La peur, la mort et la politique

par Clark Kent
samedi 21 novembre 2015

La théorie de la gestion de la terreur a été imaginée par Ernest Becker (1) pour expliquer les motivations profondes du comportement humain. La spécificité des êtres humains est la conscience de soi : nous sommes vivants et nous le savons. Cette réalité conduit à la prise de conscience que la mort est inévitable, imprévisible et non contrôlée. Cette théorie postule que l'homme a résolu ce dilemme existentiel en développant des visions culturelles du monde, des croyances partagées par les individus d un groupe qui servent à « gérer » la terreur potentielle résultant de la conscience de la mort. Toutes les cultures donnent un sens à l'origine de l'univers, un modèle de conduite acceptable, et une illusion d'immortalité à travers la réalisation de monuments, d’œuvres d'art ou scientifiques, le fait d’avoir des enfants, ou les différentes formes d’ »au-delà » qui sont un élément central de religions organisées.

Bien que les cultures varient considérablement, elles partagent la même fonction psychologique de défense collective : donner du sens et de la valeur et ce faisant, procurer la sérénité devant le visage de la mort.

On constate que la confrontation des individus à la représentation de leur propre mort renforce leurs aspirations à protéger les aspects de leur vision du monde pour renforcer leur estime de soi. Cette confrontation augmente les réactions positives vis-à-vis de ceux qui partagent leurs croyances et leur vision du monde, et les réactions négatives envers ceux qui rejettent ces valeurs culturelles ou ceux qui en ont d’autres.

Dans « Le déni de la mort » (2), Ernest Becker suggère que, dans les périodes de crise, quand les craintes de la mort sont éveillées, les gens sont davantage susceptibles de suivre des leaders qui assurent la sécurité psychologique en se donnant comme mission auprès des citoyens d'éradiquer le mal.

Des chercheurs américains ont testé cette hypothèse en proposant à des volontaires les déclarations de trois candidats fictifs à un poste de gouverneur.

Les participants ont ensuite voté pour un des candidats. Parmi les 96 participants, 4 ont voté pour le candidat charismatique, 46 pour le pragmatique et 46 pour le relationnel.

Ensuite, les chercheurs ont évoqué la représentation de la mort avec les participants et procédé à un nouveau vote. Ils ont constaté une augmentation de 800 pour cent des voix pour le leader charismatique ; pas de changement pour le leader pragmatique, et une diminution pour le candidat relationnel. Ce résultat les avait conduits à se demander si la popularité du président George W. Bush au lendemain du 11 Septembre 2001, ne résultait pas en partie de l'évocation dramatique et continue de la mort et de la vulnérabilité causée par ces événements. Avant 9/11, la présidence de Bush était considérée comme inefficace et sans inspiration, y compris chez beaucoup de ses partisans républicains. Or, au bout de quelques semaines de déclarations sur le fait que la nation était en guerre et la mise en demeure des autres nations de choisir leur camp (se joindre à la "croisade" et "débarrasser le monde des méchants » ou faire face à la « colère des États-Unis) la cote de popularité du président Bush a atteint des hauteurs historiquement sans précédent.

Les électeurs ont tout à gagner à voter avec leurs "têtes" plutôt qu’avec "leurs cœurs." Il serait utile de les sensibiliser à l’influence que les préoccupations au sujet de la mortalité exercent sur le comportement humain. Il est souhaitable que les choix de vote s’établissent sur des choix rationnels et des programmes plutôt que sur les besoins de préserver la sérénité psychologique en réponse à des rappels de la mort.

Encore faut-il que cette observation du comportement des électeurs américains ait quelque chose à voir avec la situation en France en Novembre 2015.

(1) Becker, Ernest - world, body, life, person, human

(2) Ernest Becker sur Amazon‎


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