La « main invisible » du marché du phosphore

par Sirius
jeudi 22 décembre 2022

Quand l'URSS existait encore, les deux principaux arguments des économistes hostiles au système et favorables à l'économie de marché étaient les suivants :

La disparition de l'URSS est-elle due à ces causes ou à d'autres, politiques, stratégiques miliataires ? Chacun a son point de vue là-dessus. Mais force est de constater que le système d'économie de marché (libéralisme ?) dans lequel nous vivons s'est, lui aussi fourvoyé dans une production "globalisée" à l'échelle de la planète et plus seulement d'un seul continent, et que les monopoles privés produisent aussi des pénuries quand des accidents de production, volontaires (spéculatifs) ou pas surviennent (moutarde, masques, pétrole, gaz, etc.).

Or aujourd'hui, l'approvisionnement en phosphore est de plus en plus perturbé, et le système alimentaire, mondialisé, lui aussi se montre très vulnérable aux pénuries d'un composant clé des engrais, causées par les turbulences géopolitiques.

On ne peut pas produire de nourriture sans phosphore, sous forme de phosphate, car toutes les plantes et tous les animaux en ont besoin pour se développer. Pas de phosphore, pas de vie, (à condition de respecter le dosage). Et de fait, que l'on soit pour ou contre le type d'agriculture pratiqué dans nos pays "développés", les engrais minéraux à base de phosphore, d'azote et de potassium (NPK) sont devenus essentiels pour assurer l'approvisionnement du système alimentaire mondial.

Pour l'élaboration des engrais minéraux (utilisés en beaucoup plus grande quantité que les effluents d'élevage), la majeure partie du phosphore utilisé provient de roches phosphatées (non renouvelables) et il ne peut pas être synthétisée artificiellement. Tous les agriculteurs des pays "développés" doivent donc passer par là, mais 85 % des roches phosphatées à haute teneur sont concentrés dans seulement cinq pays : l'Algérie, l'Egypte, le Maroc, la Chine et l'Afrique du Sud.

Cela rend le système alimentaire mondial très vulnérable aux perturbations de l'approvisionnement en phosphore qui peuvent entraîner des flambées brutales des prix. Par exemple, en 2008, le prix des engrais phosphatés a grimpé de 800 %.

Pour aggraver la situation, il s'avère que l'utilisation du phosphore en agronomie, et malgré des mesures adminsitratives contraignantes sur les processus à respecter, continue à provoquer des dégâts environnementaux importants : il est "lessivé" par les pluies et s'écoule des terres agricoles dans les rivières et les lacs, polluant l'eau qui à son tour empoisonne les poissons et les plantes et rend l'eau non potable. En ce qui concerne l'impact sur les biotopes, les limites admissibles des doses de phosphore qui s'écoule dans les systèmes aquatiques ont depuis longtemps été transgressées.

À moins de transformer fondamentalement notre façon d'utiliser le phosphore, toute rupture d'approvisionnement entraînera une crise alimentaire mondiale puisque la plupart des pays dépendenten grande partie des engrais importés. Utiliser le phosphore de manière plus réfléchie, notamment en utilisant davantage de phosphore recyclé, serait déjà un moindre mal pour la santé des rivières et les lacs déjà contaminés.

On constate en ce moment une troisième flambée des prix des engrais phosphatés pour les 50 dernières années, expliquées dans la presse dominante par la politique "zéro covid" de la Chine (premier exportateur) qui a bloqué les ports et imposé de nouveaux tarifs, et même grâce à la pandémie de Covid-19, la Chine (le plus gros exportateur) imposant des tarifs à l'exportation et même par le blacage des exportations russes, comme pour le pétrole et le gaz !

Les prix des engrais ont quadruplé en deux ans et sont toujours à leur plus haut niveau depuis 2008.

Malgré son importance cruciale, il n'existe pas de cadre global pour la gestion du phosphore à l'échelle mondiale. La question est d'ailleurs absente des pourparlers, débats et négociations internationales. Et dans les pays où une réglementation sur le phosphore existe, elle est souvent obsolète et se limite à la préservation de l'environnement, sans prendre en compte la sécurité alimentaire. Les politiques concernées se sont généralement concentrées sur l'élimination du phosphore des eaux usées pour prévenir la pollution de l'eau ou pour encourager les agriculteurs à fertiliser les champs avec du phosphore d'origine animale (fumier et lisier), ou tout simplement à utiliser moins de phosphore. C'est déjà ça, mais ces mesures ne prennent pas en compte les conséquence de la présente de phosphates dans la production de l'industrie agro-alimentaire.

Or, d'ici à ce que soit déciée une "transition" vers une agriculture raisonnée, contrôlée etsoumirs à des sanctions en cas d'infractions, il est probale que de nouvelles perturbations de l'approvisionnement en phospore aura des conséquences catastrophiques sur le système alimentaire international. Les exploitations agricoles risquent de ne pas pouvoir supporter des coûts de production excessifs, déclarer forfait et, pour celles qui resteront, les rendements risquent d'être ramenés à ce qu'ils étaient autrefois. La qualité y gagnerait, sauf que les plus démunis n'auraient plus les moyens de s'alimenter en achetant des produits plus sains mais inaccessibles en ce qui concerne les tarifs.

Les solutions ? Il existe plusieurs pistes :

Certaines de ces actions sont d'ailleurs déjà en application à petite échelle. Pour les généraliser, il ne suffit pas de "bonne volonté" de la part de chacun des acteurs. Cela suppsose l'engagement de tous les secteurs concernés et la coordination des actions par les états eux-mêmes (tant qu'ils existent). La stratégie à mettre en œuvre doit impliquer les agriculteurs, les régulateurs, les décideurs politiques, les producteurs alimentaires, les entreprises de traitement des eaux usées et les gestionnaires de l'environnement. Si cette concertation n'est pas possible, alors il faut continuer à se fier à la "main invisible du marché" d'Adam Smith. Contrairement à ce qui est exprimé par ses défenseurs, il est probable que cette main ne soit pas qu'invisible : elle s'est révélée aveugle dans les dégats collatéraux qu'elle provoque.


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