La Résurrection, jusqu’où ?

par Bernard Mitjavile
jeudi 25 avril 2019

Certains peuvent se demander quelle est la signification de la résurrection de Jésus, le langage entourant cet évènement pouvant paraître ésotérique.

En fait, le sens de la résurrection est simple, à travers elle, Jésus adresse un message clair aux autorités religieuses et laïques de son temps : « Vous avez voulu vous débarrasser de moi en m’accusant d’être un faux prophète, une personne faisant des miracles par le pouvoir du diable (de Belzebuth dans l’Evangile), quelqu’un mettant en danger l’ordre public et le respect de la Torah et qui pourrait nous causer des ennuis avec les Romains, allant jusqu’à chercher à me tuer (ainsi on cherche à le précipiter d’une falaise à Nazareth) et finalement en me condamnant à mort par un jugement inique, et bien je suis toujours là, vous n’avez pas gagné, la mort, le mensonge et la violence n’auront pas le dernier mot, je suis vivant. »

On peut rapprocher ce message du noble discours de Socrate à ses disciples avant qu’il boive la ciguë, tel que rapporté par Platon dans son Apologie mais le message de Jésus a une autre force : il ne s’agit pas simplement de dire que l’idée de la justice ou du bien pour laquelle Socrate est prêt à mourir est éternelle, de montrer le détachement dont fait preuve le philosophe à l’égard de la mort refusant même les possibilités de fuite, le message de la résurrection de Jésus n’est pas un message stoïque, il nous dit qu’il est présent avec nous dans nos luttes et le sera jusqu’à la fin des temps.

Bien sûr on peut discuter sur la nature du corps du Christ ressuscité : s’agit-il d’un corps physique ? Si oui, comment fait-t-il pour traverser les murs, apparaître et disparaître soudainement (les pèlerins d’Emmaüs et autres évènements). De plus, Jésus n’a été vu et entendu que par ses disciples même si ceux-ci furent jusqu’à 500 en une fois selon Paul à le voir simultanément et certains avaient du mal à reconnaître immédiatement Jésus ressuscité jusqu’à ce que ce dernier effectue certains gestes (partage du pain, montrer ses plaies, préparer un repas) ou dise certaines paroles. L’historien juif Flavius Josèphe écrit dans son Histoire ancienne des juifs que Jésus « leur apparut le troisième jour » indiquant qu’il apparut aux disciples et pas aux autres juifs, indiquant qu’il ne s’agissait pas d’une présence physique ou matérielle.

Cela n’empêche que la réalité de cette résurrection comme évènement vécu par les premiers chrétiens, évènement qui a bouleversé leur vie et l’histoire du Christianisme, reste au centre de la foi chrétienne

C’est cet évènement de la résurrection vécu par les premiers chrétiens Jésus qui a permis à une bande de disciples apeurés, se réfugiant en divers endroits, de proclamer la bonne nouvelle, de faire face aux persécutions du Judaïsme et par la suite de celles bien plus sérieuses de l’Empire Romain pour arriver en quelques générations à gagner cet empire à leur cause.

Ce paradigme de la résurrection, du passage de la mort à la vie, de la mort spirituelle à la vie spirituelle, a dominé notre histoire occidentale et on le trouve repris à de multiples occasions : on peut citer Jeanne d’Arc, brûlée à Rouen, qui convoque son juge principal, l’évêque Cauchon, devant le tribunal de Dieu après sa mort et qui voit sa cause l’emporter moins d’une génération après sa mort et son procès remis en cause par l’institution ecclésiale qui l’avait jugée comme sorcière, relapse et hérétique.

Plus récemment, ce paradigme qui revient à dire que les forces du mal n’auront pas le dernier mot, était repris par le mouvement des droits civiques aux USA proclamant après l’assassinat de Martin Luther King que son rêve d’une Amérique libérée du racisme continuerait à avancer vers sa réalisation après sa mort.

On retrouve le thème de la résurrection personnelle repris à travers les grandes œuvres littéraires de l’occident : Crime et Châtiment et les Frères Karamazov de Dostoïevsky, Les Misérables de Victor Hugo, A tale of two cities de Charles Dickens ou le Comte de Monte Cristo de Dumas, ceci sans parler des peintures, œuvres musicales (symphonie Résurrection de G. Mahler) ou autres.

Mais une question demeure : pour Jésus, cette résurrection n’est pas simplement une victoire individuelle sur la mort même si tout commence par là, mais doit amener à un changement de la société, à hâter la venue du Royaume, d’un monde où la volonté de Dieu est faite « sur la terre comme au ciel », aussi il appelle ses disciples après sa résurrection à « faire de toutes les nations des disciples » (Matt. 28 :19), en d’autres termes la résurrection ne concerne pas seulement des individus mais aussi les institutions sociales, nationales et autres structures pour mettre fin à ce que les théologiens libéraux ont appelé les « structures de péché » comme l’esclavage et différentes formes d’exploitation et de non respect de la dignité humaine, indiquant par ces structures que le péché n’était pas simplement une affaire individuelle.

Au cours des siècles, le Christianisme, malgré toutes sortes de contradictions et de reculs, a répondu à cet appel en humanisant de différentes façons les sociétés dans lesquelles il s’implantait, mettant graduellement fin à l’esclavage et aux jeux du cirque dans l’Empire Romain, modifiant le droit romain et développant une synthèse entre ce droit et les aspirations chrétiennes, entre autres en mettant fin au droit de vie ou du mort du pater familias sur ses enfants, mettant fin aux sacrifices humains en Amérique latine chez les Incas et Aztèques et éliminant progressivement bien d’autres coutumes considérées comme païennes ce qui n’a pas empêché les chrétiens de commettre bien des crimes dans ces pays.

Toutefois, on ne peut faire preuve d’autosatisfaction concernant cette extension de la résurrection aux dimensions sociales, culturelles et autres. On est loin du compte même si certaines nations se déclarent chrétiennes ou donnent au Christianisme une place centrale dans leurs institutions. Ainsi, si l’on considère un grand pays comme les USA où le président prête serment sur la Bible lors de son intronisation, où chaque session du congrès commence par une prière donnée par le « chaplain » du congrès, où chaque billet de dollar porte la mention « In God we trust », où les témoins d’un procès prêtent serment sur la Bible etc.., ce pays témoigne clairement par son histoire (ses origines avec les pères pèlerins du Mayflower) et ses institutions d’une influence chrétienne considérable mais si on considère la longue période d’esclavage, certaines guerres ou aventures étrangères aux motivations douteuses et bien d’autres aspects de la société américaine, on aurait du mal à le qualifier en tant que nation de disciple du Christ. Bien sûr, on pourrait en dire autant de toutes les grandes puissances occidentales dans lesquelles le christianisme a laissé une forte empreinte y compris bien sûr les anciens Etats Pontificaux.

En d’autres termes, cette victoire de la résurrection de Jésus n’est toujours pas pleinement incarnée dans les structures et institutions de notre monde, loin de là. Aussi l’horizon des chrétiens comme de tous les « hommes de bonne volonté » pour reprendre l’expression évangélique n’est pas simplement un horizon de résurrection individuelle mais de résurrection aux différents niveaux familial, social, national et mondial en considérant que la tâche est loin d’être achevée.


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