La mémoire des meurtres... de Maurice Papon
par morice
samedi 20 octobre 2012
Enfin ! Aujourd'hui, je me réjouis de ce que vient de faire le nouveau président Hollande : enfin, même dirais-je, on va reconnaître la responsabilité de la police française dans le massacre d'algériens le 17 octobre 1961, à Paris, sur le territoire français, comme le souhaitaient de nombreux historiens, dont Benjamin Stora et Gilles Manceron, notamment. Un pays n'avance que dans la vérité et non pas dans la dissimulation. Un massacre donné sous le ordres de Maurice Papon, revenu aux affaires en ayant caché sa responsabilité dans les rafles bordelaises de juifs pendant la guerre. Cet épisode noir de l'histoire française a bel et bien été dissimulé pendant des années aux yeux des français : par un pouvoir coupable d'une terrible répression, dont le nombre de morts n'a jamais pu être évalué, un pouvoir qui a trop longtemps fait le sourd aux demandes des historiens dans le seul but de protéger des membres de sa police encore en activité (*). Aujourd'hui, François Hollande résout par sa déclaration officielle une injustice historique flagrante, en clouant au pilori une deuxième fois par la même occasion Maurice Papon, grand ordonnateur de ces meurtres gratuits du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 où cette fois neuf français avaient été massacrés, dont un jeune de 16 ans, tué par la même brutalité policiére que semble avoir totalement oublié le député Christian Jacob. Un député qui semble n'avoir aucune mémoire des deux événements, ou semble incapable d'assumer une responsabilité commune ou historique, un comble pour un responsable politique ! Il convient aujourd'hui, comme vient de le faire François Hollande, de se souvenir de tous ces meutres et d'en attribuer une fois pour toute la responsabilité. A Maurice Papon, en priorité.
Le préfet de Paris, Maurice Papon, avait donné ses ordres comme l'indique le compte-rendu de l'ouvrage : "Ces unités avaient reçu des instructions de « fermeté » à l'encontre des manifestants, tant en raison de l'époque (en plein crise d'Alger) que de l'opposition « rouge » qu'il faut mater. Cette fermeté s'illustrera au combien et rappellera plus les premiers affrontements entre les syndicats naissants et les milices de patrons que la surveillance par les forces de l'ordre d'une manifestation pacifique et dont le mot d'ordre, clairement énoncé, était de ne pas faire de vague et de se disperser dès 18h30. Mais sans prévenir, la police charge, va à l'assaut et au combat, « bidule » à la main (la longue matraque d'un mètre…) et frappe sur tout ce qui est dehors, un élu en écharpe tricolore venu annoncer la fin du rassemblement aussi bien qu'un passant, que des femmes, des enfants… la violence policière est déchaînée et entraîne un certain nombre de débordements, de courses poursuites qui se finiront tragiquement par la mort de 8 personnes au métro Charonne, 8 personnes mortes étouffées pour échapper aux coups, au plaques de fer ou au corps de blessés devenus projectiles… La police a perdu toute forme de raison et, mue par sa propre violence, s'avilit au rang des dictatures militaires" peut-on lire dans la présentation de l'ouvrage "Charonne, 8 février 1962, anthropologie historique d'un massacre d'état." Des policiers déchaînés, incapable de s'apercevoir que des gens s'étouffaient au fond de l'entrée du métro Charonne.
De l'autre côté, l'année est marquée par un nombre important d'attaques sanglantes contre la police française par le FLN, dont les exactions étaient parfois particulièrement sauvages. Dans cette atmosphère électrique, ou le désir de vengeance existe dans la police, lors des obséques d'un policier tué, le brigadier Demoën (abattu par le FLN), le 3 octobre 1961, le préfet de Paris, Maurice Papon, a cette phrase malheureuse " pour un coup donné, nous en porterons dix" déclara-t-il, ce qui mis le feu aux poudres, le FLN criant à la répression sans entraves. Lors d'une visite dans un commissariat, il récidivera en déclarant que "les fonctionnaires de police peuvent faire usage de leurs armes lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ou qu'ils ont des raisons de croire que leur vie est exposée. Vous êtes couverts par la légitime défense et par vos chefs ». D'aucuns y virent à juste raison un permis de tuer. Ou un permis de torturer, ce dont ne se cachent pas certains policiers français dans les commissariats lors d'arrestations de manifestants algériens ! Papon, que ce soit pour Charonne ou pour le 17 octobre 1961 a été celui qui n'a eu de cesse de mettre le feu aux poudres : il fut tout l'inverse d'un Grimaud ! C'est dans ce climat extrémement tendu qu'à lieu la manifestation du 17 octobre, déclenchée par le FLN malgré son interdiction et le couvre-feu décrété. Elle va se transformer en bain de sang.
Mais il était déjà trop tard pour ceux qui voulaient toujours en découdre , et l'indépendance algérienne allait survenir assez vite... et on oubliera très vite dans les années qui vont suivre la nuit funeste du 17 octobre, pour plusieurs raisons nous dit fort justement l'Express :
"Cette stratégie du silence avait plusieurs raisons d'inégale valeur.
1. Elle protégeait un préfet de police sec et orgueilleux qui avait "tenu Paris" (et sa police), mais dont la mauvaise gestion de la crise (qui lui fut reprochée par de Gaulle) serait apparue au grand jour.
2. Elle épargnait la police, désormais rentrée (à peu près) dans l'ordre. Infliger des sanctions, et même enquêter, informer, ç'eût été recruter pour l'OAS.
3. Elle permettait d'aller vers la paix sans regarder en arrière, comme le suggère la formule prêtée à de Gaulle. Malheureusement, octobre 1961, faute d'être "racheté" par un authentique succès, a fini par devenir, avec l'OAS, les harkis, l'exode des pieds-noirs, l'un des éléments de l'échec algérien".
Une stratégie à laquelle on a forcé de jeunes journalistes débutants, contraints de réécrire ce qu'ils avaient vu pour en dire le contraire : "ainsi l’hétéronomie d’une partie de la presse est patente, presque caricaturale : jeune journaliste ayant couvert la manifestation comme reporter, Jean-François Kahn a raconté qu’a été substitué à son récit un texte qui dédouanait la police et imputait la responsabilité de la violence aux manifestants. Cela lui a suffisamment déplu pour qu’il ait répété plusieurs fois son témoignage, sans d’ailleurs être démenti" précise Alain Dewerpe.
Les deux massacres, bien trop embarrassants, seront donc de fait longtemps occultés. Comme le rappelle ici Alain Dewerpe répondant à la question posée : "Le 17 octobre 1961, on tue en plusieurs endroits de Paris, plusieurs compagnies sont impliquées. Par contraste, Charonne semble localisé. Peut-on toutefois penser ces deux événements dans une continuité ?"
-Absolument. Certes, d’un côté, les différences sont fortes. Les circonstances d’abord : une manifestation du FLN pour protester contre le couvre-feu imposé par la police aux Algériens et une manifestation politico-syndicale française pour protester contre les attentats de l’OAS. Le nombre de victimes ensuite, beaucoup plus élevé le 17 octobre (plusieurs dizaines, voire plus d’une centaine de morts) et le caractère presque clandestin de la répression du 17 octobre qui, bien qu’ayant eu de nombreux témoins, permet au pouvoir de le censurer quasi totalement (on ne connaît toujours pas aujourd’hui le nombre exact de victimes). Les réactions de l’opinion publique, des partis de gauche et des syndicats enfin, dont les protestations ont été discrètes après le 17 octobre, massives après le 8 février. Pourtant les rapprochements faits par de nombreux contemporains nous invitent aussi à prendre en considération la continuité, comme une sorte de filiation, de l’un à l’autre. C’est en effet la même logique répressive qui prévaut. Non seulement le pouvoir adopte une posture agonistique très explicite, mais par la suite, dans les deux cas, il nie, se tait, censure. Ce sont d’ailleurs le même gouvernement, les mêmes institutions, les mêmes policiers. On retrouve dans les deux massacres le même modèle de « laisser faire, laisser aller » de la brutalité d’État. Et la même signature... de Maurice Papon, aurai-je tendance à a ajouter !
Comme beaucoup de français, j'ai découvert tardivement la terrible séquence du 17 octobre 1961, Charonne ayant davantage fait la une des journaux... car il s'agissait de français qui avaient été tués. Clela, je l'ai dû à la découverte du titre "Meurtres pour mémoire" de Didier Daeninckx, sorti en 1984, qui dans un superbe roman policier m'avait appris un événement ne figurant alors dans aucun livre d'histoire. Un Daeninckx bien au fait de l'histoire, lui qui a habité à Aubervilliers, il avait écrit son ouvrage "naturellement" car il avait été aux premières loges : une des personnes tuées à Charonne faisait partie du cercle des relations de ses parents : "J’ai écrit Meurtres pour mémoire, mon deuxième roman, en 1983 pour me démarquer d’une sorte de silence qui pesait sur la société française, et qui était lié en partie à des épisodes de la guerre d’Algérie qui ont eu lieu en France. L’élément fondateur de mon intérêt pour cette guerre, ce sont des souvenirs d’enfance et de préadolescence et, surtout, les événements du métro Charonne. Une amie de ma mère, habitante de notre cité à Aubervilliers, a été l’une des huit personnes tuées au soir de ce 8 février 1962. J’allais au même collège que ses enfants et j’ai participé à l’enterrement qui regroupait pratiquement 500 000 personnes. Ces événements m’ont profondément marqué et de ce fait, en 1997, j’ai assisté, totalement médusé et révolté, à l’arrivée de Maurice Papon au gouvernement, en tant que ministre du budget. Préfet à l’époque de Charonne, il était pour moi le responsable direct de la mort de ma petite voisine. Outre cette mort, si la guerre d’Algérie est au cœur de mon enfance, c’est qu’il y avait alors chaque semaine, à Aubervilliers, une manif pour la paix en Algérie. Pas mal de jeunes de la ville avaient été appelés en Algérie, un certain nombre y ont été blessés et une dizaine y sont morts. À chaque fois, il y avait enterrement et manifestation. Enfin, dans la cour du collège, il y avait des bagarres entre gamins, ceux qui étaient pour l’Algérie française, ceux qui étaient pour l’indépendance, et les jeunes Algériens. Car, dans les années 60, Aubervilliers était une ville très mélangée. D’un côté il y avait une forte immigration, en particulier une immigration algérienne, principalement kabyle. De l’autre, il y avait la présence d’une petite et moyenne bourgeoisie très organisées et de l’église. Cette guerre a donc en quelque sorte rythmé mon enfance et ma préadolescence."
(*) la dernière idée en date, reprise depuis hier sur les sites d'extrême droite étant que le massacre était causé par... le seul FLN, qui avait appelé à manifester alors que des policiers français venaient d'être assassinés ! En oubliant le caractère paisible et familial de la manifestation ou beaucoup d'enfants avaient participé, comme l'ont relevé les historiens et comme le montrent les photos. Bien sûr, selon ces extrémistes nosalgiques de l'Algérie française, ou de l'OAS, c'était de la manipulation pure, ce n'étaient pas les CRS les responsables, et en somme, pour eux, pour eux aussi, alors, les huit morts de Charonne s'étaient donc étouffés eux-mêmes !
références :
-L'excellente BD "Dans l'ombre de Charonne" préfacé par Benjamin Stora.
-Alain Duwerpe, "Charonne, 8 février 1962, anthropologie historique d'un massacre d'état", Gallimard, inédit Folio
-"Les calots bleus et la bataille de Paris, une force auxiliaire pendant la Guerre d'Algérie".
le document indispensable :
Jean-Pierre Bernard, 30 ans, dessinateur
Fanny Dewerpe, 31 ans, secrétaire
Daniel Féry, 16 ans, apprenti
Anne-Claude Godeau, 24 ans, employée PTT
Édouard Lemarchand, 41 ans, menuisier
Suzanne Martorell, 36 ans, employée à L'Humanité
Hippolyte Pina, 58 ans, maçon
Raymond Wintgens, 44 ans, typographe
Maurice Pochard (décédé à l'hôpital), 48 ans
"Huit des neuf victimes de la tragédie de Charonne reposent au cimetière parisien du Père Lachaise dans la 97ème division".
Grimaud et mai 68 en 9 épisodes enregistré le 2 avril 2008 :
http://www.dailymotion.com/video/x5fwcc_entretien-avec-m-grimaud-prefet-de_news