvres, tous unis derrière leur chef sportif et couillu, dans un vaste et universel enthousiasme…

 

Mais cela fait longtemps que les « dissidents » se dispensent de philosopher, d’Alain Soral à Riposte laïque en passant par les ultra-cathos shootés à l’eau bénite, sans compter les identitaires qui se pâment d’admiration pour les pays d’Europe orientale où ils trouvent parfois des opportunités de travail et de mariage (il n’en reste pas moins curieux que des « patriotes » français soient à ce point fascinés par l’expatriation).

 

Pour avoir une idée de la crétinisation de la « dissidence », et même de son abjection, il faut lire, je crois, non seulement les articles publiés sur leurs sites, mais aussi et surtout les commentaires de bas de page où se déchaînent les frustrés et les trolls de tout poil dans d’insoutenables déjections verbales qui donnent le tournis.

 

En gros, sur la guerre en Ukraine, on apprend ceci : les Ukrainiens seraient tous des sionistes, des prostituées, des pédérastes ou encore des nazis (au choix). L’envahissement de l’Ukraine (comme l’annexion de la Crimée) serait une réponse de Poutine – légitime, évidemment – aux atroces persécutions dont souffriraient les minorités russophones des provinces périphériques. En admettant même la véracité de cette position, personne ne songe un instant que la ville de Kiev, en ce qui la concerne, n’est absolument pas située dans une province russophone périphérique… Personne ne rappelle non plus les affreuses décisions de Staline concernant l’Ukraine, à l’époque où celle-ci dépendait de l’URSS, et la famine surréaliste qui s’ensuivit.

 

https://www.geo.fr/histoire/holodomor-lextermination-par-la-faim-en-ukraine-206333

 

Comme d’habitude, c’est sur le site d’Alain Soral qu’on trouve le plus surréaliste : par exemple, cet entrefilet du 26 février 2022 qui se réjouit que les intraitables soldats tchétchènes de Poutine se soient massés à Grozny pour prendre Kiev. Je ne citerai pas, par égard pour les âmes sensibles, les commentaires laissés par les clampins de bas de page, où voisinent anti-occidentalisme rabique, homophobie gloussante, fascination pour le gore et les gros bras, plaisanteries graveleuses en tout genre… Et de toute manière, sur Riposte laïque et d’autres sites ou blogs, ce n’est guère mieux. En tout cas, les exactions que vont probablement subir les Ukrainiens, civils et soldats, semblent fort peu émouvoir nos preux « dissidents » français.

 

https://www.egaliteetreconciliation.fr/Les-intraitables-soldats-tchetchenes-se-rassemblent-a-Grozny-pour-prendre-Kiev-67367.html

 

La tonalité générale de cette « littérature » d’ultra-droite se résume aisément : « Ces salauds d’Ukrainiens, qu’ils crèvent ! » Je caricature à peine…

 

Voilà où en est la « dissidence » française ! Voilà où en sont nos glorieux patriotes, nos vertueux nationalistes, nos superbes populistes partisans du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ! Beau travail, camarades ! Et tout ça pour soutenir un dictateur slave vieillissant et paranoïaque, régnant sur un pays qui n’est pas le nôtre et qu’on présente (c’est tellement facile vu de loin) comme le paradis sur Terre !

 

Alors, moi, que puis-je répondre à tout cela ?

 

Ceci :

 

Mes chers camarades dissidents, je suis largement aussi patriotique que vous. J’ai suivi vos travaux durant quelques années et il m’est arrivé, çà et là, d’écrire dans les colonnes de vos sites et de vos blogs. Mais maintenant, c’est fini. Votre « dissidence » française n’est plus qu’un ramassis de plumitifs complotistes absurdes, lus, relayés et encensés par de sales cons. Alors vous et votre « dissidence », mes chers camarades, mes chers anciens camarades, je vous le dis solennellement, et ce sera l’unique et dernière fois : allez vous faire voir chez les Soviets, et désormais, vos conneries, ce sera sans moi !

 

Illustration : Holodomor, la grande famine ukrainienne des années 1930


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