La lèpre remise au goût du jour par la politique ! Rappel de ce qu’est cette maladie, symbole d’exclusion, qui fait encore peur

par delepine
mercredi 27 juin 2018

 

Au début de la Renaissance, la maladie s’est raréfiée et aux siècles suivants, l’incidence était devenue si faible que Fracastor, médecin du pape au 16ème siècle croyait qu’elle avait disparu. L'abandon des précautions sanitaires entraîna la recrudescence du mal à la fin du 19ème siècle au point qu’en en 1909, la Société de pathologie exotique de Paris recommanda de nouveau « l’exclusion systématique des lépreux ».

 

 par Gerard Delépine 

 

La lèpre remise au goût du jour par la politique ! Rappel de ce qu’est cette maladie, symbole d’exclusion, qui fait encore peur.

 

La lèpre est une maladie infectieuse chronique causée par une mycobactérie (Mycobacterium leprae). Ce bacille, découvert en 1873, par un médecin norvégien Armauer Hansen, est voisin de celui de la tuberculose, et touche essentiellement la peau, les muqueuses et le système nerveux périphérique. La lèpre évolue lentement et inspire la crainte des paralysies, des déformations du visage et des extrémités et des amputations qu’elle provoque, et de l’exclusion sociale qu’elle entraîne.

 

 MODE DE CONTAMINATION

C’est une maladie peu contagieuse dont les modes de transmission mal connus sont vraisemblablement multiples : par voie aérienne (inhalation de gouttelettes nasales lors de toux), par la salive, par contact direct de mucosités contaminées sur des plaies cutanées, ou par l'intermédiaire d'objets souillés.

 Tous ces modes de contamination nécessitent des contacts étroits et durables de type familial expliquant que la contagion date souvent de l'enfance et que la pauvreté, le manque d’hygiène et la promiscuité sont les facteurs principaux qui favorisent le développement de la maladie.

 

 HISTOIRE AU COURS DU TEMPS

Son existence est très ancienne puisqu’un un squelette vieux de 4 000 ans, trouvé au Rajasthan en porte des stigmates. Elle est signalée dès le début de l’Histoire par Oribase de Pergame (IVe A.C.), Hippocrate (400 A.C.), Aristote (345 A.C.) et par d’Arétée de Cappadoce qui lui consacra 8 livres. Dans la Bible, elle est appelée "tsara'ath". Le chapitre XIII du Lévitique décrit même une méthode de diagnostic (très incertaine).

Au IVe siècle, Saint Basile crée l'Ordre Militaire et Hospitalier de Saint-Lazare chargé de protéger et de soigner les lépreux. En 583, le Concile de Lyon décide que les lépreux doivent être séparés des autres croyants pour éviter tout contact entre malades et sujets sains. De nombreuses léproseries sont construites. Le lépreux qui en sort ne peut se promener qu’avec un habit spécial et une clochette, il ne doit pas toucher les arbres ou autres plantes sans le port de gants. En 757, à Compiègne, un parlement décide que les lépreux doivent être « considérés comme morts » et qu’en conséquence, si dans un couple marié, l’un des deux conjoints devient lépreux, il est permis à l’autre de se remarier. Avec les Croisades, la lèpre est devenue commune en Europe où elle touchait parfois jusqu'à 30 % de la population d’un village. Lorsqu’ils allaient en ville, les lépreux, vêtus de leur habit particulier, devaient signaler leur présence en agitant leur cloche ou leur crécelle. Le soir, ils devaient la quitter pour passer la nuit dans leur léproserie.

Au début de la Renaissance, la maladie s’est raréfiée et aux siècles suivants, l’incidence était devenue si faible que Fracastor, médecin du pape au 16ème siècle croyait qu’elle avait disparu. L'abandon des précautions sanitaires entraîna la recrudescence du mal à la fin du 19ème siècle au point qu’en en 1909, la Société de pathologie exotique de Paris recommanda de nouveau « l’exclusion systématique des lépreux ».

Le recul spontané de la maladie a suscité bien des hypothèses ; le bacille de Hansen était-il devenu moins virulent ? La population était-elle plus résistante ?

L’analyse du génome du bacille suggère que son origine serait Est-africaine ou Moyen-orientale et que son pouvoir contagieux a peu changé au fil des siècles. Les auteurs de l’étude avancent que cette diminution du nombre de cas de lèpre serait la conséquence de l’isolement social des lépreux qui, limitant vraisemblablement leur reproduction, aurait abouti à une sélection naturelle des individus naturellement résistants.

Mais une telle hypothèse explique mal la recrudescence des cas de lèpre lors de la deuxième révolution industrielle qui milite fortement pour une explication hygiéniste : la lèpre a reculé à la Renaissance du fait des progrès de l’hygiène à cette époque ; elle est réapparue lorsque les conditions sanitaires se sont dégradées avec la surpopulation des villes, la misère la malnutrition.

 

 ASPECTS CLINIQUES DE LA MALADIE

La lèpre se singularise par sa période d’incubation particulièrement longue, pouvant atteindre 20 ans. Durant cette phase, la bactérie se multiplie lentement dans l’organisme sans donner de signe clinique, mais le malade est contagieux et peut disséminer la maladie. A l’issue de cette phase, l’atteinte de la peau et des nerfs se localise essentiellement sur les membres et les yeux. On distingue schématiquement deux aspects cliniques de la maladie : la forme lépromateuse et la forme tuberculoïde.

La forme tuberculoïde, la plus fréquente, associe des plages de dépigmentation cutanée peu nombreuses à bords nets et des troubles nerveux touchant les membres, insensibilité, ulcères, maux perforants, mutilations, paralysies. Cette forme n’est pas contagieuse.

La forme lépromateuse peut être limitée (forme pauci bacillaire avec moins de six lésions cutanées), mais elle est souvent plus diffuse (forme multi bacillaire avec plus de 5 lésions cutanées contagieuses). Les taches de dépigmentation cutanée sont typiquement associées aux lépromes, nodules infiltrés, luisants, disséminés sur tout le corps, mais prédominant au visage. Les signes les plus visibles sont l’atteinte de la peau, des mains, et du visage. La figure est déformée par la tuméfaction du visage, la dilatation des yeux, la destruction de la cloison nasale, la perte des dents et des boursouflures crevassées des lèvres.

La lèpre touche électivement les nerfs périphériques et la gravité de l’atteinte nerveuse détermine le pronostic de la maladie. Elle commence par une hypertrophie des troncs nerveux, palpable au niveau des nerfs superficiels, puis lentement apparaissent des mononévrites d’abord purement sensitives, puis entraînant des déficits moteurs qui s’aggravent progressivement, des amyotrophies, et des troubles trophiques.

Tous les nerfs peuvent être atteints, mais les plus fréquemment touchés sont : le nerf trijumeau (anesthésie cornéenne), le nerf oculaire (risque de cécité), le nerf facial (atteinte des muscles des paupières ou des lèvres entraînant des difficultés pour l’alimentation, l’élocution) et, le nerf cubital (paralysie partielle de la main et aspect en griffe des derniers doigts). Les déficits neurologiques sont sources d’infirmités croissantes : troubles trophiques, plaies, brûlures (favorisées par la perte de la sensibilité), infection ostéoarticulaire, cicatrices adhérentes, puis pertes de substance aboutissant à des amputations ou des mutilations.

 

 TRAITEMENT ERADICATEUR POSSIBLE EN SIX A VINGT-QUATRE MOIS

Mycobacterium leprae est sensible aux antibiotiques et en particulier à la dapsone (disulone), la rifamycine et la clofazimine (Lamprene). En cas de rechute ou de résistance aux antibiotiques précédents, on peut utiliser l’ofloxacine, la ciprofloxacine, la minocycline, la tétracycline, clarithromycine. La trithérapie associant dapsone, clofazimine et rifampicine, préconisée par l’OMS depuis 1981 permet de guérir la très grande majorité des malades et d’éviter les invalidités, lorsque le traitement est suffisamment précoce. La durée du traitement oscille entre 6 et 24 mois. Dès la première cure d’antibiotiques, les malades ne sont plus contagieux. La lèpre pauci bacillaire peut être guérie en 6 mois et la lèpre multi bacillaire en 12 mois. Les efforts de santé publique doivent aussi comprendre l'équipement en prothèses des sujets guéris, l’éducation sanitaire et la prévention.

 

MARQUEUR DE PAUVRETE, DE MANQUE D’HYGIENE ET D’EXCLUSION

L’OMS, qui met la trithérapie PCT gratuitement à la disposition de tous les sujets atteints dans le monde recensait encore 216108 nouveaux cas de lèpre en 2016 dans 145 pays, et un total de 3 millions de lépreux dans le monde. Compte tenu de l’efficacité des traitements curatifs, on comprend mal qu’une maladie aussi lourdement invalidante et facteur majeur d’exclusion ne soit pas plus rapidement éradiquée malgré les actions caritatives comme celles de l’ordre de Malte et de l’association Raoult Follereau. Mais il est vrai qu’elle constitue aussi un témoin de pauvreté, de promiscuité, de manque d’hygiène et d’exclusion et que les dernières décennies ont été plutôt marquées par une progression de celles-ci.

 

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