La Lettre de Kery James à la République : Une vérité trop dure à entendre ?

par Jason Moreau
mercredi 7 mars 2012

C’est en cette période de tension politique, sociale et économique qu’il a décidé d’adresser sa « Lettre à La République ». Kery James est considéré comme un des piliers du Rap Français et on ne compte plus les classiques qu’il a offerts à son public en 20 ans de carrière. Lyriciste à la plume d’acier, le « MC comme Militant et Conscient » comme il se définit lui-même est avant tout un Artiste. Il a su attirer l’attention d’un public général et diversifié sans changer le fond du message de sa musique notamment en collaborant avec des interprètes Français comme Amel Bent, Kayna Samet, Vitaa ou encore le grand Charles Aznavour. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser à cause des clichés infondés quant à la scène Hip-Hop, la réputation et la popularité du rappeur étaient déjà bien fournies depuis 2001 avec l’album « Si c’était à refaire » qui venait totalement bouleverser sa carrière jusque-là liée à celle de son groupe Idéal J. Entre 2001 et 2009, il évolue musicalement et humainement, sort 4 albums solos mais reste fidèle à ses valeurs sources en affirmant sa position contre l’Etat, en représentant les banlieues de France, et surtout en allant à contre-courant du « Gangsta-Rap » faisant l’apologie des drogues, des violences, du sexe et de l’ argent.

Après avoir annoncé qu’il se retirerait quelques temps courant 2009, Alix Mathurin de son vrai nom terminait le Réel Tour avec un concert mémorable au Zénith le 18 décembre 2009 et un concert de solidarité au peuple Haïtien –dont il fait partie- le 14 février 2010 avant de totalement mettre sa carrière entre parenthèses pendant deux ans.

Il avait éteint le micro avec la « Lettre à mon Public » en 2009, il revient l’allumer avec la « Lettre à la République » publiée le 27 février 2012. Et aux grandes lettres les grands moyens, un clip choc, percutant vient illustrer à quel point le contenu de cette lettre est dur, grave au même titre que ce et ceux qu’il accuse. Kery James revient et a beaucoup de choses à dire, avec une cible précise : la République et le Passé colonial de la France. Mais que reproche-t-il tant et qui accuse-t-il ?

« Racistes, Hypocrites, Pilleurs de richesses, tueurs d’Africains, colonisateurs, tortionnaires d’Algériens. » Tous ces mots graves et percutants sont ceux que l’auteur emploie pour qualifier ceux qui siègent en haut comme il les appelle dans le titre « J’ai mal au cœur » sorti en 1998. Dans la lettre à la République, il reproche la diabolisation des musulmans et de l’immigration en banlieue venant d’une France qui oublie son passé colonial et son présent discriminatoire. Il répond à tous ceux qui voient et considèrent l’immigration africaine comme une menace pour le territoire Français que c’est l’Etat qui en est à l’origine, étant donné que les travailleurs et leurs familles en provenance du continent africain ont été répartis et logés dans des zones de mise à l’écart fin 19è siècle. Il reproche aux réticents et aux inquiets face au communautarisme leur hypocrisie parce que les noirs Africains, les Maghrébins, les Antillais ne peuvent s’intégrer totalement dans une société où ils sont sans cesse surveillés et contrôlés comme pour leur rappeler qu’ils ne sont pas chez eux. De plus, les multiples discriminations dont ils sont victimes dans les magasins ou encore sur le marché de l’emploi sont aussi perçues comme un repoussement. On comprend alors la portée de la phrase « on ne s’intègre pas dans le rejet » qui vient répondre au débat sur l’identité nationale et à la question de l’intégration. Il est reproché à la France d’inciter officiellement et pour l’intérêt de son image patriotique à l’intégration au sein d’une « illusion républicaine » alors qu’en réalité elle a la phobie de l’Islam et des étrangers comme en témoignent les multiples débats sociaux alimentés avec la complicité des médias. Il invite d’ailleurs à relire l’histoire (la vraie) afin de comprendre que l’immigration n’est pas due au hasard mais qu’elle a été provoquée, et qu’avant de traiter les bénéficiaires des aides sociales d’assistés, on devrait commencer par se souvenir des deux guerres mondiales pendant lesquelles la France a bénéficié et profité d’importants effectifs de soldats Africains et Antillais.

5 jours après sa sortie, le clip comptait plus de 1 500 000 vues et avait été partagé et débattu sur les réseaux sociaux en masse, bien que ne faisant pas l’unanimité des avis. Il a surtout été reproché au rappeur une provocation aux Français à travers un discours raciste et une victimisation de tous les banlieusards. On pouvait aussi lire des commentaires accusant l’éternelle démagogie de l’artiste. Vous avez dit démagogie ?

C’est une critique amusante en plus d’être largement contestable quand on sait que Kery James est justement connu pour être un des rares rappeurs Français allant à contre-courant du Rap, mais aussi parce qu’il soulève des vérités crues dans ses textes et assume son engagement. « Nos vérités dérangent, on s’en fout, propager le mensonge, t’es fou ce sera sans nous, on a les mots pour les irriter, même le visage ensanglanté, on accepte le prix de la vérité ! » est le refrain du titre « Le prix de la vérité » présent sur son dernier album. De plus, il avait déjà averti le public sur son premier projet solo à la fin du titre « J’aurais pu dire » en déclarant « J'veux mourir avec la certitude d'avoir été utile aux gens et pour ça, J'peux pas toujours leur dire c'qu'ils veulent entendre. J'navigue à contre-courant, et ma musique est fidèle à mes convictions. J'suis loin d'être parfait Je l'sais, je l'crois, je l'dis, je l'vis, je l'chante ». Ces deux phrases pourraient répondre aux critiques de mauvaise foi n’hésitant pas à évoquer les ennuis judiciaires de l’artiste en 2009 pour les mettre en contradiction avec le contenu de ses écrits qu’ils estiment moralisateurs. Kery James avait d’ailleurs terminé la lettre à son public par : « que des débats sur les forums… en vérité, je ne suis qu’un Homme. » Ce rappeur qu’on prétend démagogue est pourtant l’auteur et l’interprète des titres Avec le cœur ou la raison, Au pays des droits de l’Homme, Réel, où il prend respectivement position pour la Palestine, dédie les prisonniers, ou encore condamne le grand banditisme promu par certains rappeurs influençant les jeunes ! Dire d’un artiste qu’il est démagogue alors qu’il ose écrire, dire ce que les 3/ 4 des artistes n’osent penser et qu’il prend position là où d’autres n’oseraient se manifester est alors dénué de tout sens et de toute logique.

Les accusations de racisme dont il fait l’objet sont encore plus infondées. « Banlieusard, Pleure en silence, Je représente » sont trois des plus belles chansons de Kery James où sa plume touche avec des paroles revendicatives, émouvantes, unifiantes et ce sans distinction de couleur, de culture ou de religion ! 

« Tu sais on ne souffre pas qu’en banlieue, partout tu peux lire le même manque d’amour dans les yeux ; même dans les beaux quartiers les sourires sont des masques, on n’achète pas le bonheur, sans qu’un jour le temps nous démasque. Et la détresse n’a pas de couleur, réveille-toi, sous combien de peaux blanches se cache la douleur… » Ces quelques paroles extraites de la chanson « pleure en silence » parlent d’elles-mêmes et réfutent toute accusation de racisme à l’égard du poète mélancolique. Pourquoi donc ces multiples accusations ? Sans doute à cause d’une erreur d’interprétation de la Lettre à la République ! En effet, la guerre d’Algérie, l’Islam et l’Esclavage sont des sujets qui fâchent, qui vexent, qui blessent. On peut penser que lorsque Kery James s’en prend à la France, les Français comprennent à première écoute qu’il blâme le peuple Français et généralise en les traitant tous de racistes, d’hypocrites alors qu’il en est tout autre. Ce sont encore les clichés alimentés avec la malveillance des médias qui sont à l’origine de cette réaction spontanée de la part d’une certaine partie du public. Lorsqu’un certain chroniqueur déclare que les rappeurs sont des analphabètes, et qu’à cause d’une incitation à la haine, ils sont en partie responsables des émeutes de 2005, on peut comprendre que certains voient en la Lettre à la République une provocation des Français. Et les médias, en censurant les plus belles performances des rappeurs, veillent à ce que le mythe du Rap en tant que musique dure, violente, choquante et offensant la France reste intact, alors qu’en réalité s’il était toujours asocial, des rappeurs comme la Fouine et Booba ne seraient pas invités pour chanter au festival de Cannes ! Le rap est quasiment la musique la plus populaire en France, les disques se vendent malgré la crise, et les salles de concerts se remplissent toujours. Il sera toujours rapporté dans la presse que ce dernier a jeté une bouteille dans le public ou provoqué une émeute dans un magasin des Champs Elysées, mais on fermera les yeux sur son concert affichant complet à Bercy ou encore le fait qu’il soit le premier rappeur avec Ali de Lunatic à devenir disque d’or sans maison de disque, et qu’il est l’un des rares à être au top jusqu’à présent malgré le boycott des médias. On se souvient d’ailleurs de la phrase du rappeur Booba « Fuck You, fuck la France, Fuck Domenech » qui avait créé la polémique avant que le franco-sénégalais ne précise qu’il s’adressait à l’Etat Français et non aux Français.

Ce qui est aussi étonnant est le fait que certains pensent que Kery James ne fait que se plaindre pour les banlieusards, ou encore qu’il a tort de revenir avec un discours qui déterre le passé parce que cela empêche d’avancer. Mais le problème est que la majorité des personnes veulent un avenir meilleur en région parisienne sans savoir où aller pour l’obtenir, et sans chercher à connaître les causes de la situation des banlieues. Et c’est là l’un des enjeux principaux de la lettre à la République qui vient rappeler à l’ordre l’Etat Français, les politiciens, les médias et les personnes racistes en soulevant le passé oublié volontairement. Nombreux sont ceux qui déclarent qu’il faut tourner des pages de l’Histoire alors qu’elles sont partiellement arrachées. L’Etat Français n’hésite pourtant pas « s’ériger en donneur de leçons » en proposant des lois condamnant le génocide Arménien par la Turquie alors pourquoi condamner une Lettre à la République qui rappelle les multiples Guerres en Afrique dues à l’Empire Colonial Français ? L’Histoire ne doit-elle pas être connue sous toutes les versions, qu’elles soient positives ou négatives ? On essaie pourtant d’inciter à l’oubli du passé colonial de la France en essayant de mettre en avant la colonisation positive alors que l’Histoire se doit d’être neutre, d’autant plus que ce pays est composé d’une population originaire des quatre coins du Monde. « L’illusion Républicaine » que dénonce le poète noir dans sa lettre est justement celle qui consiste à présenter la France comme un Pays des droits de l’Homme œuvrant pour la paix et la sécurité. L’ironie est qu’en 2011 des opérations militaires aient été menées dans des pays souverains comme la Libye et la Côte d’Ivoire au nom de la Liberté et de la Démocratie… ! Il s’agit de la version officielle. Cherchez l’erreur.

On l’aura compris, Kery James s’adresse donc aux gouvernements et chefs d’état successifs, aux médias, aux acteurs de la politique et aux autres personnages qui nourrissent et alimentent les clichés quant à l’Islam, aux Banlieues, à l’Immigration Africaine ou encore à la Colonisation. Parce que les médias ont aussi leur part de responsabilité dans la mesure où ils participent activement à cette diabolisation des banlieues en agitant les souvenirs des émeutes de 2005 pour alimenter les peurs et les réticences de l’opinion publique. Que demande-t-il ? Le respect de la diversité des cultures, des origines, des religions, ce qui n’interfèrerait pas avec la laïcité supposée en France. Il revendique le droit à la parole, à la consultation et au dialogue au lieu que les médias et politiciens censure cette partie de la France qu’ils essaient tant bien que mal d’oublier et de délaisser. Ce titre n’est donc ni un appel à la haine raciale ou à des conflits, ni une déclaration de guerre physique comme les émeutes. Il s’agit de la guerre des valeurs, des convictions, et des droits par le savoir, l’histoire, l’unité, l’intelligence, le travail en vue du progrès. La France d’en bas unie avec le peuple multiculturel, pauvre contre la France d’en haut avec ceux qui spéculent, les politiciens, les racistes et les non tolérants.

Un ultime uppercut verbal vient terminer cette lettre : « J’suis pas en manque d’affection, comprends que je n’attends plus qu’elle m’aime ! » Cette punchline, comme est appelée une métaphore qui claque l’auditeur de par sa technique et son sens résume à elle seule la raison d’être de la lettre à la République. On peut comprendre qu’après toutes les provocations faites par les médias contre les banlieues, par les partis politiques contre les musulmans et certains politiciens affirmant que les civilisations ne se valent pas, il ne pourra y avoir de fraternité que lorsque les efforts viendront des "deux camps", des "deux Frances".

J.Moreau


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