La rentrée des classes
par Pierre Chazal
mardi 21 avril 2020
LA MAITRESSE : Bienvenue à vous tous. Alors, vous avez passé de bonnes vacances ?
LES VIRUS : Oui maîtresse !
LES MALADIES : Oui maîtresse !
LA MAITRESSE : Alors, nous accueillons aujourd’hui un petit nouveau, ou plutôt une petite nouvelle. Corona, tu veux bien te présenter à tes nouveaux camarades ?
CORONA : Bonjour, je m’appelle Corona Virus, j’ai 6 mois et je viens de Wuhan.
CHOLERA : C’est où, Wuhan ?
LA MAITRESSE : Tu peux nous le dire, Corona ?
CORONA : C’est en Chine.
PESTE : Je connais. J’y suis allée au 19èmesiècle.
CHOLERA : Menteuse ! T’y es jamais allée !
PESTE : Si, j’y suis allée. Demande à la maîtresse si tu me crois pas.
CHOLERA : Ah oui ? Et t’en as tué combien ?
PESTE : Des gens ? 50 000 morts en Mandchourie et 10 millions de morts dans les Indes britanniques.
CHOLERA : Les Indes britanniques, c’est pas en Chine. Ça compte pas. Pas vrai maîtresse que ça compte pas ?
LA MAITRESSE : Il a raison, Peste, et ce n’est pas bien de se vanter comme ça. Alors, ma petite Corona, dis-nous, qu’est-ce que tu as fait comme bêtises pendant les vacances ?
;CORONA : Bah… J’ai tué des gens.
GRIPPE : Moi aussi.
CANCER : Moi aussi.
CARDIOPATHIE : Moi aussi.
ASTHME : Moi aussi.
PNEUMONIE : Moi aussi.
HYPERTENSION : Moi aussi.
DIABETE : Moi aussi.
AVC : Moi aussi.
TUBERCULOSE : Moi aussi.
SIDA : Moi aussi.
EBOLA : Moi aussi.
PALUDISME : Moi aussi.
MENINGITE : Moi aussi.
ALLERGIE : Moi aussi.
SEPTICEMIE : Moi aussi.
HEPATITE : Moi aussi.
LA MAITRESSE : Bon, ça suffit comme ça. Je pense qu’on a compris le message. Vous allez intimider Corona, alors que notre tâche, au contraire, est de la mettre à l’aise. Dis-nous, Corona, qu’est-ce qui te caractérise, médicalement parlant ?
CORONA : D’abord, je viens d’une famille nombreuse.
PESTE : Woua, la chance. T’as trop de bol, toi.
CORONA : Je suis une maladie infectieuse de type zoonose virale et je provoque un syndrome respiratoire aigu sévère. Mon papa s’appelle SRAS et ma maman s’appelle H1N1.
LA MAITRESSE : Et donc, Corona, tu as tué combien de personnes à ce jour ?
CORONA : 150 000 personnes dans le monde.
MAITRESSE : Et l’âge moyen des victimes ?
CORONA : 73 ans.
PESTE : C’est du foutage de gueule ou quoi ?
LA MAITRESSE : Peste, ça suffit. Encore une remarque de ce genre et tu sors de la classe !
PESTE : Je crois qu’il vaudrait mieux pas, maîtresse…
LA MAITRESSE : Alors tu iras au coin. Et toi, Choléra, arrête de rire. Qu’est-ce qui te fait rire d’abord ? Tu te crois plus malin qu’elle, peut-être ?
CHOLERA : Plus malin, je sais pas, maîtresse. Mais moi, j’ai fait un million rien qu’en Europe au 19ème siècle, je continue sur du 95 000 par an depuis cinquante ans.
GRIPPE : Ouais, mais toi, c’est de la triche. Tu fais ça en Afrique. L’Afrique, tout le monde s’en fout et puis c’est trop facile. Ils savent pas se soigner, là-bas. Moi, en 1918, j’ai fait 165 000 rien qu’en France et 50 millions dans le monde et je me la raconte pas pour autant.
LA MAITRESSE : Corona « ne se la raconte pas », comme tu dis, elle énonce des faits.
PNEUMONIE : Non, mais c’est la grippe qui se la raconte. C’était même pas elle qui a fait ça en 1918, c’était son arrière-grand-mère. La grippe espagnole.
LA MAITRESSE : Ça suffit, j’ai dit.
CANCER : Corona aussi, elle abuse, maîtresse. 73 ans d’âge moyen, non mais vous imaginez ? Les gens de plus de 70 ans j’en fais ce que je veux moi aussi. C’est tout naze son histoire.
CARDIOPATHIE : C’est clair. Elle devrait même pas être en classe avec nous. Elle devrait être en CP.
LEPRE : Même pas en CP. En maternelle.
PESTE : Oh, la galeuse, elle est amoureuse !
LA MAITRESSE : J’ai dit, ça suffit !! Continuez comme ça et je vous remets dans vos flacons. Je ne plaisante pas. Alors, Corona, dis-nous ma grande, quel est ton taux de mortalité ?
CORONA : Je sais pas trop. 3,4% des cas reportés d’après l’OMS. Mais si on le rapporte à l’ensemble de la population, ça doit faire 0,00000015%. Mais c’est un vilain négationniste qui a dit ça, alors je sais pas trop…
PESTE : Moi, j’en peux plus, je me casse.
CANCER : C’est clair. C’est quoi ce délire ? Et comment tu sais, d’abord, que c’est toi qui les zigouilles ? S’ils ont 70 ans de moyenne d’âge, ça pourrait aussi bien être moi…
HYPERTENSION : Ou moi.
CARDIOPATHIE : Ou moi.
ISCHEMIE : Ou moi.
PNEUMONIE : Ou moi.
GRIPPE : Ou moi.
CARDIOPATHIE : Ah non, pas toi. Toi, t’as fait 72 morts en France cette année. Retourne jouer aux billes, tu seras gentille.
GRIPPE : Je te demande pardon ? T’as lu ça où ?
CARDIOPATHIE : AFP, France Soir, Sud Ouest, France 2…
GRIPPE : Mais je fais 8 000 par an chaque année. Et en 2017 j’ai fait 18 000.
CARDIOPATHIE : Alors il faut que tu travailles ta com’ parce que cette année, niveau couverture médiatique, t’es en dessous de tout.
CORONA : Non, mais c’est pas de sa faute.
LA MAITRESSE : Qu’est-ce qui n’est pas de sa faute, Corona ? C’est gentil en tout cas de défendre tes petits camarades…
CORONA : En fait, au Ministère, ils ont donné des consignes. Cette année on fait tout passer en Covid-19.
LA MAITRESSE : En Covid-19 ?
CORONA : C’est mon nom de code. Mais j’aime pas trop qu’on m’appelle comme ça.
LES VIRUS ET LES MALADIES : Covid-19 ! Covid-19 ! Covid-19 !
LA MAITRESSE : Ça suffit !! Mais qu’est-ce que vous avez, aujour-d’hui ? Vous êtes vraiment insupportables. Répète-nous donc, Corona, j’ai peur de ne pas avoir bien compris. Qu’est-ce qu’ils « font passer en Covid-19 ? »
CORONA : Tout ce qui ressemble de près ou de loin à une pneumonie ou une détresse respiratoire ou une pathologie de vieux, quoi.
PNEUMONIE : Hé, mais c’est dégueulasse, ça. Je tue un enfant toutes les 39 secondes dans le monde et ça y est, je compte pour du beurre ?
CORONA : Non mais les enfants, c’est différent. Ça par contre, je sais pas faire.
CHOLERA : Pourquoi ? T’en as tué combien ?
CORONA : Des moins de 15 ans ? En bonne santé ? Bah, une petite trentaine, je dirais.
CARDIOPATHIE : Et en EHPAD, t’es sur du combien ?
CORONA : 8 000 morts.
GRIPPE : C’est pas mal quand même. Même si j’ai une copine qui avait fait 20 000 en 2003.
CARDIOPATHIE : Ah bon ? C’était qui ?
GRIPPE : C’était la canicule.
LA MAITRESSE : Vous voyez, les enfants. Le réchauffement climatique, ce n’est pas de la blague, je vous l’ai suffisamment rappelé.
ISCHEMIE : D’un autre côté, maîtresse, la canicule c’est pas une maladie. C’est comme l’alcoolisme.
LA MAITRESSE : C’est là où tu te trompes, Ischémie, l’alcoolisme est une maladie. C’est une dépendance à l’alcool, et la dépendance est une forme de maladie.
HYPERTENSION : Et il tue combien par an, l’alcoolisme ?
LA MAITRESSE : Il y a à peu près 40 000 morts par an en France dues à l’alcoolisme.
CANCER : Et moi ?
LA MAITRESSE : 10 millions de morts par an. Dans le monde évidemment.
GRIPPE : Et moi ?
LA MAITRESSE : 650 000 morts pas an.
GRIPPE : Dans le monde ?
CHOLERA : Encore heureux. Tu croyais que c’était au Sri Lanka ?
GRIPPE : Ça va, j’ai le droit de demander.
LA MAITRESSE : Donc pour résumer, ma petite Corona, et pour qu’on puisse enfin commencer le cours, tu es une forme de pneumopathie sévère relativement contagieuse et potentiellement dangereuse pour des personnes âgées ou présentant des comorbidités importantes, c’est bien ça ?
CORONA : Oui madame. Il y a juste une toute petite chose en plus.
LA MAITRESSE : Nous t’écoutons.
CORONA : Le monde entier s’est confiné à cause de moi. Il y a plus personne ou presque qui sort dans la rue. Ils ont fermé les frontières et les magasins, et même les écoles. Et il y a des policiers en France qui mettent des amendes aux gens qui sortent sans raison. Le président il a dit que c’était la guerre et que c’était rien que de ma faute. Les médias ne parlent que de moi du matin au soir et les gens qu’on a cloîtrés chez eux et à qui on a pris leur travail applaudissent à leurs fenêtres tous les soirs.
Le silence tombe sur la classe. Les virus et les maladies se regardent sans comprendre. La maîtresse demande à tout le monde de sortir dans le couloir. Elle veut rester seule avec Corona, qui s’est mise à pleurer.
LA MAITRESSE : Allons Corona, arrête de pleurer. Pourquoi tu pleures, d’ailleurs ?
CORONA : Personne ne m’aime. Tout le monde est méchant avec moi. En France, j’ai pu aller partout quasiment nulle part à part dans l’Est et en Ile-de-France où j’ai fait un peu des bêtises.
LA MAITRESSE : Tu as contaminé combien dans ces régions ?
CORONA : Je sais pas, moi. Plus qu’ailleurs. 80% des cas, je crois.
LA MAITRESSE : Dans le Cantal par exemple, tu as tué combien de personnes ?
CORONA : Zéro.
LA MAITRESSE : Dans le Cher ?
CORONA : 41.
LA MAITRESSE : Dans les Côtes d’Armor ?
CORONA : 23.
LA MAITRESSE : Dans le Gers ?
CORONA : 11.
LA MAITRESSE : En Haute-Loire ?
CORONA : 6
LA MAITRESSE : Dans le Tarn-et-Garonne ?
CORONA : 3.
LA MAITRESSE : Et ils ont confiné le pays entier, sans tenir compte des données locales ?
CORONA : Oui madame.
LA MAITRESSE : Depuis combien de temps ?
CORONA : Un mois.
LA MAITRESSE : Et personne ne dit rien ?
CORONA : Personne.
LA MAITRESSE : Ma petite Corona, j’ai un peu de mal à comprendre, éclaire-moi. D’où vient le problème à l’origine ?
CORONA : Bah, l’afflux de malades impossible à gérer.
LA MAITRESSE : L’afflux de malades ?
CORONA : Dans l’Est et en Ile-de-France, surtout.
LA MAITRESSE : Prenons Paris, par exemple. L’hôpital de la Salpêtrière. Il y avait combien de lits disponibles au service des maladies infectieuses quand tu es arrivée ?
CORONA : 40.
LA MAITRESSE : Et combien de consultations annuelles ?
CORONA : 10 000.
LA MAITRESSE : Mais comment ils ont fait ? C’est intenable.
CORONA : Je sais pas, moi, maîtresse. J’étais pas là. Mais je crois qu’ils étaient pas très contents, déjà. Ça faisait 20 ans qu’ils disaient qu’ils manquaient de tout.
LA MAITRESSE : Tu m’étonnes. Et dans les autres pays d’Europe, tu as fait combien de morts ?
CORONA : Attendez que je me souvienne. Alors, au 19 avril… En Allemagne : 5 000. En Suède : 1 500. En Pologne : 347. Au Portugal : 687. En Grèce : 110. En Russie : 313.
LA MAITRESSE : Et en France ?
CORONA : 20 000.
LA MAITRESSE : C’est complètement dingue. Avec le confinement total ?
CORONA : Avec le confinement total.
LA MAITRESSE : Mais il y a bien un traitement qui doit marcher plus qu’un autre, non ?
CORONA : Bah, les scientifiques se penchent encore sur mon cas, mais il y a l’hydroxychloroquine qui a sauvé pas mal de vies partout dans le monde. Au Sénégal par exemple, les médecins, ils en ont guéri 200 sur 300 avec ça.
LA MAITRESSE : Oui, je connais. C’est un traitement qui a été efficace contre le paludisme. Et donc ils traitent les gens avec ça ?
CORONA : Pas en France, jusqu’il y a peu. Les médecins du gouvernement voulaient pas, ils voulaient faire des tests à l’échelle globale et voir c’était quoi les effets secondaires avant de se prononcer.
LA MAITRESSE : Et laisser les gens mourir en attendant ?
CORONA : Ils ont dit qu’il valait mieux mourir du Covid-19 que de la chloroquine. Au moins, c’était pas leur faute.
LA MAITRESSE : Et donc que tu disais qu’en France ils avaient confiné partout. Surtout dans les EHPAD, j’imagine ?
CORONA : Ah non dans les EHPAD, je me suis éclatée. J’ai fait du porte à porte et ils m’ont tous ouvert.
LA MAITRESSE : T’es sûre que c’est toi qui les as tuées ? Ne me mens pas, Corona…
CORONA : Bah ils avaient 80 ans de moyenne d’âge. Je sais qu’en 2015, par exemple, il y a eu 150 000 décès comptabilisés dans les EHPAD, alors c’est difficile de dire pour les 8 000 que j’ai tués cette année.
LA MAITRESSE : Ils sont en fin de vie, c’est difficile de savoir à coup sûr.
CORONA : Ah mais au Ministère de la Santé, ils savent. Ils savent tout, vous savez. Et ceux qui disent que c’est pas moi qui les ai tués, on les traite de tous les noms.
LA MAITRESSE : Espérons en tout cas qu’ils auront eu des funérailles décentes, auprès de leurs proches…
CORONA : Ah non, ça aussi c’est interdit. Si c’est moi qui les ai tués, pas de visite, pas de prêtre, pas de derniers adieux.
LA MAITRESSE : C’est incroyable. Ecoute, Corona, voilà ce qu’on va faire. Tu vas prendre ma place derrière ce bureau et moi je vais m’asseoir dans la classe avec les autres.
La maîtresse fait rentrer tout le monde. Corona est sur l’estrade, craie à la main et commence le cours à la place de la maîtresse.
LA MAITRESSE : Allez, taisez-vous. Ecoutez bien et prenez des notes. Interrogation écrite dans une semaine.
CORONA : Alors voyons. Au premier jour, Dieu créa les médias…