La libération (7) : un radar a emporter

par morice
mardi 24 août 2010

A guerre nouvelle, techniques nouvelles : à la fin du conflit, les allemands en sont à diriger des drones armés avec un joystick : c’est dire le cap que la seconde guerre mondiale a fait passer, le bon énorme qui sépare la première de la seconde guerre mondiale et ses tranchées d’un autre âge. Parmi les inventions qui vont révolutionner cette guerre, celle du radar. Les anglais ont les leurs sur la côté déjà, des énormes antennes, pour surveiller l’arrivée des avions allemands. Ces derniers en ont d’autres, beaucoup plus petits, développés par la firme Telefunken. Les informations sur ce matériel vont provenir début 1939 de l’ambassade de Norvège, qui en donne même le nom : ou plutôt les deux noms : ceux du radar Wurzburg et du radar Freya. Le rapport est tellement précis que les anglais, au début, n’y croient pas. Jusqu’en décembre de la même année... où le cuirassé Graf Von Spee est coulé (plutôt sabordé) dans l’embouchure du Rio de la Plata. Enfin coule, il s’enfonce et ses structures supérieures restent au dessus de l’eau. Et là, en haut de son plus haut mât, une étrange grille apparaît. Celle d’un engin appelé Seetakt par les allemands... un radar de type Freya !

Passons sur la revendication française de l’invention " : la date de la création du radar français est authentifiée par les rapports sur les essais effectués de mai à juillet 1934 ainsi que par le dépôt le 20 juillet 1934 du brevet no 788.795 nouveau système de repérage d’obstacles et ses applications, au nom de la Compagnie générale de Télégraphie sans fil. " L’engin fut effectivement testé sur le cargo Orégon puis sur le Normandie, corroborés par plusieurs témoins : "les essais sur l’Orégon en traversant de Bordeaux au Havre furent très satisfaisants car les autres navires et les côtes étaient nettement détectés jusqu’à 10 à 12 milles, donc à une vingtaine de kilomètres, même avec les ondes de 16 cm, ce qui était très remarquable à une époque où l’on ne savait pas encore fabriquer des magnétrons donnant une forte puissance sur des fréquences aussi élevées". L’invention de l’ingénieur Emile Girardeau n’est pas allée plus loin. L’armée française achétera en 1939 des radars américains. Pourquoi donc, personne n’en sait trop rien : en tout cas, les essais français été restés secrets en raison des... allemands. Il reste que le Normandie est bien le premier paquebot pouvant détecter les icebergs et ce, dès 1935 !
 
Giraudeau a une belle histoire derrière lui :"aussitôt après l’invasion allemande, il reste à Paris et continue à diriger le groupe placé sous la tutelle de Telefunken dont les dirigeants, raconte Girardeau dans ses mémoires, lui indiquaient quels étaient parmi les représentants de la société allemande, les membres du NSDAP dont il fallait se méfier. Girardeau a été intégré dans le réseau de résistance Vélite-Thermopyles." Les scientifiques allemands dépêchés à Paris par Telefunken avaient bien reconnu en lui un découvreur.
 
L’engin qui intrigue au sommet du mât du Graf Spee a été inventé par trois ingénieurs allemands : Hans Hollmann, Hans-Karl von Willisen et Paul-Günther Erbslöh qui avaient créé en 1928, une "société d’appareillages électro-acoustiques et mécaniques " ou GEMA (pour Gesellschaft für Elektroakustische und Mechanische Apparate). Dès 1934, la Gema à réussi à fabriquer une ébauche de radar qui détecte les navires à 10 km. C’est à partir d’un générateur d’ondes pulsées micrométrique qui a en fait été conçu lors de l’expédition antarctique allemande de 1933 ! La longue nuit polaire et l’absence d’interférences urbaines ayant facilité sa fabrication et sa mise au point. Etonnant parcours !
 
L’année suivante, ils affinent leur découverte avec un nouveau radar qui vient en complément du premier : l’antenne en assemblage de dipôles devient le fameux Seetakt qui opère en 80 cm de longueur d’onde, et dont la version "terrestre", le Freya, qui travaille en 120 cm, et une tout autre engin en forme de coupole avec un émetteur/capteur dipôle rotatif placé sur un court mât central : c’est le Wurzburg. Les deux sont complémentaires : le radar de type Freya détecte l’avion à longue distance, et le Würzburg se cale alors sur l’emplacement déterminé par le premier radar et arrive à calculer sa distance et son altitude, lorsque celui-ci s’approche. Il peut déterminer l’avion à 50 m près : c’est donc une arme redoutable pour la DCA. Techniquement, le radar d’Hollmann utilise son brevet déposé en 1935 de klystron, alors que les américains et les anglais travaillent avec un "magnétron à multiples cavités résonnantes"... or le klystron aurait été inventé par deux américains, Russel et Sigurd Varian, en 1937 à l’université Stanford parait-il ! Cependant, Hollman a déjà écrit un ouvrage, deux ans auparavant, qui s’intitule "Seeing by Means of Electromagnetic Waves" où sont décrites ses recherches. Dans le domaine du radar, comme pour d’autres inventions, on en conclura aux inventeurs multiples.
 
Les américains comme les anglais travaillent en effet sur les mêmes recherches que les allemands, mais les USA sont en retard, non pas sur la recherche, mais dans les applications militaires, les anglais ayant leur défense côtière entièrement ceinturée d’énormes antennes inventées par "le sauveur du pays", sir Robert Watson Watt, depuis 1936 déjà (le "Chain Home", des antennes de 100 m de haut). Les américains à l’entrée en guerre, n’ont eux que deux radars de chez RCA de disponibles : le SCR-268 et le SCR-270, voisins du Freya. Le second a été surnommé le "radar de Pearl Harbor", car c’est sur son écran que les avions japonais vont soudainement apparaître. Ils développeront tardivement un radar météo, l’A/CP-9, à l’antenne rotative bien connue. Au début de la guerre. Les américains s’orienteront vers la version de type Freya plutôt comme celui qui équipe le Graf Spee. Ainsi le radar de veille CXAM-1 de chez RCA qui équipe le porte-avion Yorktown est capable de détecter des avions à 50 miles et des bateaux à 14 miles. Mais il n’a pas tout à fait le même aspect que le Freya. L’engin qui permettait de faire des radars plus petits, le magnétron n’est pas encore au point, ce qui impose le recours à des fréquences basses où les antennes filaires suffisent. D’autres modèles allemands existent : dans le film du soldat Ryan, le radar visible est un modèle de la Kriegsmarine. Un FuMO 51 Mammut. Même les U-Boot en auront un, mais il s’avérera inefficace et fragile. 
 
 
Les allemands vont tenter un coup de poker quelques semaines avant le début de la guerre. Il vont tenter à plusieurs reprises de découvrir les fréquence des radars anglais. De mai à août 1939, un dirigeable "civil", le Zeppelin LZ130 Graf Zeppelin II va s’approcher à plusieurs reprises des antennes, au prétextes de voyages civils, bourré de capteurs et d’espions : les anglais, prévenus par les suédois... éteigneront heureusement leurs antennes, et les allemands repartiront bredouilles. Cela sauvera en fait le pays lors de la Bataillle d’Angeterre !
 
 
Les anglais sont donc au courant dès 1939 de l’existence de deux modèles allemands, mais n’en n’ont aperçu pour l’instant que le premier. La chasse au Wurzburg commence. Elle s’avère assez vite fructueuse, grâce aux recoupements des services secrets informés par la résistance française. Notamment celui du colonel Rémy et son réseau de renseignement de la Confrérie Notre-Dame. Les résistants ont informé les anglais d’une installation très surveillée sur la côte du pays de Caux, près de Bruneval : mais un premier passage d’avion de reconnaissance ne détecte rien. On délègue alors un spécialiste du vol en rase-mottes, le Squadron Leader Tony Hill, qui survole à très basse altitude, non armé, un presbytère où stationnent 100 allemands, à deux pas d’une énorme villa, en bord de falaise. Sa mission est dictée par le Docteur R V Jones, le spécialiste des radars anglais : rechercher ce qui ressemble à un affût de DCA et qui pourrait être le nouveau radar. Pour cela le pilote devra voler à 60 m d’altitude maxi : les caméras double (stéréoscopiques !) de l’aile droite de son Spitire rose prêtes à se déclencher (sur son aile gauche on a disposé un réservoir pour contrebalancer leur poids, sur un autre modèle elles étaient derrière le pilote). La mission risquée du 5 décembre 1941 de Tony Hill sera riche de renseignements : pour la première fois, le radar Wurzburg est photographié, et il ne ressemble à rien de connu à l’époque. C’est une petite coupelle, il est donc très avancé technologiquement. Pour le Docteur R.V. Jones, c’est simple : il en faut un exemplaire pour déterminer sa ou ses fréquences, si on veut contrecarrer son efficacité. L’opération Biting est née. C’est une des plus audacieuses de la seconde guerre mondiale.
 
L’idée est d’envoyer un commando de parachutistes, d’aller démonter le radar, de le photographier, d’en prendre en dix minutes les pièces principales et de le faire ensuite sauter, pour faire croire à une destruction seule. Le hic, c’est que sous l’affût du radar, des charges sont disposées pour le détruire en cas d’attaque : il va falloir agîr avec une extrême vitesse : heureusement pour les anglais charge et détonateur sont dans deux endroits différents. Pour cela, on réunit la crême des commandos, qui sera commandé par le Major J.D.Frost. Le commando s’entraîne dur, et est parachuté à 70 m de haut seulement de 12 bombardiers Whitley le 27 février 1942, avec au milieu d’eux le Flight Sergeant C.W.Cox, un ingénieur chargé de scier ou de démonter les éléments essentiels du radar. L’opération va se passer comme prévu, à la minute près, à l’ordre du sifflet du Major J.D.Frost. L’idée est de faire aussi un prisonnier, pour le fonctionnement de l’appareil : ce qui sera fait aussi, malgré l’arrivée d’une compagnie d’allemands venue dans trois camions. Les commandos repartent avec leur butin vers la plage où doivent venir les embarquer des péniches à fond plat anglaises. Celles-ci tarderont à arriver, ayant croisé un sous-marin et un destroyer allemand sur leur route. L’ensemble de l’opération a duré deux heures pas plus ! Frost a ramené le principal : le dipôle du mât de la coupelle (et le prisonnier !). Avec ça, il y a déjà de quoi faire. 
 
Et effectivement : à l’examen des pièces du Wurzburg ramenées, le Docteur R V Jones se rend compte en effet que sa fréquence ne peut être modifiée : c’est une faille certaine de l’appareil. Sa fréquence découverte, la parade peut être trouvée et elle sera extrêmement simple. Il suffit de le leurrer en diffusant par milliers des bandes métalliques coupées à la demi-fréquence de l’onde émettrice du radar, qui va y voir des avions et non de simples leurres. "L’emploi de rubans d’aluminium dénommés « Window » fut une parade spectaculaire et très efficace contre le radar allemand. Les savants du service de recherches de la R. A. F. avaient en effet découvert qu’un certain nombre de ces rubans tombant en groupe serré, mais sans se toucher, produisait sur l’écran d’un détecteur radar un « écho » comparable à celui d’un avion. D’autre part, en lâchant une quantité suffisante de ces rubans à intervalles réguliers, on pouvait entièrement brouiller l’écran ou créer une telle profusion d’échos que les opérateurs ennemis ne distinguaient plus les vrais des faux. L’emploi de la « Window » remonte au premier des quatre grands raids qui rasèrent Hambourg, au cours de la dernière semaine de juillet 1943. Chacun des 791 bombardiers qui prirent part à l’attaque lâchait un paquet de 2 000 rubans d’aluminium toutes les minutes en volant ver l’objectif. En admettant que chaque paquet ait donné un écho de quinze minutes de durée, l’ennemi crut voir sur ses écrans durant le raid, quelque chose comme 12 500 avions. Sur la défense allemande commandée par radar, l’effet fut immédiat et causa des dégâts considérables (*)". Les canons de la flak tirèrent donc sur des bandelettes. Il était temps : l’Allemagne à la fin de la guerre est littéralement couverte de radars.
 
Et comme le procédé marchait très bien, et que les allemands ne pouvaient y remédier, on l’emploiera aussi lors du débarquement allié, ce qui est beaucoup moins connu (**). "Des bateaux de le Royal Navy, filant 7 noeuds, croisaient au moment voulu au large du cap d’Antifer, au nord du Havre, pour créer l’impression qu’un débarquement allait être tenté en ce point de la côte. Chaque bateau remorquait plusieurs ballons à très basse altitude qui devaient donner sur les écrans du radar ennemi « un écho de gros navire ». Mais comme l’ennemi risquait en fin de compte de s’apercevoir que l’envahisseur ne disposait là que d’effectifs limités, 12 avions survolant les bateaux laissaient tomber des paquets de « Windows » de minute en minute pour simuler la présence d’un important convoi voguant lentement en direction des côtes de France. Une onde de brouillage continue, émise par chaque avion, devait empêcher les radars allemands de déceler la supercherie". Le brouillage réclama une organisation sans faille, avec des avions qui volaient aux mêmes distances les un des autres et aux mêmes vitesses : bref, il fallait des "pros", respectueux des ordres à suivre à la lettre.
 
"Il était important de suivre ponctuellement l’horaire prévu et, pendant trois heures et demie, les avions survolèrent une zone de 18 kilomètres de long sur 12 de large. Pendant ce temps, le R. C. M. (le brouillage anglais) menait à bien une ruse identique, axée cette fois sur Boulogne. Dans le secteur compris entre ces deux opérations de diversion, 29 bombardiers Lancaster firent la navette, quatre heures durant, au large des côtes pour attirer à eux les chasseurs de la Luftwaffe et dégarnir ainsi de leur protection aérienne les secteurs où s’opérait le débarquement réel. Pas moins de 82 émetteurs montés sur ces 29 bombardiers brouillaient sans interruption les radars adverses. On espérait aussi que le va-et-vient continuel de ces avions passerait, aux yeux de l’ennemi, pour une opération de couverture destinée à protéger le débarquement". A noter que lors des Operations Taxable, ce sont les Avro Lancasters de la fameuse escadrille No. 617 Squadron RAF des "Dam Busters" qui s’occupèrent du cap d’Antifer, alors que dans l’opération Glimmer, ce furent les Short Stirlin du No. 218 Squadron de la RAF Gold Coast qui suivirent la direction de Boulogne. C’est bien la fin, ce jour là, de la "bataille des rayons". Après guerre, Edgar P. Jacobs peut sortir SOS Météores (en 1959), et évoquer le réchauffement climatique à partir de radars manipulés !
 
Ils connaîtront une deuxième vie, après guerre, en effet, ces radars.... dans les prévisions météo. Sir Watson Watt avait bien débuté comme météorologue.... En novembre 1947, le magazine américain Popular Mechanics, dans sa version française présentait en couverture un de ces radars : c’est un Freya allemand modèl FuMG 39G et non un modèle RCA. Même pas déguisé. L’Allemagne, en 1945 était truffée de radars  : dans l’opération Paperclip, une section spéciale s’est chargée d’en ramasser les principaux : il n’y a pas que le V-1,V-2, et les Arado 234 ou les Messerschmitt 262 voire les Heinkel 162 qui ont été ramenés. Mais Hollman ne fera pas partie du trajet : à l’époque, il demeure toujours en Allemagne. Mais, à cours d’argent dans son laboratoire, il décide de lui-même de rejoindre les USA en Californie où il meurt le 19 novembre 1960. L’homme n’avait eu aucune sympathie pour l’hitlérisme : en 1941 il avait même écopé d’une amende de 5000 DM pour avoir insulté un membre du parti nazi. Ultime retombée de ses découvertes : les russes, dans leur programme spatial, utiliseront des copies de type Freya en bande plus étroite pour suivre par exemple leur satellite lunaire Luna III (Lunik III) : plusieurs stations Freya étaient couplées pour suivre la trajectoire de l’engin.
 
 
(* et **)  "Dans les coulisses de la guerre secrète" Selection du Reader’s Digest 1965 p 424 et 427.
 
Source principale : Janusz Piekalkiewicz, "les grandes réussites de l’espionnage. Fayard/Paris Match 1971.
 
Sur l’opération "Taxable" et l’opération Glimmer, celle des leurres pendant le débarquement, lire l’article page 34-38 du Fana de l’Aviation N°440
 
le site indispensable :
http://www.radarpages.co.uk/index.htm

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