La honte a un prix : 45 millions d’euros
par Imhotep
mardi 29 juillet 2008
C’est fait : Tapie va pouvoir s’installer en Suisse. Il est vrai qu’il va lui rester de la décision arbitrale quelques picaillons. Mme Lagarde et son directeur de cabinet, le "redressé fiscal" à 660 000 €, M. Richard, ont décidé qu’il n’y avait rien à redire à la galette offerte par le pouvoir à Nanard qui joue à qui perd gagne. Le CDR ne fera aucun recours.


Dans toute cette histoire, il y a un point qu’aucun homme honnête ne peut et ne pourra jamais accepter. Personne, et pas même ceux qui défendent Tapie dans son combat contre le CL. Inutile de revenir sur cette affaire, juste indiquer deux points qu’il faut mettre à la connaissance de tous, car Tapie et ses avocats oublient souvent d’en parler : 1- Tapie a touché en 1993 plus de 30 millions d’euros de la cession d’Adidas de plus-value sur 315 millions alors que la société est pratiquement en cessation de paiement, tenue à bout de bras par les banques et pas loin de la faillite. Ceci veut dire en clair que Tapie n’a pas perdu d’argent avec la vente d’Adidas, mais qu’il en a gagné. 2 - Louis Dreyfus achète en deux temps Adidas et versera à un prix convenu d’avance plus de 700 millions d’euros au bout d’un an. Si la société ne se redressait pas Dreyfus ne l’achèterait pas. Les équipes de Dreyfus redressent la société. Adidas que paye Dreyfus n’est plus économiquement parlant la même société. Elle s’est redressée grâce à ses efforts et la confiance qu’avaient les banques en son management à l’inverse de la défiance en Tapie. On compare donc le prix entre une société moribonde et une société qui s’est redressée. Evidemment économiquement parlant cela n’a pas de sens.
Le point que tout homme moralement et éthiquement constitué ne peut que rejeter avec une certaine colère est ce que l’on ne peut appeler qu’en se bouchant le nez les indemnités pour préjudice moral. Ici une vidéo d’un reportage de 2001 qui vous montrera ce que moral veut dire pour Tapie. Regardez bien le passage avec le fils de Bocassa. C’est hallucinant, et écoutez le commentaire. Tapie a dépecé les entreprises. Et devinez qui l’a financé ? Le CL. Dans ce reportage, on entend des chiffres à tomber par terre : licenciements partout, fermeture d’usines après avoir flatté les employés de ces sites industriels et plus-values par centaines de millions de francs pour le faillitaire. Ceci prouve que le CL lui a fait gagner plusieurs centaines de millions de francs car ce n’est pas lui qui pouvait acheter les entreprises dont les reprises étaient financées par la banque si décriée. Vous remarquerez aussi qu’il utilisait les sociétés, fussent-elles en lourdes difficultés, pour payer ses voyages en jet, qu’il menaçait ou achetait les syndicats, qu’il avait des frais de gestion astronomiques. Donc son discours, et ceux de ses supporters qui disent contre toute vraisemblance que Tapie a fait gagner de l’argent au CL et que le CL lui en a fait perdre, est une belle plaisanterie.
Revenons au préjudice moral. La toute première chose que tout observateur peut faire est que ce montant est stratosphérique. La seconde observation est que si vous regardez de près les comptes qui donnent 20 à 40 millions euros au final à Bernard Tapie (Le Monde donne entre 30 et 50 millions nets), sans ce préjudice moral Tapie n’aurait rien eu. Ces deux observations mises côte à côte ont un effet éclairant : la nécessité d’une somme hors de proportion qu’autorise une notion vague et non quantifiable, non justifiable de façon mathématique de préjudice moral afin que Tapie touche de l’argent. L’estimation de cette somme est ici parfaitement le fait du prince. Ceci veut dire de façon incontestable et même pour ceux qui défendent Tapie que le préjudice économique, que moi je conteste avec vigueur, qui a été soldé par ce tribunal était inférieur aux dettes. Il devient alors évident que ce tribunal doit des explications à tous les Français à propos de ces 45 millions d’euros :
- Que justifie une somme si extravagante quand aucun préjudice moral n’a pu à ce jour permettre à qui que ce soit de toucher un montant si élevé ? Il faut rappeler que cette somme représente le Smic de 450 personnes pendant huit ans.
- Pourquoi ce tribunal arbitral a-t-il offert à Tapie un préjudice moral alors que la thèse était la même que la plainte en diffamation contre le CL en 1994 et qui a été rejetée ? Pourquoi accorder un préjudice alors que la justice ne l’a pas accordé ?
- Pourquoi ce tribunal arbitral a-t-il offert un préjudice moral alors que lors de l’appel de 2006 qui donnait 185 millions d’euros à Tapie avait rejeté le préjudice moral, donc pour la seconde fois ?
- Pourquoi alors un tribunal arbitral alors que les tribunaux jugeant en droit ont rejeté par deux fois ce préjudice a-t-il contre ces avis antérieurs offert ce préjudice moral ? Quels sont les critères nouveaux qui ont permis cette décision en complète contradiction avec deux décisions judiciaires antérieures et constantes ?
- Et il y a ce tour de passe-passe qui ne laissera pas de nous interroger : Le préjudice moral de 45 millions d’euros que les juges arbitres ont reconnu à Bernard Tapie n’est pas soumis à l’impôt. Cependant, comme il a été affecté au groupe Bernard Tapie pour l’apurement du passif, par accord entre les parties au moment de la signature du compromis d’arbitrage, il subira la même fiscalité. (Le Monde) En effet, le préjudice moral ne peut évidemment pas être attribué aux liquidateurs de Tapie. Non seulement cela n’a pas de sens, mais c’est inopérant en droit. Comment peut-on faire passer cette somme d’un individu à une structure de liquidation, une somme qui est un préjudice moral intitu personnae, sans bafouer le droit ? Et le fait que les deux parties soient d’accord pour l’intégrer prouve tout simplement que cette somme est indue. En effet, la seule démarche légale eût été de donner cette somme à Tapie et ensuite que le liquidateur par voie de justice l’eût réclamé pour la récupérer. De l’intégrer dans l’accord est un abus de droit qui passe par-dessus la légalité. On ne peut pas attribuer, même avec accord entre les parties, un préjudice moral, à une autre partie que celle qui en est légalement l’attributaire. Du reste, il n’y a qu’à se reporter à l’affaire de Carlito et Carlita avec la compagnie d’aviation. Les dommages et intérêts pour atteinte à l’image du couple magique n’ont pas été donnés directement par le tribunal, mais bien par les époux, individuellement, eux-mêmes à des œuvres. Ce point de droit aurait dû permettre de casser le jugement.
- S’il est difficile de juger a priori un préjudice moral il est beaucoup plus facile a posteriori d’en juger l’effet, car il suffit de le constater et en quatorze ans on en a eu le temps. On peut distinguer deux choses : un préjudice qui empêcherait Tapie de retrouver une activité de dirigeant. Or de ce fait ce sont les faillites et l’interdiction de gérer, les fraudes fiscales, les fraudes douanières qui ont empêché Tapie de gérer quelque entreprise qui soit, et en rien un pseudo-préjudice moral. Par ailleurs, Messier qui a été traîné dans la boue par Vivendi a pu sans coup férir créer son cabinet de conseil international. Cet argument ne tient pas la route une seconde. Ce qui l’a empêché c’est la loi, la déchéance des droits de gestion de Tapie et l’impossibilité financière car ruiné, non par le CL, mais par ses fraudes et ses faillites, mais non la vente d’Adidas qui, il faut le rappeler, lui a rapporté 30 millions d’euros. Le second aspect de ce préjudice moral serait son image abîmée. Or, lors de l’émission C Dans l’air, l’avocat de Bernard Tapie a répété à plusieurs reprises que Tapie avait une extraordinaire bonne image auprès des Français. Où serait donc ce préjudice dans ce cas si son image est bonne ? Une affaire qui vous ramène une image resplendissante c’est le contraire d’un préjudice, on appelle cela un bonus. Mais il y a des faits simples et concrets, sus de tous qui prouvent de façon éclatante que c’est une vaste fumisterie. Il faudra nous expliquer comment une image dégradée permet de faire du cinéma, de la télévision, de la radio et du théâtre et ce de façon suffisante pour toucher des cachets élevés. Ce fait que tout le monde peut constater est un démenti formel de la dégradation de l’image de Tapie. Donc il paraît extraordinaire au vu de ceci d’accorder a posteriori un préjudice moral.
Il est sûr que cela ne plaît pas à tout le monde :
François Bayrou, le président du Mouvement démocrate, y voit ainsi "la preuve que c’est une décision d’Etat qui a permis ce scénario sans précédent : on va prendre dans la poche des contribuables français plusieurs centaines de millions d’euros qui vont permettre à M. Tapie de racheter toutes les dettes qu’il a accumulées au long de sa vie et de devenir un homme riche à la tête d’un patrimoine de plusieurs dizaines de millions d’euros".
Complice
"C’est une décision qui n’a aucun précédent", a insisté François Bayrou. "Il a fallu que cette décision soit prise au plus haut niveau de l’Etat et qu’elle traduise ainsi des ententes et des connivences de toute nature", a accusé le député dans une déclaration à l’AFP.
"Jusqu’à maintenant, dans la République, l’Etat défendait le contribuable et les règles de droit. Maintenant, il se fait le complice et le protecteur de ceux qui n’ont cessé de jouer avec les règles élémentaires du droit", selon lui. (Le Nouvel Obs)
"Copinage d’Etat"
Du côté du Parti socialiste, Jean-Marc Ayrault, le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, fustige "le copinage d’Etat". "En pleine crise du pouvoir d’achat, les contribuables français seront ’ravis’ d’apprendre que le gouvernement accepte sans barguigner de renflouer M. Bernard Tapie de 400 millions d’euros", écrit le député dans un communiqué.
On attend la prise de position depuis quinze jours du Nouveau Centre, le parti libre et indépendant. Comme on s’étonnera - ou plutôt on ne s’en étonnera pas - de la virulence de la défense de Tapie par le parti sous la coupe du Kondukator, l’UMP (Universal Money Profit).
Personne qui est un tant soit peu honnête ne peut pas ne pas s’interroger sur le fait de l’existence de ce préjudice déjugé par deux fois et sur son hallucinant montant.