La mort de Cora Vaucaire et « trois petites notes de musique… qui n’veulent pas mourir »

par Paul Villach
jeudi 22 septembre 2011

 La voix de Cora Vaucaire s’est éteinte à jamais. Cette grande interprète de la chanson française - ignorée aujourd’hui des radios et des télévisions aux mains des barbares pour la plupart - vient de mourir le 17 septembre 2011 à Paris. Cela fait tout drôle d’apprendre que cette jeune femme dont on a gardé en soi le timbre de voix juvénile depuis près de 50 ans, avait 93 ans.

On n’a pas cessé d’identifier Cora Vaucaire à la chanson de l’admirable film d’Henri Colpi, « Une aussi longue absence  », sur un scénario de Gérard Jarlot et de Maguerite Duras. Il avait reçu la Palme d’Or du festival de Cannes qui, pour une fois, en 1961 ne s’était pas égaré. On se souvient encore de la première fois qu’on l’a vu. On était étudiant et Gérard Jarlot était venu le présenter à Angers au début des années soixante.

Un clochard devenu amnésique après la guerre

La chanson, « Trois petites notes de musique  », s’élève à un moment angoissant de l’histoire. La mémoire va-t-elle revenir à ce clochard – incarné par Georges Wilson - qui passe régulièrement dans la journée devant le café de Thérèse Langlois – jouée par Alida Valli ? Cela fait plusieurs semaines que par divers stratagèmes cette femme essaie de raviver les souvenirs enfouis de cet homme en qui elle croit avoir reconnu son mari, disparu depuis la Seconde guerre mondiale. Mais lui ne se souvient plus de rien et ne la reconnaît donc pas.

Une tentative désespérée d’éveiller la mémoire affective

Au rythme de cette valse lente comme un slow, on la voit danser avec lui un soir dans son café désert, l’enserrant dans ses bras, lui prenant parfois la tête entre ses mains avec le fol et dernier espoir que la mémoire affective au moins lui reviendra à l’audition de cette musique sur laquelle ils aimaient tous deux tant danser autrefois. Comme cette femme, on guette sur le visage impassible de cet homme un tremblement fugitif, une contraction fugace, un battement de cils, un éclair dans les yeux qui aux modulations de cette valse annonceraient que point l’aurore du souvenir dans la nuit où son esprit a été enseveli.

On met comme elle tout entier son espoir dans la voix de Cora Vaucaire, au timbre de cuivre, dont les douces inflexions fouillent les regrets d’un homme de n’avoir pas répondu à l'invite d'une fille qui, autrefois, « dans les rues de l’été (…) pour son premier frisson (lui) offrait une chanson à r’prendre à l’unisson ». Ces "trois petites notes de musique" n’en finissent pas de ressusciter en lui le même souvenir, comme en Proust une simple madeleine trempée dans une tasse de thé : il revit chaque fois ce jour d’été où il les a entendues pour la première fois des lèvres de cette fille qu’il s’en veut toujours, bien des années après, de n’avoir pas su retenir.

Une interprétation de Cora Vaucaire inégalée

Si cette ravissante mélodie de Georges Delerue sur des paroles d’Henri Colpi lui-même est à ce point restée identifiée à Cora Vaucaire, c’est parce que nul après elle n’a su la chanter avec autant de profondeur et en même temps de grâce et de légèreté. Elle l’a revêtue du timbre métallique de sa voix si reconnaissable entre tous, sonore et douce à la fois. Rarement chanson, interprète et histoire d’un film se seront accordés à ce point.

 

Les prodigieux médias d’aujourd’hui conservent - quelle chance ! - la voix de ceux et celles qui disparaissent pour toujours. On invite le lecteur à réécouter celle de Cora Vaucaire provisoirement ressuscitée dont on cherche vainement qui pourrait aujourd’hui l’égaler. « Ces trois petites notes de musique  », ce sont les derniers mots de la chanson, « lèvent un cruel rideau d’scène / sur mille et une peines / qui n’ veulent pas mourir  ».

http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/video/I04299093/cora-vaucaire-trois-petites-notes-de-musique.fr.html

http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/video/I04295816/extrait-de-une-aussi-longue-absence-de-henri-colpi.fr.html

Paul Villach


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