La philosophie est morte, vive la philosophie et l’Esprit-Saint !
par Bernard Dugué
lundi 20 mai 2013
J’ai cru entendre dans quelque improbable chronique du web un éditeur constater que la philosophie rame, naviguant entre deux extrêmes, d’un côté la philosophie philosophante avec ses professeurs savants qui scrutent les vieilles œuvres faisant référence, de l’autre, la philosophie pour grand public avec des textes souvent bien écrits mais sans grand intérêt philosophique. BHL, Michel Onfray, Luc Ferry, Raphaël Enthoven… Selon ce même éditeur, le monde galope, les choses avancent rapidement, se transforment, les savoirs progressent mais il n’y a pas de philosophe capable d’avoir une emprise intellectuelle sur ce « nouveau monde ». C’est exact. Tracer un portait raisonné du monde nécessite d’abord du travail. Lire, être curieux et surtout élaborer une boîte à outils conceptuels, comme aurait dit Foucault. En vérité, philosopher sur le monde suppose de quitter deux intentions, celle de faire une carrière universitaire en ajustant ses recherches aux normes du système, puis celle de faire du fric en ajustant ses écrits pour les façonner aux goûts moyens des journalistes et du grand public.
Ces deux obstacles aux progrès et innovations philosophiques sont faciles à comprendre. L’universitaire est tributaire de son cursus, du travail spécialisé visant à produire des articles soumis à un comité de lecture dans les revues ou présenté dans des congrès où ses recherches sont scrutées dans les petits détails par de très érudits exégètes qui connaissent au mot près les textes sur lesquels ils tournent en rond. Dans ce contexte, difficile de s’intéresser au monde et à ce qui s’y passe. En plus, la philosophie universitaire est représentée par d’anciens normaliens qui trustent les postes de maître de conférences avec des dossiers évalués par d’anciens normaliens et donc pratiquement cooptés. La France ne fait que louer la diversité dans les bonnes intentions mais admet sans cilier qu’une discipline aussi importante que la philosophie soit exercée par une caste de gens formés dans le même moule. De cet univers clos émergent quelques professeurs invités sur les ondes de FC ou Arte. En général, ils tentent de vulgariser les grands philosophes. Tout en donnant quelques notions utiles pour réfléchir.
Quelques sociologues offrent des analyses sur la société mais en ratant la compréhension profonde et donc « philosophique et vraie » des choses. La science échappe aux philosophes, du moins en France. Et puis, le reste, des produits formatés pour le grand public par d’habiles écrivains. Les choses philosophiques ne sont pas simples à formuler. Les journalistes pour médias de masse rechignent à faire l’effort de comprendre et de conseiller des textes difficiles qui d’ailleurs, ne seront pas édités parce que les éditeurs manquent d’audace. Et voilà, de BHL à Frédéric Lenoir, de Luc Ferry à Michel Onfray, la foire aux bonnes feuilles occupe les têtes de gondoles des librairies et surfaces du livre. De quoi nourrir l’esprit sans se fatiguer, ni réveiller l’Esprit-Saint qui a autre chose à faire que d’aider à comprendre ces traités pour lettrés à l’ère des médias de masse.
La philosophie se trouve pourtant face des phénomènes sociaux nouveaux, des évolutions inédites, notamment avec les technologies et le rapport à l’homme. Les individus se transforment, structurent le milieu social. Une nouvelle conceptualisation est pressentie. Avec la participation des sciences physiques et biologiques. L’information au centre des dispositifs d’organisation. L’entropie et le désordre mais aussi l’harmonie. Nouveaux outils à forger. Notamment l’extension de l’application des genres (je vous en dirai un mot peut-être). Adaptation, accommodation et libération. Les genres humains comme archétypes équivalent des races et espèces. En liaison avec le milieu technique, social et médiatique. Les nouveaux concepts en théorie quantique, en cosmologie. Les fantastiques percées en épigénétique et en compréhension des systèmes complexes. Ontologie de la Forme et de l’information. Codage, décodage, transcodage… Un nouvel univers s’offre à la pensée.
La philosophie nouvelle reste promise à l’avenir. Le lundi de Pentecôte, c’est la descente de l’Esprit-Saint. La philosophie est morte mais les philosophes ressuscitent. Puisse l’Esprit descendre à nouveau et inspirer les penseurs. L’Esprit ne se résume pas à une parole mais se veut aussi une ouverture pénétrante par laquelle la conscience « voit ». Ensuite elle parle ou écrit. Un nouveau discours philosophique se prépare. Puisse l’Esprit inspirer aussi les éditeurs car les philosophes inspirés doivent communiquer leurs pensées à la société.