La méchanceté, tout un art

par L’enfoiré
mercredi 12 août 2009

Le Magazine Littéraire de cet été avait un dossier très complet sur l’Art de la méchanceté. En littérature, c’est par un échange de mots parfois « verts » avec une certaine méchanceté que l’on remplace un coup de poing bien placé. Mais, alors comment exerce-t-elle son art, cette méchanceté et quelle est son histoire ?

Quelques chapitres de ce dossier devraient nous éclairer sur les épisodes d’une mise en condition pour exercer l’Art de la méchanceté.

Un forum n’est pas exempt de ce genre d’exercice. "Parlons peu mais parlons bien" disait, une rédactrice de l’un d’eux qui entamait le sujet avec des yeux féminins, en s’adressant aux "collègues" rédacteurs de cette enceinte virtuelle. Le souci d’annihiler l’agressivité était le maître mot de son article poussé par les inquiétudes de notre époque qui rencontre la concurrence, les barrières et qui empêchent de respirer convenablement, disait-elle. Déshumaniser les relations humaines semblait son plus grand reproche. Pourtant le malin plaisir de refroidir les instincts, les plus humanistes, de nuire son prochain, se cachait derrière quelques répliques qui suivirent. Alors, cette fois, appelons un chat, un chat. Le mot "méchanceté" n’avait même pas été effleuré dans l’article. Etudions-en les arcanes dans le passé et dans notre présent. 

Il y a les critiques littéraires officiels, ceux qui sont là pour orienter les lecteurs, pour donner une leçon, violente à la base ou non vers l’auteur du texte. Ce filtre peut prendre le mauvais chemin et faire dévier l’initiateur de l’œuvre littéraire pour mauvaise compréhension des buts. L’amour de la réplique poivrée vient comme maître-atout. L’oeuvre écrite manque d’aisances dans le droit de réponse et d’interactivité. Alors, l’auteur s’en retrouvera parfois groggy, mais c’est la règle du jeu.

L’interactivité devrait, pourtant, avoir une place prépondérante. Dans les forums virtuels de la Toile, ce n’est pas le cas. Certains auteurs se payent un maximum d’interventions sous forme de trolls sans consistance, haineuses, partisanes, entrecoupés, heureusement, de passages plus intéressants. La propagande n’est pas exempte des forums et mérite des alertes avec réactions bien musclées. Placer son désaccord, sans précisions, n’a pas la moindre efficacité, ça c’est sûr. Mais l’anonymat a permis de descendre le niveau et la valeur proactive des interventions.

"Pimenter" pour faire mouche avec le moins de mots possible est pratiqué depuis la plus haute Antiquité. Des hiéroglyphes prouvent que Les anciens Egyptiens osaient critiquer leur Pharaon par leurs petites faiblesses.

Tout le monde se rappelle du panache de la tirade du nez de Cyrano de Bergerac. De l’humour grinçant, mais de l’humour vrai et bien construit. Pas de méchanceté bête. Une réplique, sans faux fuyant, vaut tous les discours de la Terre. Tout le monde n’est pas à mène de faire usage des bons mots bien salés et poivrés. Il faut de l’expertise et de la connaissance du sujet pour enrayer toute contre attaque. Prévoir l’imprévisible. La rixe oratoire n’en sera que plus belle que si les pouvoirs ne sont pas plus forts d’un côté que de l’autre de la barrière. A armes égales, cela devient un arc et une flèche. Une flèche et un arc. Rapports de forces égaux sans disgrâce politique. De la belle ouvrage. La diplomatie viendra par après.

Le pouvoir, le côté racial cassent tout et s’interpose pour tomber dans l’idiotie. La subtilité est ailleurs et se cache derrière les ambiguïtés de haut vol. Pas de deuxième essais ou alors de la même veine. Les plus beaux succès viennent d’ailleurs suite à une réaction au conformisme et à la bêtise. Énoncé d’une traite presque magique et par surprise avec une technique mortifère sans intention de la donnée. Citations avec le moins de mots possible. Nous en verrons quelques "goals" de la sorte en fin d’article. Art du mal par la persuasion de l’absurde de situation, révélé au vol d’une phrase. Si l’interlocuteur a l’intelligence d’en rire, c’est gagné par ricochet. "Les cris désespérés sont les chants les plus beaux", disait Musset. Les spectateurs se régalerons de l’échange.

Les paroles dans le réel des rencontres physiques ne permettent pas cette répartie. La rapidité et la surprise des réactions à données fait plus partie du hasard.

Dans l’écrit, le temps et la surprise sont d’un autre ordre. La répartie devient un sport dans le recueillement d’une feuille blanche, d’un texte écrit préalable ou par l’intermédiaire d’un écran. Là, c’est du recul, du calcul, de la recherche qui est nécessaire. Le jeu d’échec commence. Le premier qui avance son pion, ne sera pas forcément celui qui fera le "Mat". Le fou n’est pas celui que l’on croit. Pas de limite de temps. Des coups à l’avance pour le bien de la partie. L’expérience de ce "jeu" peut se donner une chance par la pratique de l’humour sans verser dans la rixe et la colère.

Ce qui est désolant, c’est que sous le couvert de pseudos, la méchanceté gratuite a souvent tendance à exploser. La vie actuelle est plus agressive, pourquoi pas leurs reflets. Le pseudo, faussement incognito, donne de l’assurance à l’auteur "disgracieux" ou "irrespectueux". Plus besoin d’être original et humoristique sans étiquette. Les réponses deviennent partielles et partiales. On élimine les points qui dérangent. Le jeu de ping-pong est sans allant. C’est un combat entre un mouton et un moutonné à qui perd gagne. La victoire à la Pyrrhus finale, dégoûtera son vainqueur. Dès lors, si on n’a pas atteint le fond, on commence très vite à en sentir les odeurs.

Chacun a sa technique de réponse aux invectives. Fabriquer sa réplique est affaire de doigté et de persuasion qui se veut un correspondant à la hauteur. Pas de secret, pas d’adaptation d’une situation sur une autre. Du coup par coup. Pas d’ego transposable vers un autre. Seulement des règles de respect de règles implicites du "jeu" mais qui ferait patiner l’originalité. L’art de la méchanceté se joue comme la vie. Rien n’est gratuit. La faille, chez l’autre, se découvre parfois après des recherches. Sans mentir ou pervertir la réalité.

"Le poids des mots face aux idées", écrivais-je un jour pour exprimer les différences de cultures.

Anne Roumanoff caracolait, avec humour, "Dire du mal de soi aux autres, c’est idiot. C’est leur donner des idées qu’ils n’auraient pas forcément eues tout seul".

La presse n’est pas plus tendre et ici, il s’agit de BD et de Tintin.

Il est vrai que c’est surtout "

A cash city" qu’il ne faut pas avoir de faux espoirs.

En remontant le temps, même sans Internet, des querelles ont été épiques et parfois dans des luttes plus meurtrières moralement que physique.

Le magazine littéraire parlait de Catulle et de son émule Martial qui faisaient les délices de la polémique insidieuse et crue, par l’intermédiaire des épigramme. La politique s’introduit, alors, avec le danger de la posture, sans réel argumentaire, dans un rapport de forces au bras de fer, y était-il précisé.

Le venin se retrouve avec Pierre Aretin, redouté pour ses "pasquinades" dans la forme de la médisance.

Pour Léon Bloy, que tout irritait, la critique passait à l’autodestruction. Il s’en était fait une raison d’être par la pureté et par sa solitude.

Saint-Simon avec ses Mémoires ne s’inquiétait plus de savoir s’il était méchant ou charitable, pouvait être considéré comme le roi des piques.

"La méchanceté croît avec le progrès des idées", disait Rousseau avec une philosophie toute particulière aux gens de lettres qu’il considérait comme les êtres les plus vils qui soient. Lucidité d’égoïsme de l’amour-propre tout en récusant cette vision manichéenne et en admettant ne pas s’aimer eux-mêmes chez ses contemporains, chacals savants.

Le 19ème siècle voit naître dans les salons où l’on cause, le pire et le meilleur des jeux de mots. La haine littéraire contre la médiocrité y pousse du grotesque à la farce. La pièce d’"Hernani" d’Hugo marque, par le scandale, l’apogée des batailles entre romantiques et néoclassiques.

La fantaisie de la méchanceté a toujours évolué dans le temps en fonction de la notion que l’on avait accolée au "mal". Celui-ci progresse à pas feutrés. Il est banalisé ou au contraire rehausser d’emphase en fonction du point de réception de l’attaque. Longue tradition de la méchanceté pour dire tout haut ce que le monde n’ose dire que tout bas.

Aujourd’hui, dans notre époque qui demande d’aller toujours plus vite, la caricature remplace, souvent, une longue tirade par l’image flash. Humour acerbe, sarcasmes qui feront mouche du premier coup d’œil ou se perdra lamentablement. Méchanceté ou critique constructive ? Parti pris, non objectif, si le même regard critique n’était pas donné avec la même virulence de part et d’autres des barrières. On adore ou on déteste ce genre d’approche, pas de demi mesure, si le recul nécessaire n’est pas entrepris. La méchanceté commence, seulement, avec la bassesse, nulle, non productive et subjective.

Pour le spectacle, il y a les amuseurs publiques, imitateurs et autres qui apporteront cet humour grinçant en pointant des personnages politiques ou de la vie publique. Michel Drucker était "cuisiné" samedi dernier dans l’émission "L’habit ne fait pas Lemoine" et constatait que la période Age tendre et Tête de bois était repoussée dans des tournées nostalgiques. Le dixième des réflexions, lancées aujourd’hui, il y a vingt ans auraient fait l’exclusion et le renvoi sur le champ. Mais il est resté le "gentil" de la bande des présentateurs. Les jeunes ne l’apprécient en général plus car il n’est pas assez vindicatif. Pour durer, il est obligé de laisser la place à ceux dont c’est le métier du génie de la "méchanceté" humoristique tel qu’Anne Roumanoff ou Canteloup. Laurent Ruquier, lui, même avec des clashs, s’assure les rires de son parterre d’invités intéressés par sa cause et par la rigolade.

A la télé, les "Guignols de l’Info" ont encore de beaux jours avec en arrière plan "Le canard enchaîné".

La littérature, elle, doit jouer dans la subtilité et l’enthousiasme de la bonne parole. La société policée, sous le couvert de l’éducation jésuitique est (mal)heureusement en perte de vitesse. La vie a été et est un combat, une joute perpétuel. La perfidie de salon du XIX ème siècle, la cruauté des apartés, le théâtre de Molière, de Shakespeare se sont transformés en théâtre de Boulevard. Les arbitres, les modérateurs, c’est le public lui-même qui s’en charge.

La méchanceté a-t-elle progressé avec notre époque ? Pas vraiment. L’histoire montre le contraire. Elle s’est seulement gadgétisée. Elle s’est donnée des outils neufs pour se répandre à toutes les classes de la population dans les pays dits démocratiques. Et cette extension fait la différence. Dans le milieu du travail, le jeu de la chaise musicale a créé le chacun pour soi avec le matérialisme en toile de fond. Dans les tensions, le psychisme verse naturellement dans les conflits verbaux avec la vengeance et le vitriol comme encre "sympathique". 

La méchanceté fait, aussi, partie de la "peopleisation" des personnages que d’être rappelé en permanence comme "The man you love to hate" en écho à un slogan hollywoodien. Il s’agit d’être à tout prix. Tout, sauf l’anonymat, pour les hommes politiques.

Rappel : "le méchant, c’est toujours l’autre".

Henri Bergson dans un discours enflammé présentait la vie moderne comme une ouverture à la diversité des opinions par l’intermédiaire de la politesse, de la générosité, voire de la charité.

L’agacement peut venir du coup par l’idéologie du sympa. Béatitude tout aussi peu productrice de progrès, même si cette pensée est aimée de la population quand on voit les entrées pour le film des Chtis. Alors, ce sera dénoncer les erreurs et la bêtise pour, simplement, ne pas se faire "chier". La panoplie des actions possible est à la hauteur des ambitions : impertinence, irrespect, provocation, blasphème... mais dans les bonnes formes. 

Bourreaux ou victimes. Réceptionnaires d’un message bon ou mauvais, organisez vos duels. Soyez présents, détendus, c’est la modernité qui le veut. Soyez original. Privilégiez les faits incontestables avec les sources de vos dires sous le manteau. Soyez actifs, voir radioactifs. Jouez aux figures de style, à l’allégorie, par exemple, mais pas nécessairement à l’« allez gorille ».

Au travail, bons "tortionnaires" de forum dans le respect, la responsabilité et l’humour...

"Une jolie fleur dans une peau de d’vache, Une jolie vache déguisée en fleur", chantait Brassens

Cette méchanceté-là, toute relative, deviendra, peut-être, une relation de type "win-win" pour l’écrivain, le lecteur et pour le spectateur.

 

L’Enfoiré,

 

Citations :

  • "Je préfère le méchant à l’imbécile, parce que l’imbécile ne se repose jamais", Alexandre Dumas

  • "Quelques-uns meurent trop tôt. Beaucoup meurent trop tard. Très peu meurent à temps", Friedrisch Nietzsche

  • "Le singe est un animal trop débonnaire pour que l’homme puisse en descendre", Friedrisch Nietzsche

  • "L’ennui chez l’homme célèbre, c’est qu’il se prend pour ce qu’il est devenu, non pour ce qu’il est resté", Georges Perros

  • "Si on ne voyait que les gens qu’on estime, on ne verrait personne", Crébillon fils 

  • "Les Français ont horreur des inégalités, mais ils adorent les privilèges. Souvent, "inégalité", c’est le nom que tu donnes aux privilèges des autres", Anne Roumanoff

 


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