La liberté finit là où commence celle d’autrui

par Desmaretz Gérard
samedi 3 septembre 2016

Nous vivons dans une République démocratique et laïque dans laquelle tout un chacun peut, en principe, exprimer une idée ou porter un regard différent sur celui des autres, condition indispensable pour former la base de l'esprit critique qui se soumet à la discussion et approfondit la contradiction citoyenne. Cette approche appartient désormais au passé puisqu'il ne nous est plus permis de nous exprimer sur certains sujets. Des lois dictées à nos représentants politiques par des lobbies ou associations prévalent, avec de leur part l'outrecuidance à se poser en victimes alors qu'ils sont les instigateurs de provocations éhontées ! Comment un citoyen pourrait-il dès lors participer à l'avancement de la société en exprimant une opinion allant à l'encontre de l'effet moutonier ?

Au XXI° siècle, le multimédia a investi la sphère de l'esprit critique et certains internautes pensent comprendre et interpréter à bon escient les très nombreuses informations qui pourtant les submergent. Les faits se bousculent en interaction avec le sensationnel pour en faire un fait extraordinaire avant que l'un ne vienne en chasser un autre. La tendance spontanée de l'homme est de croire ce qu'on lui dit, surtout si elle provient d'une source réputée fiable. Pendant longtemps, l'acquisition et le développement de l'esprit critique ont été dévolus à l'école publique dans le cadre de la formation du citoyen en devenir, particulièrement au travers des leçons d'histoire chargées de la formation du sentiment d'appartenance nationale. « Si l'écolier ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son fusil, l'instituteur aura perdu son temps (E. Lavisse 1912). » Les enfants d'aujourd'hui voient en la personne de l'enseignant un référent culturel..., et une frange conteste certains passages d'une histoire ressuscitée (croisades, épopée coloniale, guerres d'indépendance, etc.) ; comment affirmer et établir certains faits de manière indubitable sans parler de la subjectivité des programmes sur le choix des documents.

L'esprit critique reste le rempart pour ne pas retomber dans l'hétéronomie contraire à l'idéal démocratique. On a parfois l'impression que l'esprit critique est simplement affaire de bon sens, rien n'est plus faux. L'esprit critique requiert : d'être capable de choisir, de juger, de discerner, de séparer et de décider. Il se veut sceptique et se méfie : des idées toutes faites - du conformisme - des idéologies - ou des théories régnantes. L'esprit critique ne saurait se plier à un argument d'autorité, à des pressions externes, internes, ou de quelconques effets de mode. « L'esprit critique est réflexif, il ne se contente pas de percevoir ni d'assimiler des informations brutes, il analyse avec recul et discernement ce qui est soumis à sa pensée. Rien n'est définitif, d'autres nous ont précédés et nos successeurs disposeront de nouvelles sources qui leur permettront de poser des questions plus fines et ainsi corriger et compléter nos énoncés. »

Les réformes de l'enseignement de l'histoire et les programmes retenus ne sont pas anodins. La réforme Haby (1976) a entériné la rupture de l'histoire nationale, le rôle de l'enseignant est davantage de former un citoyen ouvert à d'autres cultures. Adieu les grandes images d'Épinal : Vercingétorix, Jeanne d'Arc, etc., destinées à faire oublier la défaite de 1870. Le ministre Jean-Pierre Chevénement confronté à « La crise de l'identité nationale » voulait renouer avec des valeurs républicaines plus consensuelles... Les réformes dictées par le seul souci politique ne cesseront de se succéder. Les enfants de la République, toutes origines confondues, doivent se reconnaitre dans l'État-nation au travers d'une l'histoire de France revisitée, adaptée, et à l'explication rassurante (simplisme) afin de ne froisser aucun citoyen d'origine étrangère. Si l'histoire est devenue tributaire du présent, ce n'en est pas pour autant qu'il faille tout nier, ni ériger le scepticisme ou la marginalité en vérité. Le volontarisme politique ne consiste-t-il pas à faire dire aux documents ce que l'on veut souligner ? Comment peut-on établir que les faits sont sûrs et certains, comment expliquer des faits passés à la lueur du présent dans un langage actuel ?

Les historiens « génèrent un discours sur le passé » (H. White). Prendre une interprétation subjective du passé pour un véritable savoir et passer d'une attitude passive à une attitude active ou adhésion reste une solution de facilité dénuée d'esprit critique. A l'inverse, dire que l'on n'est sûr de rien, que la vérité est multiple, ou que la vérité reste relative, c'est courir le risque de tomber dans l'hypercritique qui fait passer les faits au second plan (prouvez ce que vous avancez ou prouvez que j'ai tort) au profit du débat idéologique ou politique ce qui revient à peu de chose près au même, c'est à dire servir les intérêts d'un des interlocuteur plutôt que d'argumenter, ce dernier peut mentir (par contrainte, par sympathie, fidélité au groupe, ou par vanité) jusqu'à en oublier toute probité intellectuelle. L'obéissance n'est pas forcément une valeur, la non-obéissance peut être une vertu. « La France est le pays le moins révolutionnaire du monde, le plus attaché à ses désuétudes, le plus lent à se retourner vers un régime inédit. » En ce qui concerne la démocratie : « des hommes ont cru l'avoir rencontré, mais les foules l'attendent encore. »


Lire l'article complet, et les commentaires