La peine de mort, une pratique archaïque encore vivante

par hans lefebvre
mercredi 24 février 2010

Du 24 au 26 février 2010, Genève accueillera le 4e congrès mondial contre la peine de mort. Cette manifestation est organisée tous les trois ans par l’association française Ensemble Contre la Peine de Mort (ECPM) dont l’objectif affiché n’est autre que « l’abolition universelle » de la peine capitale. Créé au cours de l’année 2000, ECPM est aussi à l’origine de la Coalition mondiale contre la peine de mort , organisation internationale qui fédère à ce jour une soixantaine d’ONG, barreaux d’avocats, syndicats et autres collectivités locales, pour une mise en perspective globale du combat mené à l’endroit de la plus ultime des sentences. Alors que le 11 février 2010 le parlement Kirghize abolissait définitivement la peine de mort, l’État de Floride exécutait le 16 février Martin Grossman, soit deux actualités extrêmes qui signent ici la nécessité de mener cette cause.

L’année prochaine, la France célébrera le 30e anniversaire de l’abolition de la peine capitale, promesse menée rapidement à bien par François Mitterrand dont le courage politique n’aura pas fait défaut sur un sujet pourtant particulièrement aiguë. De toute évidence, si référendum il y avait eu, nul doute que cette sanction eut été maintenue dans notre code pénal encore quelques années. En outre, il n’est pas acquis que le peuple français d’aujourd’hui ait une opinion si tranchée que cela sur ce thème essentiel dans une société démocratique néanmoins guidée par nombre de grands principes fondamentaux. On peut encore entendre, de-ci de-là, des avis franchement favorables à l’exécution capitale, notamment lorsque un crime abominable vient rompre le pacte social de manière impromptue. Pourtant, dés le début du 20e siècle, certains de nos hommes politiques tenteront de mettre un terme à une pratique déjà jugée inhumaine, dégradante, et ô combien indigne pour la patrie des droits de l’homme et du citoyen. En 1908, Aristide Briand, alors garde des Sceaux du gouvernement Clémenceau soutient devant la représentation nationale un projet de loi visant à abolir la peine de mort, mais le texte sera rejeté par une large majorité, et les exécutions reprendront leur macabre enchainement. Dans un ouvrage essentiel, Julie Le Quang Sang a su remettre dans une perspective historique le long cheminement qui mènera nos députés à voter le 9 septembre 1981 l’abrogation de la peine capitale [1].

Dans ce combat national, il en est un qui s’illustrera de manière très significative puisque son patronyme restera à jamais associé aux derniers jours de la peine capitale en France. Sur ce sujet, Robert Badinter a rédigé trois ouvrages, et prononcé un discours puissant qui résonne encore dans l’inconscient collectif de la nation [2]. Il faut l’entendre à tout prix, et le transmettre comme un message précieux qui n’aurait pas de prix.

Pour autant, l’élimination définitive d’un citoyen suite à une condamnation prononcée par un tribunal légitime perdure dans nombre d’États, au rang desquels certains se veulent pourtant des plus représentatifs de l’idée de démocratie. Ainsi, difficile d’ignorer que 38 des 50 États qui composent la nation américaine appliquent encore la sentence de mort [3]. Pour autant, la Cour suprême des États-Unis veille sur la constitutionnalité de cette pratique, et elle n’a eu de cesse de réduire le champ des possibles en matière de peine capitale, notamment lorsque cette sanction s’applique à des personnes mineures au moment des faits [4], ou bien encore handicapées. La nation à la bannière étoilée s’est construite sur nombre de violences fondamentales, légitimées et protégées par une loi qui garantit encore le droit pour chaque citoyen posséder une arme. Howard Zinn, dans son ouvrage référence consacré à une certaine histoire des États-Unis [5] démontre combien les violences interpersonnelles ont façonné cette jeune nation, ce qui peut expliquer en partie la persistance de la peine capitale sur une grande partie du territoire américain, même s’il faut observer que cette pratique tend à se raréfier. Concernant la mise à exécution d’une sentence de mort par injection létale, le travail réalisé en 1995 par Jaap van Hœwijk [6] démontre, s’il en était besoin, combien cette pratique est inhumaine et barbare. Cela sera par ailleurs largement confirmé dix années plus tard par une étude menée par la revue scientifique The Lancet.

Difficile d’évoquer la peine de mort sans traiter de la situation qui prévaut au sein de l’empire du milieu où les chiffres, même dans leur fourchette la plus basse, restent inquiétants car quantité de délits, alors même qu’ils sont non-violents, restent passibles de la sanction capitale : jeux de hasard, bigamie, évasion fiscale, fraude, corruption, trafic de drogue, et la liste n’est pas exhaustive. Par ailleurs les exécutions donnent lieu à un véritable spectacle populaire qui peuvent se tenir soit dans des stades ou sur des places publiques, soit un usage qui relève de l’ancien régime pour ce qui concerne l’essentiel de l’Europe. Quant au nombre d’exécutions réalisées par l’État chinois, il n’est que spéculation, ce chiffre étant classé secret d’État. Quoi qu’il en soit, et quelques soient les sources, ce sont plusieurs milliers de personnes qui sont exécutées chaque année dans cette immense nation qui utilise largement cet argument afin de contenir sa population dans toutes ses velléités d’émancipation. Par ailleurs, même sous la pression internationale, Pékin ne semble pas vouloir remédier à l’utilisation de la peine de mort dans sa politique pénale sans demi-mesure. Sans vouloir stigmatiser cette nation, c’est pourtant dans cette direction que les plus grands efforts devront se concentrer pour que l’exécution capitale y soit à terme abrogée. Lorsqu’il en n’en restera plus qu’elle, alors la Chine n’aura d’autre choix que de se soumettre à la raison de l’ensemble.
Enfin, au plan mondial, selon les données fournies par ECPM, une soixantaine d’États ont encore recours à la peine capitale, alors qu’elle est suspendue dans une trentaine d’autres. C’est dire combien ce combat légitime reste nécessaire et qu’il est essentiel de tendre vers une situation harmonisée au plan global car il en va de la dignité humaine.

En outre, est-il besoin de rappeler qu’au fil de son histoire, cette sanction a démontré toute son inefficience car elle ne dissuade aucunement du crime, pas plus qu’elle ne restaure les familles des victimes, alors que le risque qu’elle soit prononcée à l’endroit de personnes innocentes demeure. À l’évidence la pédagogie sur ce sujet toujours sensible reste le meilleur moyen de faire progresser encore une cause abolitionniste qui a largement avancé durant ces vingt dernières années [7]. Il est assez de crimes illégitimes sur la planète pour que ne perdure plus avant une violence ultime portée par un État dit de droit.

[1] Julie Le Quang Sang, La loi et le bourreau. La peine de mort en débat (1870-1985), L’Harmattan, 2001.
[2] Robert Badinter, L’Exécution (Grasset 1973, Fayard 1988) ; L’Abolition (Fayard 2000) ; Contre la peine de mort (Fayard 2006).
Discours prononcé le 17 septembre 1981 à l’assemblée nationale, La documentation Française.
[3] André Kaspi, La peine de mort aux États-Unis, Broché/Plon 2003
[4] Isabelle Césari, Les mineurs délinquants et la peine de mort aux États-Unis, Nicolas Philippe 2002
[5] Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours, Agone 2003
[6] Jaap van Hœwijk, Procédure 769. The Witness to an Execution, 1995.
[7] Dossier pédagogique pour l’enseignement secondaire, Amnesty international, 2003.
 

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