La proposition Estrosi : un droit à l’illégitime défense

par clemjuris
vendredi 11 octobre 2013

Le 10 octobre, Christian Estrosi a déposé une prosition de loi visant à élargir la notion de légitime défense. AUjourd'hui, elle est définie par l'article 122-5 du Code pénal qui dispose : 

N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte.

N'est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu'un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction.

Christian Estrosi propose de rajouter un troisième alinéa rédigé ainsi :

N'est pas pénalement responsable la personne qui en repoussant une agression a excédé les limites de la légitime défense en raison d'un état excusable d'excitation, de désarroi, de crainte, de terreur ou de saisissement causé par l'agression".

Cette idée est bonne dans ses principes, mais néfaste dans ses apllications.

 

1 UNE PROPOSITION QUI VA DANS LE BON SENS

L'article 122-5, dans sa rédaction actuelle, soumet la validité de la légitime défense à trois conditions : nécessité de la riposte, proportionnalité de la riposte, simultanéité de la riposte et de l'infraction. Ces trois conditions cumulées font que seule la meilleure réaction peut être validé par le juge. Or une personne victime d'une infraction grave ne peut, de manière générale, réagir de la meilleure des manières possibles autrement que par chance.

La jurisprudence n'a pas pu donner la souplesse nécessaire à ces conditions. En effet, la loi pénale est d'interprétation stricte et le pouvoir d'interprétation du juge est donc, en matière pénale, extrêmement limité. Une réaction du législateur était donc nécessaire.

 

2 UNE PROPOSITION QUI VA TROP LOIN 

Le potentiel futur alinéa 3 de l'article 122-5 est beaucoup trop général pour pouvoir être appliqué. Il n'y a qu'à analyser indépendamment chaque formule de cette proposition pour s'en persuader.

"en repoussant une agression"

Il est dommage qu'il ne soit pas précisé une agression en cours. En effet, rien ne dit qu'une agression ne peut être repoussée antérieurement ou postérieurement (encore que dans ce deuxième cas cela semble moins justifiable) à sa commission.

"excède les limites de la légitime défense"

Cette formulation, très générale, montre l'envie d'assouplir les critères de la légitime défense. Si cela est compréhensible pour les critères de nécessité et proportionnalité, qui sont vraiment beaucoup trop rigide, on ne peut pas en dire autant pour la simultanéité. En effet, il est absurde de donner aux simples citoyens un droit général à la riposte préventive à une infraction, alors que nos unités de police n'ont même pas ce droit. Il est tout aussi peu judicieux de donner un droit général de vengeance, même limité dans le temps.

"état excusable"

Le mot excusable n'apparaît qu'en droit civil, pour désigner une erreur donnant droit à une action en nullité d'un contrat. Il est totalement nouveau en droit pénal.L'apparition de ce mot semble démontrer que l'état n'a pas à être grave, sérieux ou même déterminant. On se trouve donc déjà dans un cadre trop large.

"excitation"

Cette notion n'est pas une notion de droit, comme chacun peut s'en douter. Le seul sens qu'il est possible de lui donner est l'état d'une personne qui ne se domine plus, un état très fréquent que chacun peut avoir en jouant simplement à un jeu vidéo. Ce terme mérite donc d'être supprimé.

"désarroi"

Cette notion n'est présente qu'en droit Allemand. Quant à son sens, les juriste allemands continuent de s'arracher les cheveux pour le déterminer. Pour éviter de tomber dans une telle incertitude, il vaut mieux abandonner également cette notion.

"crainte"

C'est l'un des rares termes du potentiel futur alinéa 3 de l'article 125-2 qu'on retrouve dans notre droit pénal, mais très indirectement. La jurisprudence pénale estime que la contrainte, une autre cause d'irresponsabilité pénale, n'est pas suffisamment caractérisée par la "crainte" d'un enfant vis à vis d'un de ces parents.

Il est évident que M. Estrosi ne comptait pas faire l'application de cette définition contextuelle. Nous pouvons supposer qu'en fait ce mot est un équivalent plutot mal choisi pour peur. 

"terreur"

Sans doute le seul mot qui ne mérite aucun reproche, même s'il n'est pas encore défini par notre droit pénal. Il démontre que, comme nous l'avons relevé, la présence du mot "crainte" relève plus d'une maladresse que de la volonté d'admettre la légitime défense dans des situations où le concerné ne se sent pas parfaitement menacé.

"saisissement"

En droit français, le déssaisissement est un acte de procédure par lequel une juridiction se déclare incompétente pour se prononcer sur un litige qui lui st soumis et indique la juridiction compétente. La notion de saisissement n'existe pas.

Elle provient du droit Suisse. Il est dangereux de s'inspirer de ce droit dns notre cas car il a une logique complètement différente de la notre en matière de légitime défense. En effet le droit Suisse considère que la légitime défense s'apprécie de manière subjective, autrement dit en tenant compte avant tout de la personne qui l'exerce. Alors que le droit français considère que la légitime défense s'apprécie de manière objective, en tenant compte avant tout d'éléments propres aux faits. Reprendre une notion de droit Suisse sur ce sujet ne peu donct qu'entretenir la confusion dans l'esprit du juge.

Il serait bien plus pertinent d'utiliser la notion d'altération des facultés de discernement : c'est le cas où une personne a commis une infraction alors qu'elle subissait une baisse de ces facultés mentales, insuffisante toutefois pour que son consentement à l'action puisse être mis en doute ( dans le cas contraire on parlerait d'abolition totale des facultés mentales). Cette circonstance n'est pas, de manière générale, une cause d'irresponsabilité pénale mais seulement une circonstance atténuante dont le juge doit tenir compte lors du prononcé de la peine. Dans le cadre de la légitime défense , il semble pertinent d'en faire une cause de légitime défense, d'autant plus qu'elle recoupe également, mais de manière très limité les notions de désarroi ou dessaisissement.

 

3 CONCLUSION : MA CONTRE-PROPOSITION 

Voici ce que je propose comme alinéa 3 de l'article 122-5 :

N'est pas pénalement responsable la personne qui, dans une des circonstance prévue aux alinéa précédents, a accomplit un acte de défense qui n'était pas proportionné ou nécessaire par rapport à l'infraction subie en raison d'un état grave et déterminant de peur, terreur ou altération des facultés mentales.

Et revoici la proposition de M. Estrosi : 

N'est pas pénalement responsable la personne qui en repoussant une agression a excédé les limites de la légitime défense en raison d'un état excusable d'excitation, de désarroi, de crainte, de terreur ou de saisissement causé par l'agression".

 Maintenant à vous de décider. Faut-il :

_ maintenir inchangé l'article 122-5 ? 

_ créer l'article 122-5 alinéa 3 proposé par M. Estrosi ? 

_créer l'article 122-5 alinéa 3 proposé par votre serviteur ?

_créer un autre article 122-5 alinéa 3 ?

 


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