La Libération (57) : l’unité secrète et son mystère gardé jusqu’au bout
par morice
mercredi 3 août 2011
On l'a vu hier, Juan Péron, désireux de fabriquer de toute pièce une armée, une force aérienne et même une arme atomique (personne ne croyant qu'il n'allait en rester qu'à sa bouteille Thermos à plasma !), s'était pour cela entouré d'ingénieurs allemands, de nazis patentés et de pilotes de talents, dont Adolf Galland représentait sans aucun doute le dessus du panier. Parmi ses recrues ; le nom de l'une d'entre elles m'avait intrigué. Celle du jeune casse-cou décédé lors d'un vol d'essai de bombardier anglais au dessus du Rio de la Plata. "Werner Baumbach, ancien chef du bombardement de la Luftwaffe" disais-je par la voix du magazine du "Fana". Mieux que cela : l'homme fut à la tête d'un groupe fort particulier d'aviateurs, plus proches des espions que des hommes de troupe. Un groupe resté des années après fort mystérieux... tout comme ses membres.
Le groupe fort particulier de Baumbach, s'appelait le Kampfgeschwader 200 (le KG 200) est un des groupes d'aviation sur lequel on possède le moins d'information : il avait beau être une unité aux activités particulièrement secrètes, on le sait, en histoire c'est une véritable énigme, des années encore après sa dissolution. Aucune archive ou presque n'a en effet été retrouvée sur son existence ou ses membres exacts à la fin du conflit, ce qui est un fait plutôt rare, qui laisse planer plein de questions sur ce à quoi il a pu participer exactement. Tout ce qui devait exister, connaissant les goûts allemands pour la nomenclature et l'archivage a été supprimé, brûlé par ses responsables, soucieux de ne rien laisser derrière eux, à laisser imaginer qu'ils ont commis des choses difficiles à accepter, dont surtout leur implication dans les transports de dignitaires nazis de plus haut rang lors des derniers jours du Reich.
Le commandant de la nouvelle unité était justement notre homme, Werner Baumbach, un pilote de bombardier très expérimenté et hautement décoré, un véritable leader de formation et d'hommes, qui avait auparavant survécu à plus de quatre ans de missions périlleuses de bombardement en territoire ennemi, en France et en Grande-Bretagne, mais aussi en Russie ou même en Orient. C'était lui, notamment, qui avait le 19 avril 1940, attaqué audacieusement le croiseur français Emile Bertin, acte pour lequel il avait reçu la Croix de Fer de 1ère classe. Le croiseur léger français, atteint par une seule bombe à l'arrière, avait pu être réparé. Entre temps, les nazis avaient clamé qu'il avait coulé, note abbé Jean Parent dans ses mémoires : "Lors d'un deuxième débarquement à Namsos, l'Emile-Bertin est bombardé par un avion allemand ; les dégâts sont mineurs, mais la radio italienne annonce que le bâtiment est coulé. Il rentre à Brest pour subir quelques réparations, alors que personne ne l'attend plus". Entre autres haut faits d'armes, ce croiseur français, avant d'être modernisé en 1943 aux USA, évacuera en mai 1940 tout l'or de la Banque de France de Brest vers Halifax en Nouvelle-Écosse. Pour ce qui est de Baumbach, il recevra plus tard la Croix de fer avec feuilles de chêne et glaives (Ritterkreuz des Eisernen Kreuzes mit Eichenlaub und Schwertern), en raison de ses scores effarants de bombardements de navires en Atlantique : on estime en effet qu'il a coulé, lui et son unité, environ 300 000 tonneaux de jauge brute de navires alliés !
Terminées les attaques en piqué, une des missions cruciales qu'on impose au KG-200 à la fin de la guerre est celle des échanges de technicités entre le Japon et l'Allemagne, ce qui lui vaut de connaître parfaitement le pilotage d'avions spécifiques dont nous avons déjà parlé ici, à savoir le JU-290 et son grand frère le 390, dont seuls deux exemplaires on été construits, je le rappelle. Le but est de "doubler" les échanges de haute technicité qui se font par sous- marins, comme nous avons pu le voir.
Le second traitant aussi bien de la guerre électronique et des missions de bombardement spéciales que des transferts sur de longs trajets, parfois jusque la côte Est américaine (on a pu le voir dans les épisodes précédents), ou les missions spéciales lointaines vers la Chine du Nord ou jusqu'au Japon. Enfin, un troisième "Staffel" constitués de pilotes de la Marine (Seeflieger) qui dispose d'un He 115. Il est basé à Rissala en Finlande, se chargeant des opérations de sabotage des convois de Mourmansk ou s'occupant de capter les émissions des stations météo dont nous avons ici-même révélé l'existence dans l'un des épisodes de la série.
La Finlande, mais aussi l'Orient : "Depuis le début de 1944 (peut-être dès novembre 1943) l'éphémère opération Dora & Bunny-Hop a lieu dans le Golfe de Syrte au Libye avec des bases secrètes à Al Mukaram et Wadi Tamet, ainsi qu'à Shott al Jerid derrière la ligne Mareth. Sont utilisés un Messerschmitt Bf 108 Taifun, deux Heinkel He-111, un Dornier Do-288 et un bombardier capturé B-17 qui, bien que gravement endommagé lors d'un raid sur Al Mukaram par un détachement des Force de défense du Soudan, a réussi à revenir à Athènes pour réparation. De même que les services de l'intelligence et météorologique, leur objectif était de faire passer des agents via l'Afrique occidentale française au Caire, Freetown et Durban. Dans la nuit du 27 novembre 1944, les pilotes Braun et Pohl du KG 200 ont effectué à bord d'un Junkers Ju 290 le transport de Vienne à une position juste au sud de Mossoul en Irak, où ils ont réussi à lâcher cinq parachutistes irakiens au clair de lune. L'équipage de la Luftwaffe prend alors le chemin pour l'île de Rhodes, toujours sous occupation allemande. Après quelques problèmes techniques, ils réussissent à évacuer une trentaine de blessés de Rhodes, pour arriver à Vienne deux jours plus tard.", nous dit Wikipédia, soulignant l'attrait du groupe de Baumbach pour le Junkers 290... le groupe manquant d'avion de transport avait déjà pris l'habitude de détourner les avions saisis aux américains pour effectuer ses "livraisons", tel ce B-24G "Sky Pirate" numéro 42-78106 utilisé en Croatie par le KG 200 sous le code NF+FL.
Parmi les prises de guerre, l'une d'entre elles eut une carrière étonnante : c'était un DC-2, devenu l'avion personnel du général allemand Christiansen, qui appréciait visiblement davantage son confort que celui des appareils de la Lutwaffe mis a sa disposition. Un avion acheté par la KLM et saisi en 1940 sur l'aéroport de Schipol lors de l'invasion de la Hollande. Ancien PH-AKT, devenu NA+LA. Parmi les prises tardives des allemands, on trouve en effet également de façon assez étonnante un Grumman Corsair, un avion américain de fabrication. C'est le JT 404 de l'escadron anglais 1841, en partance d'expédition contre le Tirpitz en compagnie des Barracudas torpilleurs qui avaient tenté de couler le cuirassé sans succés (en l'endommageant cependant) : l'appareil, en raison d'une panne avait dû atterrir en urgence à Sorvag, près de Bodo, en Norvège le 18 juillet 1944.
Un beau cas d'espèce, donc, que ce Baumbach, persuadé de l'idéologie nazie qu'il ne reniera jamais. Un fanatique, proche du pouvoir pour avoir mis au point les bombardements en piqué par bombardiers, tels le JU-88 et chargé plus tard d'une autre mission casse- cou : celle de la mise au point d'une des armes parmi les plus étonnantes de la fin de guerre : le Mistel, rarement vu en vol (ou encore plus rarement pris en flagrant délit d'abandon d'appareil).
L'engin était sophistiqué, car pour piloter le JU-88 sacrifié à partir d'un Me-109 ou d'un Focke-Wulf 190 juchés deux bons mètres au dessus de lui, les allemands avaient quasiment inventé les commandes électriques, un astucieux système de conduites souples permettant au chasseur de "pomper" dans les réservoirs de son bombardier pour voler plus loin que la normale pour lui.
Le Mistel était né en fait chez les anglais... avec leur étrange association d'hydravions, celle du Short Mayo, apparu juste avant guerre. L'idée de l'avion porteur avait fait tilt chez les allemands, qui avaient songé tout d'abord à associer un avion motorisé à un... planeur. C'est ainsi qu'il firent des tests avec un invraisemblable montage consistant en un Kl 35 d'un côté et un DFS 230 de l'autre. L'idée n'était pas neuve, donc, mais le projet "Beethoven" si, avec une telle charge explosive. Dans les étranges projets allemands, on trouve de tout et même l'inverse du Mistel : un long JU88 de reconnaissance maritime, larguant un chasseur défensif, un projet appelé Führungsmaschine ou Mistel 3B ! Avec le Mistel 4, ça tourne au délire, avec un Ju 287 b comme porteur et un Me 262 comme largeur. Le projet Mistel 5 n'est guère mieux, le Projet 6 plus raisonné, associant un Arado de reconnaissance radar à une charge Ar E377, une bombe planante guidée chargée d'un liquide incendiaire. Le projet d'Arado 234C muni d'une bombe pilotée Ar E381 suit la même logique, l'avion porteur restant porteur, et larguant un mini chasseur muni d'un canon sur le dos, son pilote étant couché. On retrouvera un appareil entier muni d'une maquette de cet attirail. L'une des dernières propositons étant d'associer un "mosquito" allemand, le Ta 154 à un Fw 190A sous le nom de Pulkzerstörer. D'autres projets furent découverts sur papier : un accouplement de Ju 88G et d'un F&W "long nez" Ta 152H, ou de deux Me 262 dont un démuni de pilote, d'un Dornier 217 larguant une sorte d'avion-fusée, du même larguant un Me 328, pour aboutir au DFS 346 Mistel qui deviendra le projet russe pour vaincre le mur du son ! Une des dernière propositions étant celle du chasseur parasite, accroché à la soute à bombes, que les américains reprendront avec leur mini-chasseur "Goblin". Bref, les projets de fin de règne hitlérien partaient dans tous les sens. Pour satisfaire les délires d'Hitler, l'imagination des constructeurs était prête à tout ! Ironie du sort, en 1945, dans le parc des appareils ramenés d'Allemagne en prise de guerre, figurait un Mistel (cliquez sur les zones pour le découvrir).
Les Mistel plus "classiques" seront une nouvelle fois utilisés pour un autre objectif : "Tous les Mistel ont été placés sous le commandement du KG200 et de l'Oberst (Colonel) Joachim Helbig. En fin 1944, l'accent est mis sur toutes les attaques sur les armements soviétiques et les centrales électriques, mais en mars 1945, les bases aériennes sont impraticables par l'avance soviétique. Le KG 200 reçoit l'ordre de concentrer les opérations de Mistel contre les ponts sur l'Oder et Neisse. Le 27 avril 1945, 7 avions Mistel sous le commandement du Leutnant Dittmann du II./KG 200, escortés par des Fw 190, sont lancés contre les passages à Küstrin, mais seulement deux Mistels atteignent leur objectif, les résultats ne sont pas concluants et les ponts sont demeurés intacts. En avril, les unités de Mistel sont dissoutes et le personnel navigant dispersé dans des unités de combat à proximité."
Werner Baumbach sera arrêté le 23 mai 1945 (avec Dönitz) et passera trois ans comme prisonnier de guerre. Pas une fois il ne parlera de ses missions "spéciales", et les alliés finirent par le relâcher sans autre forme de procès, ce qui demeure très étonnant, sachant qui il avait côtoyé dans son bataillon, telle Hanna Reitsch, elle aussi fort proche du pouvoir, soupçonnée d'avoir véhiculé elle aussi des dignitaires à la fin du conflit (nous y reviendrons je suppose). Comme de nombreux de ses collègues, il quitta alors l'Allemagne... pour l'Argentine, bien sûr, serait-on tenté de dire : Juan Péron recrutait alors des pilotes d'essais, et Baumbach ne pouvait laisser passer l'aubaine. Péron souhaitant fabriquer lui aussi sa propre bombe atomique, à partir, on l'a vu des travaux pipés de Richter ,et avait acheté aux anglais ce qui aurait pu en constituer le vecteur à moindre coût : l'Avro Lincoln, version survitaminée du bon vieux Lancaster.
En attendant ses Lincoln, l'Argentine avait acheté un lot de Lancaster, dont cet ex-PA376, (ci-dessus en photo) muni d'un registre "civil", le G-11-15 avant d'être livré aux argentins sous le numéro B-032. C'est en évaluant l'un de ces premiers exemplaires fournis, le B-036 (crédité parfois d'avoir explosé après un test raté de missile, ce qui est possible pour le crash de Baumbach) qu'il se tuera près de Buenos Aires, dans le Rio de la Plata. Il n'avait alors que 37 ans, et avait commencé à combattre sur Junkers 88 à 23 ans ! Son corps fut rapatrié ensuite dans sa ville natale de Cloppenburg. Lors de la cérémonie funèbre au cimetière allemand de Buenos Aires, en présense de sa femme et de ses trois enfants, on remarqua l'hommage appuyé rendu par le général Adolf Galland, ainsi que la lecture d'une lettre d'Hans Ulrich Rudel ("le tueur de chars"). Étaient également présents ce jour-là l'ambassadeur d'Allemagne de l'Ouest et les hauts fonctionnaires de l'Etat argentin, bien de connivence sur un tel aréopage.
PS : l'extrait de BD au milieu est extrait de Romain Hugault Le grand Duc Tome 3 – aux Editions Paquet.
sur le KG 200 : http://www.flight-simulator-world.org/histoire/histoire-sur-la-2-guerre-mondiale/escadrille-kg-200.html
Sur le Mistel la référence est le N°465 d'août 2008 du Fana de l'Aviation, bible incontestée en la matière.
complété de :
http://www.warbirdsresourcegroup.org/LRG/mistral.html
du site obligatoire sur le sujet
http://webspace.webring.com/people/du/um_5166/mistel/mistel.htm
et du slide show Mistel :