La Libération (35) : L’Opération Lusty, et le nez qui change tout

par morice
mercredi 6 juillet 2011

Les américains ne ramassèrent pas que des avions et des ingénieurs, mais aussi d'autres technologies. L'une des préoccupations principales de Karman fut en effet la recherche des radars allemands, longtemps laissés à la remorque par les anglais, au début du conflit, mais qui avaient largement rattrapés leur retard à la fin de la guerre. Dans ce jeu sans fin du chat et de la souris, celui des radars et de leurs contre-mesures, on avait assisté en fin de conflit à une profusion d'antennes de type rateau sur les bombardiers ou les chasseurs allemands. Même le Me-262 n'y avait pas échappé. Or ces antennes disgracieuses ralentissaient d'autant celui qui les portait. Jusqu'à ce qu'on trouve des deux côtés le radar résolument moderne, à antenne parabolique cachée derrière un nez de plastique. Le nez des avions, militaires ou commerciaux, au sortir de la guerre, ne sera plus jamais le même.

Mais laissons tout d'abord "Science et Vie", dans un numéro Spécial de 1998 ("Un siècle d'Aviation") expliquer l'origine de la course mutuelle au radar, au départ défensif mais devenu moyen de guidage de bombardement, côté anglais. Cela commence par le système du chat et de la souris, aux deux stations permettent de guider le bombardier sur sa cible exacte. "Comment les Anglais et les Américains ont-ils pu mener à bien ce pilonnage continu de l'ennemi ? En fait, l'offensive aérienne contre l'Allemagne n'a été possible qu'à la suite d'un nombre impressionnant de perfectionnements techniques qui ont brutalement fait entrer l'aviation dans l'ère de l'électronique de pointe. À partir de juin 1940, la RAF adapte un système inventé en 1938 par Ri. Dippy, le « Gee ». Fonctionnant sur 20 MHz, le « Gee » met en oeuvre trois ou quatre émetteurs. L'émetteur de bord envoie un signal aux stations basées à terre, celles-ci renvoient l'émission vers l'avion, ce qui permet de mesurer la distance et de définir sa position. Ce système dispose d'une portée de 600 km à 6000 m d'altitude. Il permet ainsi aux Thunderbolt alliés de bombarder la Ruhr, dès mars 1942. La précision des bombardements est accrue avec l'adoption d'un système encore plus perfectionné : « Oboe ». Ce dernier permet non seulement la radionavigation mais indique très précisément le point de largage des bombes. Dernière technique essentielle mise en service dès le début de l'année 1943 : le radar de bord H2S, qui dispose d'un rayon d'ondes de 9 cm dirigé vers le sol. Il permet de discriminer trois niveaux de relief - la mer, le sol, et les villes, dont les contours, qui apparaissent en blanc, sont ensuite vérifiables sur les cartes de bord. Les grands raids sur Berlin ne sont possibles qu'après l'adoption du H2S, car la capitale allemande est hors de portée des systèmes « Gee » ou « Oboe ». Ces bombardements furent contrecarrés par les brouillages allemands jusqu"à ce que les anglais trouvent une parade inédite, déjà décrit dans cet épisode, celle des languettes d'aluminium larguées pour saturer les écrans radars ennemis.

Fin 1943, les allemands ont trouvé la parade en effet, au système Oboe : les deux pays évoluaient alors presque sur la même marche, les anglais tenant longtemps la tête de la course : pour les anglais, ce n'est qu'avec la version AI Mk.VII puis laTFX apparue fin 1943 du Beaufighter que le radar à antenne extérieure fut remplacée par le radar centimétrique AI Mark VIII enfermé dans un radôme placé à l'avant de l'appareil et surnommé le "dé à coudre," lui permettant de combattre par tous les temps. Le Beaufighter, puis le Mosquito furent équipés d'un radar à base de Magnetron 220, développé grâce au génie de Sir John Randall, qui se présentait comme comme une antenne parabolique et non plus comme un rateau d'antenne de télévision.  Paradoxe, Randall avait en fait repris les travaux débutés en 1935 par l'allemand Hans Hollmann, qui donnera son nom à un type de Magnétron (à cavités). Celui de Randall avait précieusement été remis en 1940 aux américains pour qu'ils le produisent en masse. Le Mosquito NFX VI était ainsi équipé d'un radar SCR720 AI (le même que le lourd Black Widow), dont les premières victoires en chasse de nuit l'avaient été aux dépens de trois Ju-88 (et en endommageant deux autres). 

Chez les allemands, c'est une des ultimes évolutions du vieillissant JU-88 qui se retrouvera avec le même équipement, sous un cône de balsa, puis de fibre synthétique, après avoir connu toutes les déclinaisons des antennes Lichtenstein en forme de râteaux. Et dieu sait s'il y en y eût, des modèles différents, le nez de certains appareils allemands ressemblant parfois au dessus d'un immeuble des années 60 avec sa forêt d'antennes non collectives avec les radars Lichenstein. Pour le réaliser le leur, les allemands avaient bénéficié d'un concours de circonstance inattendu. Le FuG 240/1-4 “Berlin” N1A, N2-4, travaillant dans la gamme des 9 centimètres avait en effet été récupéré lors de la capture d'un radar anglais monté sur un Pathfinder Stirling (le marqueur de cibles pour la vague qui le suivait) écrasé à Rotterdam, lors d'un raid sur Cologne,le 2 février 1943. Le H2S qu'il transportait avait été endommagé mais pas au-delà d'une réparation et il devint chez les allemands le "Gerät Rotterdam", car Telefunken avait pu le remonter, à l'exception de l'écran de contrôle, détruit.  Les radars de ce type, chez les anglais étaient montés en dessous des carlingues de Stirling ou de Lancaster, sous un radôme de plastique, laissant l'avant du bombardier muni de ses mitrailleuses de défense. Les anglais ayant eux bénéficié de la défection en avril 1943 d'un équipage de chasseur de nuit JU-88, équipé d'un radar FuG 212 Lichtenstein C-1 (numéroté 360 043) venu de poser chez eux avec à bord la forêt d'antennes du radar allemand (photo ci-contre). Le chat et la souris perpétuelle : un jour je te brouille, le lendemain c'est toi.

 

L'avion, mais aussi le radar, autre préoccupation fondamentale de Karman, était donc très recherchés, un Kaman qui a décidément compris bien des choses avant tout le monde, ce qu'il a également écrit en prophète des guerres futures. "Il faut savoir que le radar de l'avenir ne sera pas un appareil de détection d'occasion qui sera utilisé dans de mauvaises conditions. Au contraire, la force aérienne de l'avenir sera exploitée de telle sorte que l'installation du radar sera primordiale, et les méthodes de vision habituelles ne seront plus utilisés qu'à l'occasion" (...) "Dans un concept tout-temps de force aérienne, le radar doit être utilisé universellement outil pour les bombardements, les tirs d'artillerie, la navigation, l'atterrissage, et le contrôle.  La structure entière de la force aérienne, la planification des activités de ses programme de formation STI, et son organisation doit être fondée sur cette prémisse. Le développement et la perfection de radar et des techniques pour l'utiliser efficacement sont aussi importants que le développement de l'avion à réaction propulsé (noté en italique dans l'original). tout programme de recherche visant à surmonter les limitations de vol, à savoir lors de la nuit et par mauvais temps rapportera de gros dividendes," écrivait-il de façon prophétique. C'est pour cela que le développement des chasseurs tous temps sera la pierre angulaire de l'aviation US, obtenue avec le F-94 Starfire, doté également de la post-combustion, qui ne sortira qu'en 1951. Les avions des années 50 ne seront pas spécialement plus rapides ou plus performants que ceux de 1945, mais au moins il voleront par tous les temps, ce qui change désormais considérablement un conflit ! Le prototype du Starfire l'YF-94 (un TF-80C modifié) avait fait son premier vol le16 avril 1949. Les suivants, Skynight ou Scorpion seront eux aussi "tout temps", et munis de radars de nez. Le F-94 était doté d'un radar de ce type dont était dépourvu le P-80, devenant ainsi le successeur du lourd P-61 Northrop Black Widow, déjà muni de ce radar, appparu à la fin de la guerre, qui était en effet rangé dans la catégorie des chasseurs malgré ses 16 tonnes en charge... l'association post-combustion et radar donnera au seuil des années 60 les avions tels que nous les concevons aujourd'hui. Là encore, la seconde guerre avait fait faire à l'aviation un bond de géant !

Les allemands, qui avaient souvent été distancés, poussèrent pourtant assez loin leurs recherches sur les radars. Et même plus loin que les alliés encore. Après le “Berlin N3” fut développé le FuG 244 “Bremen 0”, prévu pour l'Arado 234 P-5.-à la place du Berlin. Une avancée majeure, travaillant à de 3250 à 3330 mHz avec 20 kW de puissance. Un radar ouvrant tout le ciel, car l'appareil se présentait comme une antenne rotative à installer au dessus d'un avion, le modèle retenu étant l'Arado 234. Un seul exemplaire du Fu 244 avait été terminé en fin de guerre et fut retrouvé non monté sur un appareil.  Les allemands avaient tout simplement inventé avant tout le monde le premier "Awacs", qui deviendra chose effective chez les américains avec le Tracer qui ne décollera pas avant 1958, soit 13 ans après. On comprend un peu mieux la pugnacité de Von Karman a tenter de trouver les tous derniers radars allemands, en cette fin de guerre. Aux premières heures de la paix, les avions civils arborent tous des nez noirs... même les derniers à hélice s'y convertiront.

toutes les sortes d'antennes allemandes ici 

http://www.qxwar.net/simple/index.php?t117508.html


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