La journée s’annonçait bien, puis, en Birmanie...

par Pauline pas Bismutée
samedi 6 mars 2021

Vendredi 5 mars, heure locale 1835hrs. Quelque part en Asie.

La journée avait plutôt bien commencé.

A midi chez un copain à organiser un bref séjour au bord de la mer. On part quand. On dort où… il fallait que ce soit un peu plus préparé que d’habitude, à cause d’un très court bout de ciel en avion (d’habitude c’est en moto, donc plus flexible).

Puis je m’arrête dans un de mes endroits presque habituel, pour un café et un truc à avaler. J’étais tellement contente que ce tout petit café soit encore là, une affaire de famille qui avait réussi à survivre au milieu de tous les rideaux baissés, je crois qu’ils avaient été surpris de me revoir, après des mois et des mois d’absence, coincée ailleurs. 

Je pense alors que les gens sont décidément bien gentils et que la vie est sympathique, les projets simples en bonne compagnie encore tout à fait possibles, d’autant que le projet était né hier soir sur une terrasse, sans masques, autour de quelques bières et pizzas, tout ça baigné dans des 25 degrés caressants…

Une femme qui travaille dans le café vient s’asseoir à côté de moi, comme souvent.

« Tu sais ce qui se passe en Birmanie (Myanmar) ? » je réponds « Oui, bien sûr, c’est terrible…. » « Regarde, j’ai reçu des vidéos via Facebook… »

C’est là je crois que ça a commencé à dégringoler. Tout en birman bien sûr, et les photos de plus de trente jeunes, peut-être plus, je ne peux pas compter, défilent, avec leur jeunesse presque insolente et la pose un peu austère que tous les Asiatiques prennent sur les photos….

« Ils sont tous morts ? » « Oui, tués par la junte militaire, comme ça, regarde ». Et une autre vidéo, assez bordélique (ça se comprend), avec des gens qui courent, qui tombent…. 

« Et il y a ça aussi » : autre vidéo ; un avion, de la fumée, quelques corps au sol, d’autres qui se relèvent et transportent des blessés, ou des morts, dans des couvertures… quoi, ils ne bombardent quand même pas ? la vidéo ne veut pas dire grand-chose, comme ça…

Et de larges rues bondées de manifestants, sur une rivière des barques, serrées les unes contre les autres comme des sardines, et remplies de manifestants aussi.

Je n’ai pas Facebook, je contacte donc un copain pour qu’il essaie de récupérer les vidéos et qu’on les diffuse (il s’y connaît, moi je suis nulle)

« Et il y a un rassemblement aujourd’hui à ……. pour protester contre tout ça » 

Je me retrouve donc là-bas, environ 150 personnes, une vingtaine de flics, et seulement deux autres non asiatiques, faciles à repérer, comme moi, dont un qui a l’air « journaliste » et prend des photos. Les gens sont principalement jeunes, dans la vingtaine ou trentaine, quelques-uns plus âgés, et en majorité birmans, avec des affiches, des pancartes et une grande banderole par terre sur laquelle tout le monde peut écrire avec des feutres.

Les discours commencent, je ne comprends rien, mais ça a l’air sérieux, restreint et digne, entrecoupé de chants et « du signe pas interdit mais presque » (il consiste à lever un bras, avec seulement les trois doigts du milieu de la main étendus, si un flic/militaire vous demande de baisser le bras, il faut obéir….)

Je participe au « signe pas interdit mais presque ». Une quête, je participe aussi. Des jeunes s’approchent et me remercient, mais de quoi, mon dieu… Un jeune homme commence à me parler, il a l’air très légèrement éméché, désarçonné… je ne comprends rien. Il me montre une vidéo : trois hommes, à genoux ou assis sur un banc, c'est un peu difficile à distinguer, mais tous avec les mains derrière le dos. Ça a l’air d’être un enregistrement d’une caméra à l’extérieur d’un bâtiment. Deux flics/militaires sortent d'un fourgon, un avec un bâton à la main, qui reste sur l’image. Les coups pleuvent, c’est vicieux, violent, avec coups de pieds en plus. Un type tombe et disparaît de l’image. Un de ceux restés assis se prend des coups en pleine tête, un dernier coup de bâton, la tête éclate, je sursaute….

Le jeune birman me mime qu’un des trois hommes est mort. Tu m’étonnes, j’avale discrètement. Il continue à me parler, et je comprends sept. Je ne suis pas sûre de ce qu’il veut me dire, car le total des morts dépasse maintenant cent. Il insiste…. Je ne comprends toujours que sept, sept…

Puis il me montre une photo, un gamin, l’air pas vraiment boudeur, mais sérieux et concentré, avec un teeshirt à rayures orange et vertes… il continue d'insister..

« Il est mort ?????? » je demande à des gens de m’aider. « Oui, c’était son petit frère, il est mort hier, il avait sept ans. »

J’ai passé un peu de temps avec ce jeune, à lui tenir la main, que faire d'autre... Il me montrait sans cesse la photo. J’ai donc pris une photo de son petit frère avec mon portable (puis repris une photo de la photo avec mon appareil vu ma nullité en informatique). C’est la seule photo que je joindrai à l’article.

J’en ai pris d’autres. Il y a eu la performance émouvante de quatre danseurs qui ont mimé de façon poignante les participants marchant pacifiquement, les tirs, la panique, la mort de l’un d’entre eux, le corps porté…… A la fin, silence total, « le signe presque interdit » fièrement dressé…

Je ne vais pas relire, juste rajouté les accents. J’envoie tout ça, avec la photo de « sept » dont je ne connais même pas le nom.

Si ça paraît, je ne serai sans doute pas là quand ça arrivera.

Rappelez-vous : moi je vais à la mer, ça avait commencé comme ça….


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