La première victoire historique des Gilets Jaunes

par Le Cri des Peuples
mercredi 13 novembre 2019

Par Ramin Mazaheri, le 2 octobre 2019.

Source : http://thesaker.is/first-in-a-decade-yellow-vests-end-french-austerity-finally

Traduction : lecridespeuples.fr

Les Gilets jaunes ont contraint le gouvernement français à ne pas présenter de budget annuel chargé d’austérité pour la première fois en dix ans.

Vous devriez dire : « Waouh, c’est une victoire historique ! »

Soyons clairs : c’est une bonne nouvelle, qui redonne le moral, une victoire pour la démocratie, le genre d’exploit qui arrive une fois par décennie ! La fin de l’austérité est la raison pour laquelle la France a élu François Hollande en 2012, dont le slogan était : « Le changement, c’est maintenant » – le « changement » attendu consistait à s’éloignait de l’austérité néolibérale droitisante.

Toute l’histoire de l’austérité est assez pathétique, et j’en parle en permanence depuis le début.

L’austérité fut d’abord une réaction épidermique des capitalistes conservateurs face à l’immense chute de la croissance économique mondiale. Lorsque l’hystérie s’est dissipée et qu’une explication verbale logique a été rendue nécessaire, ils ont décidé qu’il était nécessaire d’apaiser la « fée de la confiance » des investisseurs. Lorsque les gens en ont eu assez de se serrer la ceinture pour ne pas donner un peu d’indigestion aux spéculateurs financiers, l’austérité est devenue nécessaire afin d’apaiser la règle totalement arbitraire du « déficit budgétaire de 3% » de Bruxelles. Et puis… les gens ont tout simplement cessé d’en parler, comme je l’ai écrit. L’austérité a duré si longtemps qu’elle a été considérée comme imparable et vitale – l’idée d’un programme de dépenses au lieu d’une réduction des dépenses a cessé d’être discutée après la défaite de Marine Le Pen à l’élection présidentielle. Le premier budget d’Emmanuel Macron fut le deuxième plus sévère de l’histoire française d’après-guerre.

Compte tenu de ces rappels, nous devrions demander en 2019 : combien de millions et de millions de personnes ont manifesté en France au cours des neuf dernières années pour mettre fin à l’austérité, de manière ouverte ou indirecte ?

Ils ont tous échoué – sauf les Gilets jaunes.

En outre, il a été prouvé que tous ceux qui pensaient que les Gilets jaunes étaient inutiles se sont trompés sur toute la ligne. Les Gilets jaunes se sont révélés plus puissants que n’importe quel autre groupe – syndicats, ONG, partis politiques, et même Bruxelles, les banquiers centraux, la classe des investisseurs, les médias dominants – parce que le gouvernement français s’est finalement plié aux exigences des Gilets jaunes et pas à celle de ces autres groupes.

Le gouvernement français a ouvertement déclaré qu’une décennie complète d’austérité budgétaire n’était pas possible dans un contexte de protestation sociale massive. S’il n’y avait pas eu de Gilets jaunes ? On serait à la dixième année d’austérité, aucun doute là-dessus. Le journal très à droite Le Figaro, le déclare en titre : « Un budget 2020 pour ne pas réveiller les Gilets jaunes. » Ne vous y trompez pas : le gouvernement n’a pas renoncé à l’austérité budgétaire car il a finalement accepté les revendications des Gilets jaunes, mais parce qu’il les craint.

Alors … voilà ! Les Gilets jaunes SONT bons, SONT efficaces, SONT anticapitalistes (du moins contre le capitalisme néolibéral), et les 10 mois et plus de répression précédents n’ont PAS été sans effet, plus de 10 mois de sacrifices et de risques n’ont PAS été vains, 10 mois et plus d’implication démocratique à contre-courant ne sont PAS passés inaperçus et n’ont PAS été ignorés.

L’austérité : comme toujours, elle n’est bonne qu’à accroître les inégalités

Pour rappeler ce qu’est l’austérité budgétaire à ceux qui pourraient avoir besoin d’un bref rappel…

L’austérité budgétaire a trois composantes principales : une augmentation de la fiscalité des particuliers et des ménages, une réduction des services publics et une réduction de la fiscalité des riches et des sociétés. Les objectifs sont, respectivement : d’alourdir tellement la dette des individus qu’ils en deviendront des travailleurs et des citoyens craintifs et dociles ; d’atteindre l’objectif néolibéral & libertaire de réduire le gouvernement autant que possible, car seul le gouvernement peut imposer des contraintes socio-économiques aux 1% des plus riches ; créer des bénéfices pour ces 1%, qui sont censés « se répercuter » favorablement à un moment inconnu (ce battage publicitaire – qui n’est pas une attente sérieuse – se poursuit depuis Ronald Reagan).

Quel est le problème de l’austérité ?

Eh bien, moralement, pour adopter une approche économique inconcevable en Occident et dans des économies d’inspiration non socialiste, taxer les pauvres pour nourrir les riches est tout simplement immoral.

Toutefois, abstraction faite de la moralité, l’austérité économique est une recette garantie pour une faible croissance, en particulier dans le contexte d’un ralentissement mondial de l’économie. Ainsi, elle est inefficace, inutile et accroît les inégalités socio-économiques durables.

Depuis Lehman Brothers en 2007, il y a eu un ralentissement économique mondial, mais pour une raison inconnue, il semble que je sois le seul journaliste à avoir parlé de l’indéniable et factuelle « décennie perdue » dans la zone euro (2008-17). La croissance économique annuelle moyenne a été de 0,6% au cours de cette période, un taux pire que celui des deux dernières décennies perdues au Japon ; c’est aussi 3,5 fois inférieur à la moyenne mondiale de 2,1% sur cette période. Ainsi, l’idée que l’austérité a été un échec total ne peut être niée, quelles que soient vos idées sur le plan économique.

Nous nous attendons maintenant largement, non seulement à un ralentissement économique mondial, mais également à une récession économique mondiale. Le blâme est absurdement rejeté sur la Chine – pour avoir osé croître à 7% au lieu de 8% – alors que le coupable évident est l’énorme marigot stagnant de l’Europe. L’Europe reste le maillon le plus faible de la macro-économie mondiale.

Vous êtes fous si vous pensez que les Gilets jaunes – chaque homme et chaque femme – ne reconnaissent pas ces réalités économiques : ils les vivent au quotidien. Ils les expriment même mieux que moi la moitié du temps.

Avant cet article concernant le budget, j’ai décrit comment les Gilets jaunes avaient déjà mis fin à un autre objectif très droitisant : la privatisation des trois aéroports de Paris. C’est un accord de 10 milliards d’euros.

Les réductions d’impôts totales ne représentent également que 10 milliards d’euros. Un milliard d’euros est le résultat de la réduction du taux d’imposition des sociétés de 2%. Quoi qu’il en soit, les réductions d’impôts pour les riches & les sociétés ont lieu avec ou sans austérité.

La réalité est que l’austérité se poursuit, et j’expliquerai pourquoi : fondamentalement, Macron ne voulait pas gaspiller son mince capital politique en se battant pour les coupes budgétaires d’austérité, qui ne sont pas l’essentiel. Un lot beaucoup plus gros et lucratif – pour les patrons et les actionnaires – est de parvenir à faire passer en catimini le relèvement de l’âge de la retraite à 64 ans, ainsi que le passage à un système de retraite universel, identique pour tous, que même les médias grand public appellent « radical ». Et ensuite, une autre réforme radicale du système de l’assurance chômage.

Ces réformes vont effectivement redistribuer vers le haut des centaines et des centaines de milliards de dollars à moyen terme, et elles vont éviscérer ce que j’appelle le « mauvais exemple français » – le filet de sécurité sociale de la France ressemble beaucoup à celui des pays scandinaves, bien que la France soit un pays impérialiste occidental.

Macron a maintenant reculé sur la privatisation de davantage d’actifs de l’État (ce qui a été le plus massivement fait par Jacques Chirac, récemment disparu) et sur un budget d’austérité : les Gilets jaunes peuvent-ils arrêter ses « déformations » (et non réformes) les plus radicales à venir ? Les combats, les grèves et les manifestations ont commencé le mois dernier.

Une chose est sûre : les Gilets jaunes ont démontré que la persévérance et la bravoure comptaient beaucoup dans tous les combats.

Parce que les médias dominants sont anti-Gilets jaunes et pro-austérité, très peu semblent avoir enregistré ce que les Gilets jaunes ont obtenu comme victoire – ils sont tellement occupés à observer les manifestations outre-mer, que ce soit à Hong Kong, au Liban ou au Chili, que Le Parisien en vient à oublier la France dans sa liste des pays connaissant des mouvements populaires ! C’est tout de même surprenant, car le mot de la décennie en France et en Europe est sans aucun doute « austérité » !

Ce qui est certain, c’est que les Gilets jaunes ont de nombreux objectifs qui vont au-delà d’un an et de 10 milliards d’euros : reprendre la souveraineté confisquée par Bruxelles, quitter la zone euro pour retrouver une autonomie économique et, pour beaucoup, virer Macron de son poste. Ce sont les prochaines étapes, certes énormes, mais les Gilets Jaunes ont sans aucun doute un rayon laser braqué sur elles depuis novembre dernier.

Faites-vous partie des dizaines de millions de Français dont la vie a été aggravée par l’austérité ? Remerciez un Gilet jaune d’avoir enfin réussi ce que d’innombrables manifestations et élections en France n’ont pas obtenu.

Ramin Mazaheri est le correspondant principal de la chaîne iranienne anglophone Press TV à Paris. Ayant la double nationalité américaine et iranienne, il vit en France depuis 2009. Il a été journaliste quotidien aux Etats-Unis et a exercé en Egypte, en Tunisie, en Corée du Sud et ailleurs. Ses articles ont été publiés dans divers journaux, revues et sites internet, et il apparaît à la radio et à la télévision.

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