La Libération (32) : l’arme « secrète » US, des cargos à la chaîne !
par morice
vendredi 1er juillet 2011
L'effort de guerre industriel américain, par lequel nous avions débuté cette seconde série historique ( à l'épisode 13*), ne toucha pas que la production d'avions. Une arme "secrète" allait leur faire gagner la guerre : un bateau, tout ce qu'il y a de plus banal d'aspect mais construit selon des méthodes d'organisation nouvelles, sinon extraordinaires. Dans un esprit bien capitaliste, les armateurs, pour faire baisser les coûts de revient embauchant des personnes non qualifiées en priorité, dont beaucoup de femmes, qui se retrouvèrent soudeuses de cargo après avoir reçu une formation express qui avait coûté seulement 300 dollars à leur employeur. Avec cette main d'œuvre à bon marché, les chantiers navals américains produisirent en masse ce qui allait alimenter l'Angleterre et la Russie de Staline, via les ports de Mourmansk, ces fameux Liberty Ships, increvables navires qui ne furent sacrifiés que dans les années 70 pour la plupart, et qui permirent aussi le redémarrage de l'économie mondiale, comme par exemple pour l'Italie où ils formèrent intégralement la charpente de sa flotte de commerce d'après guerre. Place aux vaillants bateaux de la Liberté (Liberty Ships), à qui l'on doit en grande partie d'avoir, à leur façon, contribué aussi à faire gagner la guerre.
Les cargos aux lignes bien ordinaires donc, pouvaient être en prime fabriqués par morceaux séparés de superstructure, notamment le château central, puisqu'ils seraient ensuite soudés ensemble. Ils étaient longs en moyenne de 135 m, étaient conçus pour parcourir près de 30 000 km à 11 nœuds de vitesse sans ravitailler, et pouvaient transporter 10 800 tonnes à chaque trajet. Le résultat n'était pas très esthétique, mais diantrement efficace : ça flottait et ça transportait, tout ce qu'on lui demandait, en définitive : on ne visait pas non plus des records de vitesse. Restait plus qu'à leur trouver un nom. Au départ, c'étaient des EC2-S-C1 selon la nomenclature de l'USMC, avec un E pour "émergence" et un "C" pour "cargo", le "2" signifiant la taille du navire : entre 400 et 500 pieds (150 mètres maxi). Quant à savoir d'où vient le nom bien connu, on pense que c'est dû au responsable de l'USMC, l'Amiral Emory Scott Land, qui en en était venu à parler de "Liberty Fleet" dans son discours de lancement du projet et à choisir surtout comme nom du premier cargo, " Patrick Henry", un choix remontanf à un image traditionnelle nationaliste du premier héros américain qui aurait lancé la phrase célèbre "Give me liberty or give me death." Bref, ce "bateau Ford-T" était aussi nimbé de sentiment patriotique : on ne cessera de s'esbaudir sur les jeunes femmes ou les travailleurs émigrés ou les noirs, non encore intégrés, devenus soudeurs pour amour de leur pays... et qui, on l'a dit, ne récolteront pas pour autant les lauriers de leurs efforts d'intégration manifestes. Le soir, au sortir du chantier où ils travaillent avec des blancs à leurs côtés, ils repartent dans des bus "réservés aux gens de couleur" (dans les chantiers au Nord-Est du pays, la discrimination n'est déjà plus la même).
Présenté comme le "programme le plus important de construction jamais réalisé" ce fut effectivement une entreprise dantesque à mettre en œuvre : on construisit de cette manière 2700 navires, soit les 3/4 de tout ce qui sortira des chantiers navals US pendant la guerre. Et ce sous une cadence infernale : en 1918, il fallait encore encore 3 mois pour faire un bateau de cette sorte. Pour les Liberty Ships, on avait décidé que cela serait fait en moins d'un mois, un nombre de jours qui ne cessera de baisser au fur et à mesure de la production. En productivité, le gain serait phénoménal : un chantier avec 50 formes construisait 69 bateaux rivetés en 1919, pour un total de de 517 000 tonnes, et un chantier naval de 1942 muni de 12 formes en faisaient 205, de navires soudés, pour un total de 2 150 000 tonnes. Le premier a été lancé le sera le 27 septembre 1941. La première année, on en fit un million de tonnes, puis déjà huit fois plus en 1942. 40% de ce qui avait été construit depuis 1913 sera construit l'année 1943, où furent construits 1 896 bateaux ! En 1942, 646 cargos avaient été construits aux USA, dont 597 Liberty Ships. En 1943, c'est simple, on en était à construire 140, de cargos, par mois, dans les chantiers navals américains ! C'est simple, on n'arrêtait pas de souder. Même en plein été, sur de la tôle, si bien qu'on trouve en cherchant un peu dans un numéro de Time Life consacré à la guerre de l'Atlantique cette scène incroyable en Californie du Sud, où des soudeurs de Kaiser sont à l'œuvre, sur un élément préfabriqué de Liberty-Ship, protégé par des parasols contre les ardeurs du soleil ! Le dernier Kaiser fut lancé en 1944 des chantiers de Richmond, comme le montre ce reportage d'époque.
Les cargos, étaient remplis le plus souvent à ras bord, comme l'indique ici le plan de chargement assez étonnant du Fort Halkett, construit par les canadiens et à l'existence plutôt courte, le lot d'une grande partie des Liberty Ships.Terminé le 9 Novembre 1942 pour l'administration américaine, il fut envoyé en Grande-Bretagne, en février 1943 avec la cargaison décrite dans ce plan, plein à ras bords de chars et de camions, à destination d'Afrique du Nord pour soutenir l'invasion alliée. Puis il est reparti en convoi à Freetown pour y arriver le 28 Juillet 1943 avant de repartir à vide et sans escorte vers Rio de Janeiro, un voyage qui lui sera fatal. Le 6 août 1943, arrivé à 600 miles de la côte du Brésil (965 km !), il va en effet tomber nez à nez avec les 750 tonnes de l'U-Boot IX-C (U-185) commandé par le lieutenant Maus qui larguera contre lui 6 torpilles, dont un seule fera mouche. Le sous-marin fit alors surface et finit le travail au canon. Le Halkett fut envoyé par le fond après 10 mois d'existence à peine. Le commandant du Halkett, William Walker, ordonna l'évacuation sur les chaloupes, dont la moitié sera recueillie par l'USS Goldsboro, le reste allant jusqu'au Brésil... à la rame.
Mais la plupart finirent la guerre, pourtant, servant alors à redresser le commerce mondial, revenus dans le monde civil pendant de nombreuses années. Car cela a duré longtemps, chez certains. D'une résistance à toute épreuve (sauf quelques incidents de soudure... dues à des défauts de construction) le dernier Liberty Ship naviguant, le Hellas Liberty, anciennement, Arthur M. Huddell, rouillé de partout, à terminé sa carrière en Grèce en s'amarrant au soleil couchant une dernière fois dans le port du Pirée en provenance de Norfolk, en Virginie, le 6 décembre 2008 seulement ! Il devait y être remis à neuf pour servir de musée flottant. Il avait bien le droit à ce repos, et surtout à ne pas partir à la feraille, comme des milliers de ses prédécesseurs, sans oublier ceux qui gisent toujours au fond de l'eau, avec leur cargaison, comme ici en Indonésie, à Bali, l'USAT Liberty (construit en 1918, il avait servi de modèle au type Liberty) torpillé par le sous-marin japonais I-166. Ou ici l'Algol, lancé le 10 décembre 1942, comme ex-James Barnes, un Victory Ship décommissioné le 23 juillet 1970 et volontairement coulé le 22 novembre 1991 au large du New Jersey, pour devenir un récif pour attirer les poissons.
Comme l'avait noté si justement "Time" en son temps, l'équation de la victoire était simple :"une des raisons de la victoire des Alliés dans la bataille de l'Atlantique fut que les Etats-Unis arrivèrent à construire des navires plus vite que les Allemands ne pouvaient les détruire". Ce fut aussi, hélas, au prix de milliers de vies humaines perdues. La semaine prochaine nous retrouverons notre mine de documents en aviation, si vous le voulez bien, car nous sommes loin encore d'en avoir dressé l'inventaire complet... et encore moins les conséquences, dont une assez inattendue, vous le verrez.
La source principale est l'ouvrage "La bataille de l'Atlantique", collection la Deuxième guerre mondiale", de Barrie Pitt, sorti en 1977.
De nombreux sites existent sur des Liberty Ships musées.
http://www.skylighters.org/troopships/libertyships.html (dans lequel j'ai adapté le graphique principal). Avec son interminable liste :
http://www.armed-guard.com/ag15.html
Le Peary bâti en.... 4 jours :
http://www.usmm.org/peary.html
http://www.ssjeremiahobrien.org/
http://www.marine-marchande.net/FM/Liberty-ship/index_JOB.htm
http://www.nps.gov/nr/twhp/wwwlps/lessons/116liberty_victory_ships/116liberty_victory_ships.htm
http://www.betaprod.fr/spip.php?page=betaprod&id_article=373
Un excellent documentaire ici de ROBERT FERRAND (très bonne illustration musicale !)
1) http://www.youtube.com/watch?v=wcNKzaUBHGk
2) http://www.youtube.com/watch?v=p6qfkwmmcuE
3) http://www.youtube.com/watch?v=HqfGbnucBcY&feature=related
et le sympathique site :
http://www.amedenosmarins.fr/pages/liberty_ships-2922091.html
(**) le texte de la chanson "Any bonds today ?" des Andrew Sisters , écrite par ...Irving Berlin (et chantée aussi par Barry Wood mais aussi Bugs Bunny !).
Any bonds today ?
Bonds of freedom
That's what I'm selling
Any bonds today ?
Scrape up the most you can
Here comes the freedom man
Asking you to buy a share of freedom today
Any stamps today ?
We'll be blessed
If we all invest
In the U.S.A.
Here comes the freedom man
Can't make tomorrow's plan
Not unless you buy a share of freedom today
The tall man with the high hat and the whiskers on his chin
Will soon be knocking at your door and you ought to be in
The tall man with the high hat will be coming down your way
Get your savings out when you hear him shout "Any bonds today ?"
Any bonds today ?
Bonds of freedom
That's what I'm selling
Any bonds today ?
Scrape up the most you can
Here comes the freedom man
Asking you to buy a share of freedom today
Any bonds today ?
All you give
Will be spent to live
In the Yankee way
Scrape up the most you can
Here comes the freedom man
Asking you to buy a share of freedom today
Won't you buy some bonds ?
We'll all be blessed
If we all invest
In the U.S.A.
Here comes the freedom man
Can't make tomorrow's plan
Not unless you buy a share of freedom today
(*) Les douzes premiers épisodes ici :
1) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
2) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
3) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
4) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
5) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
6) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
7) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
8) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
9) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
10) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
11) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
12) http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
La suite ici :
14) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-14-l-operation-81901
15) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-15-le-rouleau-81813
16) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-16-l-impreparation-95551
17) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-17-les-loups-82246
18) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-18-le-zero-ignore-80477
19) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-19-des-avions-copies-81233
20) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-20-un-document-ecrit-95887
21) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-21-un-kamikaze-a-81558
22) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-22-le-canard-congele-81617
23) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-23-la-difficile-95262
24) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-24-des-mirages-79202
25) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-25-quand-un-futur-95808
26) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-26-dora-enterre-deux-84762
27) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-27-les-espions-de-la-96242
28) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-28-l-operation-lusty-95971
29) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-29-l-operation-lusty-96152
30) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-30-l-operation-lusty-96231
31) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-31-l-operation-lusty-96441