La « laïcité » made in FN
par L.F.
samedi 27 juillet 2013
« Le FN est le seul parti réellement laïc de France » : combien de fois n'a-t-on entendu cette affirmation péremptoire, d'une modestie et d'un sens de la nuance bien frontistes soit dit en passant, martelée dans les médias par les pontes du parti des le Pen ? Combien de fois n'a-t-on vu le patriache Jean-Marie, les héritières Marine et Marion, le gendre Louis Aliot ou l'énarque Floriant Philippot poser en derniers défenseurs de cette grande valeur de la République ? (1)
Et la réponse est : non. Le Front National n'est pas le seul parti laïc de France, pour la simple et bonne raison qu'il n'est pas laïc.
Mais j'entends d'ici les protestations de ses partisans devant cette accusation sans aucun fondement : qu'ils se rassurent, je vais leur offrir immédiatement une preuve directe de la totale contradiction du Front National en matière de laïcité : sa position sur le Concordat d'Alsace-Moselle.
Pour ceux qui n'en auraient jamais entendu parler, restez avec nous : vous allez apprendre comment dans une République laïque le président peut nommer les évêques et les curés être rémunérés par l'Etat. Et surtout comment « le » parti laïc du pays peut militer pour le maintien de cet état de fait.
1) Qu'est-ce que le Concordat ?
En 1905 est votée la fameuse « loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat », qui fixe définitivement les rapports entre République et religions et définit ainsi la laïcité « à la française ». Elle remplace le Concordat, négocié par Napoléon Bonaparte (alors encore Premier Consul) et le pape Pie VII en 1801, et qui régissait jusque-là ces rapports.
Mais, cette année-là, l'Alsace-Moselle n'est pas française : annexée en 1871 (grâce à un certain Adolphe Thiers dont tant de rues portent pourtant le nom en France, mais ça c'est une autre histoire...), elle ne sera réintégrée à la France qu'en 1919, après la victoire de la Première Guerre Mondiale. Le Concordat n'étant pas abrogé suite à cette réintégration, il continue de s'appliquer (2), là où sur le reste du territoire s'applique par la loi de 1905 : on parle depuis du « Concordat d'Alsace-Moselle ».
Quelles sont dispositions prévues par ce régime concordataire ?
Tout d'abord, quatres cultes sont reconnus : les cultes catholique, luthérien et réformé (deux variantes du protestantisme), et israelite (le judaïsme).
Ces quatres cultes voient leurs ministres (prêtres, pasteurs, rabbins...) rémunérés par l'Etat comme des fonctionnaires de catégorie A (ils sont donc placés au même niveau que les préfets, commissaires, conseillers d'Etat ou professeurs d'universités...). Ces ministres du culte sont nommés par le Ministre de l'Intérieur, le Premier Ministre ou même le Président de la République (dans le cas des évêques de Strasbourg et de Metz). De plus, des cours de religion sont dispensés en primaire et au collège dans les écoles publiques par des professeurs formés dans des facultés de théologie (avec toutefois la possibilité d'opter à la place pour des cours de « morale »).
De plus, les universités de Strasbourg et de Metz contiennent de telles facultés, s'illustrant ainsi comme les deux seules universités publiques de France où la théologie est enseignée.
Je pense que beaucoup auront d'ores et déjà deviné que Concordat et laïcité ne sont pas vraiment compatibles...
2) La position du Front National sur le Concordat d'Alsace-Moselle
Des voix s'étant élevées, lors de la présidentielle de 2012, pour l'abrogation de Concordat d'Alsace-Moselle, le parti des le Pen dut à cette occasion préciser sa position sur le sujet : sa présidente et candidate à la présidentielle le fit lors d'un meeting à Strasbourg, le 12 février 2012 (4) : « cette situation est un legs de l'Histoire », or « l'Histoire ça compte ».
Même si elle passe rapidement sur l'idée de l'abrogation du Concordat pour se consacrer principalement à l'idée de son extension à l'islam (évidemment sacrilège selon elle), on comprend bien sa position, qu'elle répètera d'ailleurs plusieurs fois : fruit de l'Histoire, le Concordat d'Alsace-Moselle ne saurait être abrogé.
On sent déjà que la laïcité made in FN ne va pas résister bien longtemps à l'analyse
3) L'incohérence de cette position avec la laïcité
Dans ce même discours de Strasbourg, la présidente du Front National se dit pourant une ardente défenseur de la loi de 1905. Pas assez apparemment pour l'appliquer à l'ensemble du territoire national, et donc à l'ensemble des français : maintenir « l'exception historique » du Concordat est donc plus important que l'égalité devant la loi ou l'indivisibilité du territoire.
Si ce refus des valeurs d'égalité et d'indivisibilité au profit de « l'exception historique » ne concerne pas directement la laïcité (quoique...), il méritait bien d'être relevé ; et on rappellera que l'exception historique était un des arguments de la noblesse et de l'Eglise pour ne pas payer d'impôts : ils n'en avaient jamais payé, donc pourquoi commencer ? Le choix d'utiliser commme fondement d'une loi la tradition plutôt que l'égalité procède de la logique de l'Ancien Régime, révèlant ainsi à quel point le Front National est « républicain ».
Mais refermons cette parenthèse et revenons donc à nos moutons alsaciens.
On voit bien ici le grand attachement frontiste à la laïcité : au prétexte d'une « exception historique », Marine le Pen n'est absolument pas dérangée à l'idée que le contribuable rémunère des ministres du culte au même niveau que les hauts fonctionnaires, ou bien que le chef de l'Etat nomme lui-même des évêques...
Quel grand attachement à la séparation de l'Eglise et de l'Etat ! Quelle ferveur laïcarde digne des anti-cléricaux de la IIIème République !
Quelle mascarade surtout !
Car quelle est donc cette « laïcité » où l'Etat reconnaît des cultes ? Quelle est cette laïcité où l'on paye un prêtre aussi bien qu'un haut magistrat et mieux qu'un professeur de lycée ? Quelle est cette « laïcité » où des cours de catéchisme sont dispensés dans des écoles publiques ?
Et que dit l'article 2 de la loi de 1905 dont Marine le Pen se fait une grande défenseur ?
« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » (5). Or en Alsace-Moselle on reconnaît des cultes, on les salarie et on les subventionne (comme d'ailleurs dans toutes la France via les aides de l'Etat aux écoles confessionnelles, mais c'est encore un autre sujet).
Autrement dit, le FN contredit ici la laïcité dans la définition qu'il donne lui-même de cette valeur (6), c'est-à-dire celle posée par la loi de 1905. Contradiction totale donc, et on en concluerait presque à une vraie schizophrénie si cela n'apparaissait pas plutôt comme une simple et banale entourloupe politicienne...
En résumé, le Front National ment ici deux fois :
-
quand il se fait le défenseur de la loi de 1905, puisqu'il accepte que toute l'Alsace-Moselle échappe à l'application de ce texte
-
quand il se fait le défenseur de la laïcité, car il accepte que le contribuable rémunère des ministères du culte, que le président de la République nomme des évêques, etc.
Il n'est donc certainement pas LE grand défenseur de la laïcité en France, car en vérité il ne défend pas cette laïcité.
Ou, du moins, pas assez pour accepter l'extension à l'ensemble du territoire de la grande loi laïque de notre pays, loi dont il se prétend par ailleurs l'ardent défenseur...
Voici donc la laïcité made in FN : absence de laïcité sur fond d'incohérence et d'anti-républicanisme.
On en redemande...
(1) le lecteur remarquera soit dit en passant comment le mode de recrutement des cadres du FN fait bien de ce dernier un « parti pas comme les autres »
(2) comme le confirme une décision du Conseil d'Etat du 24 janvier 1925
(3) pour plus de détails, la page wikipédia qui y est consacrée est un bon début : http://fr.wikipedia.org/wiki/Concordat_en_Alsace-Moselle#Archev.C3.AAque_de_Strasbourg_et_.C3.A9v.C3.AAque_de_Metz
(4) en intégralité ici : http://www.youtube.com/watch?v=FaJmzq_OA5g
(5) http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/eglise-etat/sommaire.asp#loi
(6) voir par exemple le premier paragraphe de la page « Laïcité » du programme de Marine le Pen pour la présidentielle de 2012 http://www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/refondation-republicaine/laicite/