La publicité est-elle une solution économique valable pour un média ?

par Arthelius
jeudi 23 juin 2016

L’idée de cet article m’est venue alors que j’attendais dans la salle d’attente d’un praticien. N’ayant rien à faire je me suis emparé d’un magazine qui m’attendait sur l’étagère. Il s’agissait d’un magazine gratuit sur le bio et l’écologie. Je n’ai aucun souci avec le sujet bien au contraire. Le magazine était épais, imprimé sur du papier de mauvaise qualité, pour réduire les coûts ce qui semble logique pour une publication gratuite. Je feuillète les premières pages et tombe sur des publicités, une, deux, trois, quatre pages. Ok logique même les magazines vendus en presse à bas prix ont recours à la publicité en masse. Puis j’arrive sur un article, une pleine page qui se poursuit sur la suivante, je tourne la page, et là consternation. La page de gauche était coupée en deux avec à droite une publicité, à côté la suite de l’article sur une colonne, et sur la page de droite une pub pleine page. Je suis maquettiste donc ce genre de chose je le remarque et surtout je sais comment cela se gère.

Autant vous dire que je n’ai pas fini l’article. Pourquoi ? Tout simplement par ce qu’en un instant cette revue avait perdu toute crédibilité à mes yeux en enfermant ainsi son article. C’est avoir peu de respect pour son auteur que de faire ça. C’est accorder moins de valeur à une publication qu’à la publicité. Déjà en lui donnant moins de place, ¼ pour l’article, contre3/4 pour la pub, mais également en écrasant son propos au milieu de la débauche commerciale. Donc oui ces pubs, pourtant classiques et anodines ont complètement plombé cet article.

Il est clair que je n’accordais déjà pas beaucoup de crédit à un magazine gratuit bourré de pubs, mais là ce fut le pompon. Surtout que ce pauvre article n’était pas le seul a subi ce sort funeste. La fin de la publication étant bourrée de petites annonces, qui étaient bien sûr payantes. Si je n’ai pas fini de lire ce magazine, cela m’a fait prendre conscience de la place qu’avait la publicité dans notre société, et parfois jusqu’à l’écœurement.

 

Du côté des éditeurs

Si je me suis fait le défenseur des rédacteurs, et interprété le rôle du lecteur indigné, en tant qu’ancien rédacteur en chef et chef de publication, je me dois d’évoquer ce qu’il se passe de l’autre côté afin que vous ayez toutes les pièces en main.

Produire une revue coûte cher. À imprimer, mais également à diffuser, que l’on passe par un circuit classique (la presse par exemple) qui prend un pourcentage énorme, ou par quelque chose de plus privé ou modeste comme l’envoi à des abonnés. Sans oublier les coûts internes de production ou les charges. Bref pour lancer un magazine et le faire tenir sur la longueur, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Et c’est moche à dire, mais certains magazines ne gagnent pas d’argent en vendant le magazine aux lecteurs, avec le prix de vente, mais avec la publicité qu’il y a dedans. Ça explique alors pourquoi il y a autant de pub dans certaines publications, ou la différence de prix entre deux magazines ayant le même nombre de pages. Plus vous avez de lecteurs et plus les pubs sont chères. Et selon leur emplacement dans une revue, les prix vont différer. Je en vous donnerais pas ici de prix fixe ni de nom de revue, car cela change très vite, mais si certaines pubs sont achetées une centaine d’euros, d’autres se négocient à plusieurs milliers.

 

Prix, public et revenus

Il est donc tentant et même presque logique pour une maison d’édition de proposer de la publicité dans ses revues. C’est un moyen de rendre le titre rentable et donc de le faire perdurer. Et parfois même de descendre son prix, enfin parfois. Pourtant, nous avons tous le même avis face à la pub ou presque, ce n’est pas agréable et c’est plus un nuisible que quelque chose de plaisant à subir. De plus, il a été prouvé par le passé que certains magazines modifiaient leurs écrits pour que ceux-ci donnent une bonne image des produits désignés par la publicité présente dans la revue. Ou bien les annonceurs retiraient leurs offres et faisaient donc mourir la revue. Pourtant, c’est immédiatement biaisé le propos. Pour pallier à cela, il faut décaler l’article et la pub pour que les deux ne se trouvent pas dans la même revue en même temps, et encore comme ça.

Moi-même j’ai eu recours à de la publicité pour mes revues, ou du moins j’ai tenté, car c’est très difficile à vendre, c’est pour cela qu’il existe des régies publicitaires dont c’est le métier. Sans elles difficiles de survivre, c’est un fait. Mais aussi un véritable problème. Car la pub n’est pas véritablement un revenu fixe et sur, loin de là, de plus c’est se lier avec une marque ou une société et donc modifier sa publication pour convenir à l’acheteur, même si ce n’est pas sur le propos ça le sera sur la maquette du magazine. Sans oublier que la publicité est mal vue, ce qui pourra avoir une répercussion sur l’image du titre.

 

La différence de prix

Comme j’ai pu le dire au-dessus, plus il y a de pubs et plus la revue sera peu chère, la pub compensant la perte de profit sur le prix de vente. Mais soyons honnête et lucide, si une pub est vendue 5000€ (si, si c’est possible je vous assure), cela représente en quantité non négligeable de revues vendues, même en imaginant que cela fait baisser le prix de la revue de 2€, cela veut dire 2500 exemplaires vendus, enfin d’économisés. Ce qui est un très gros chiffre qui ne prend même pas en compte la marge du marchand, du diffuseur et du coût d’impression. Au final, ça représente bien plus de revues « d’économiser » justes avec une pub, et ça, avec une seule pub. Il est donc normal de trouver un Citizen K à 1€, alors que celui-ci fait plus de 100 pages couleur A4, lorsqu’on est bourré de pubs d’articles de luxe. Le bouchon est poussé encore plus loin lorsqu’on voit qu’il y a 4 numéros par an, chacun à 1€, alors que l’abonnement est a plus de 20€, pour compenser les frais de port qu’engendrent les envois.

Pourtant, il ne faut pas se leurrer, dans la presse comme dans tout autre commerce, plus un article est bon marché plus celui-ci a de chance d’être de mauvaise qualité, ou dans notre cas de contenir de ne pas contenir un véritable fond rédactionnel en quantité. Il suffit de voir le prix de la presse people pour s’en convaincre ou des programmes TV, par rapport à n’importe quel magazine un peu spécialisé comme les revues sur les jeux vidéo. Les prix sont triplés voir bien plus. Et si la revue est encore plus spécifique, donc avec un lectorat moins important, les prix grimpent encore. Pourquoi ? Par ce qu’en ayant moins de lecteurs, la revue ne peut pas vendre ses espaces publicitaires aussi chers que dans une revue à grand tirage, et cela, même si le public de ces revues plus spécialisées sera surement plus enclin à jeter un œil aux pages de pubs qui concernent des produits qu’il apprécie.

 

Carnet d’adresses et temps libre

On s’offusque souvent devant les sociétés qui revendent nos adresses mails, ou ces pubs incessantes qui pullulent contre notre gré sur les sites web. Pourtant dans ce domaine la presse ne fait guère mieux. Elle ne vend plus votre adresse mail, mais votre temps libre, et aux sociétés un emplacement dans leur revue. Si avec un plugin il est facile de stopper les pubs sur le net, il en est tout autre dans un magazine. Il est impossible d’acheter un magazine où les pages de pubs auraient été arrachées avant votre première lecture. Et heureusement pour certains titres, car sinon il n’y aura plus rien à lire. Ces pubs vous les subissez comme on subit celles qui sont placardées dans la rue ou celles qui passent à la TV.

Pourtant, c’est paradoxal, mais pour une société et même des personnes à leur compte, il est primordial de faire de la pub pour faire connaitre ses produits et services. Sans elle le succès ne sera jamais au rendez-vous ou du moins bien plus tardif si la société a eu les reins assez solides pour tenir jusque-là. Et du côté des éditeurs, qu’ils soient des revues papier ou de site web, la pub apparait souvent comme le seul moyen de survivre. Précairement souvent, mais de survivre malgré tout.

 

Se passer de la pub c’est possible ?

Tout le début de cet article ne pouvait que logiquement nous conduire à cette question : pouvons-nous nous passer de la pub lorsqu’on gère une publication (au sens large) ? Je dois dire que je me suis longtemps posé la question en cherchant à rendre « rentables » certaines activités. Car comme tous j’ai besoin de manger et de payer mes factures, et que le gratuit est une chose qui me tient à cœur afin d’offrir mes maigres connaissances à tous, mais que celui-ci ne remplissait malheureusement pas mon assiette. Et je dois dire que la route fut longue avant de trouver des semblants de réponses, des bouts de solutions. Souvent la publicité revenait pour proposer un revenu sur le web. Il m’est souvent arrivé de tomber sur des sites qui parlaient de Google adsense, d’affiliation, de marques blanches, et j’en passe. Des idées anciennes qui n’offrent plus de revenues depuis bien longtemps, et qui restaient des solutions valables pour un nombre réduit de sites possédant un lectorat très important. De plus, la pub est toujours aussi mal vue et n’est donc pas la solution idéale, celle qui résout tous les soucis de trésorerie. Même lorsqu’on s’en remet entièrement à elle en troquant son image.

 

Les solutions

Pour un magazine il est assez délicat de répondre à cette question, car une revue répond à énormément de critères économiques, mais aussi de lectorat, de concurrence et de format, sans oublier le réseau de distribution. Du coup pour ne pas me disperser je préfère me cantonner au web, avec la chance que j’ai d’avoir ce site comme exemple.

Même si ce n’est pas la solution la plus rémunératrice, le « mécénat » peut remplir ce rôle de revenu. Patreon, un site anglais, et surtout Tipeee en France permettent aux créateurs de proposer aux personnes qui les suivent et aiment ce qu’ils font de les aider financièrement en échange de cadeaux ou avantages. Bien entendu faire appel à votre communauté ne fonctionnera que si vous proposez un contenu intéressant et travaillé, mais aussi en fonction de votre public. Pourtant, je trouve ce moyen très intéressant, car il met en exergue la relation qu’entretienne le lecteur et le créateur, une relation directe et importante pour le créateur, car celui-ci se sent soutenu (voir mon article sur la reconnaissance). Bien entendu vous pouvez vous passer de ces sites et passer directement par paypal par exemple pour des dons, ou encore Flattr qui propose de chaque mois déposer une cagnotte qui sera partagée entre tous les sites que vous avez visités et jugé intéressant. Une idée que j’aime beaucoup, car assez libre, voire logique, mais qui n’est malheureusement pas très suivi. Notamment, car c’est une société qui est derrière avec ce que cela implique de frais.

Il est également possible pour un site de proposer des goodies à la vente. Le lecteur peut ainsi soutenir le créateur tout en ayant une contrepartie. Celui-ci peut d’ailleurs avoir à son tour recours à un autre créateur qu’il apprécie pour réaliser ces produits. Même si ce ne sont pas des produits dérivés, les ebooks peuvent aussi constituer un revenu. Qu’ils soient vendus directement ou via une plate forme comme Amazon au format Kindle, ou sur Ulule en PDF.

De même avec des cours par skype ou mail, ou même dans la vie réelle. Pareil pour les conférences si vous êtes un expert dans votre domaine. L’abonnement à une partie plus spécifique de votre site peut aussi être envisagé. Tout comme la mise à disposition d’un contenu exclusif en avant-première en échange d’une somme modique. Contenu qui sera ensuite proposé gratuitement, mais bien plus tard. Vous payez alors pour avoir accès en avance à ce contenu.

Les solutions sont nombreuses pour se passer de la publicité et ainsi se départir du soutien des sociétés externes, tout en se rapprochant de sa communauté qui sera souvent bien plus fidèle et surtout intéressée par ce que vous faites. Le succès à long terme proviendra de cette communauté justement, donc raison de plus pour se rapprocher d’elle, lui faire confiance et la choyer, tout en n’oubliant pas de la surprendre et de la divertir.


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