La révolution islamique ou la voie sans issue

par Mohamed BOUHOUCH
lundi 23 septembre 2013

  Généraux et colonels de l’armée, l’élite intellectuelle issue des grandes familles bourgeoises qui fournit une bonne partie des dirigeants et des cadres de l’administration, les gros propriétaires terriens, les grands dignitaires des confréries musulmanes acquises au pouvoir, voila la fine fleur, le dessus du panier qui gouverne et domine, au sommet de l’Etat, dans la plupart des pays arabes. L’homme fort du régime généralement un roi ou un haut gradé de l’armée, veuille à maintenir un équilibre et un partage subtil des responsabilités et des richesses entre ces différentes forces auxquelles il doit sa légitimité et sa pérennité.

  Le peuple quant à lui, qui constitue l’écrasante majorité de la masse populaire, est tenu à l’écart, marginalisé, exploité et asservi. Nous l’avons dit dans un article précédent : 41% des Egyptiens vivent sous le seuil de la pauvreté et presque la moitié des chômeurs sont des jeunes entre 20 et 24 ans. L’opposition, quand elle existe, est muselée. Ses organes de presse aux moyens subsidiaires ont rarement une audience nationale Son activité, couverte en permanence par les services de renseignement, reste toujours limitée à ses membres et sympathisants.

 En Egypte les élites du pays étaient " recrutées ″ et embrigadées par l’ancien régime qui les nommait dans des postes de responsabilité et aux hautes fonctions de l’Etat. Possédant pour la plupart de belles villas au Caire et des résidences de luxe à Charm Cheik et des comptes bancaires à l’Etranger, ils constituaient les soutiens infaillibles du pouvoir en place et la garantie de sa stabilité. Leurs enfants poursuivent leurs études dans des écoles privées et dans des universités étrangères. On retrouve d’ailleurs cette même caractéristique dans presque tous les Etats arabes. D’où l’existence dans tous ces pays d’une minorité de gens choyés, fidèles serviteurs du régime et béni oui- oui, qui approuvent sans réserve la politique et les décisions du patron de l’Etat et une écrasante majorité de " sujets " qui végètent dans la misère et le sous emploi.

 C’est au sein de cette masse que la colère populaire est née et grandit pour donner lieu à ce qu’on a appelé le printemps arabe. C’est la révolution ou plutôt la révolte, le soulèvement, le ras le bol de tout un peuple opprimé qui ne supporte plus l’injustice et les inégalités, un peuple qui refuse de rester éternellement soumis à une minorité de profiteurs à la solde de l’impérialisme étranger, un peuple enfin qui croit avoir trouvé refuge dans le giron d’Allah. Il est d’ailleurs d’usage dans le monde musulman, qu’en cas de malheur les gens se recueillent au sanctuaire d’un « saint homme » pour pleurer leurs détresses. Ils en repartent soulagés, ayant fait le plein d’optimisme. " Dieu est avec les patients qui ont la force de l’endurence″. Dit le Coran.

 Si le dessein des dirigeants de cet islam politique peut sembler « à priori », sain et légitime, la voie choisie pour le réaliser est dès le départ, condamnée à être avortée et rejetée par la communauté internationale. La révolution de 1917 qui a destitué le régime tsariste russe, malgré ses carnages et extermination des millions de vies humaines, est venue avec des idées marxistes et révolutionnaires pour sauver un peuple asservi. La révolution française de 1789 a permis de remplacer une monarchie absolue et une oligarchie pourrie, par une république qui a mis fin à la société d’ordres et aux privilèges. La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen a proclamé l’égalité devant la loi, les libertés fondamentales et la souveraineté de la nation.

 La " révolution ″ islamique vient quant à elle, pour ramener le peuple à plusieurs siècles en arrière, notamment dans l’application stricte et rigoureuse de la religion, ce qui est une aberration dans les temps où nous vivons. Le choix d’une croyance est une option strictement personnelle. Personne n’a le droit d’imposer aux autres de croire ou ne pas croire, de pratiquer ou non les obligations d’une religion donnée. Et c’est là le grand problème de la religion musulmane dans laquelle autorités et dignitaires religieux se font une concurrence pour imposer à leurs concitoyens la manière de se conduire et de mener leur existence. La priorité, toute la priorité est donnée à cet aspect de la vie en société, où l’individu se trouve prisonnier et emporté dans un engrenage de coutumes et de pratiques qui lui est imposé. Encore une fois, une croyance doit être librement consentie, sans quoi, elle devient une simple contrainte imposée à l’homme.

 On me rétorquera que les régimes des pays musulmans ne sont pas tous aussi contraignants, que leur système de gouvernement n’est pas basé uniquement sur les pratiques religieuses et que leurs activités sont riches en réalisations sociales et économiques. Les gens qui tiennent ce genre de langage, sont à notre avis complètement hors sujet ou alors ont une notion très rudimentaire de la démocratie. Quelle part font-ils aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales. Que représente pour eux la femme dont on veut cacher le visage derrière ce voile intégral, ridicule, qui ne laisse apparaître que leurs yeux ? Que pensent-ils des limitations faites encore aux femmes en Iran et dans les pays du Golfe où elles ne possèdent aucune personnalité, aucune notoriété et deviennent de simples femelles acquises pour satisfaire les désirs sexuels de l’homme et agneler. 

 Certes, nous avons nous-mêmes soutenu l’idée de laisser les Islamistes égyptiens faire leur propre expérience à partir du moment qu’ils ont été portés au pouvoir par une majorité de citoyens. Notre position, sincère, était inspirée par le seul désir de respecter la volonté et le suffrage populaires. Nous avons été traité d’Islamiste par certains commentateurs qui, au lieu de lire attentivement un texte, ne font que le survoler sans chercher à comprendre la pensée profonde de l’auteur. Je reconnais aujourd’hui que le risque à courir était en effet trop grand. Mais que faire ? Avoir deux conceptions de la démocratie ? Accepter le verdict des urnes en Occident et le refuser ou l’ignorer dans le monde musulman ? C’est là un choix que, en tant que démocrate très attaché à la liberté, j’hésite encore à prendre.

 Le monde va donc continuer à vivre, et longtemps encore, ce douloureux dilemme. Il serait en effet malheureux de méconnaître la misère économique, sociale et morale dans laquelle vit la majorité arabe et égyptienne plus particulièrement. Il serait aberrant de leur refuser le droit de se révolter, de rejeter cette autocratie militaire qui les gouverne et d’exiger un système juste et égalitaire, le respect des libertés (individuelles, d’expression, d’opinion, de presse, de réunion, syndicale et religieuse) ainsi que la disparition des privilèges.

 Quel point commun entre ces révolutionnaires français qui ont, le 14 juillet 1789 pris d’assaut la Bastille de Saint-Antoine et les milliers d’Egyptiens qui ont investi les places Tahrir et Rabéa Adaouia au Caire. Les uns comme les autres étaient motivés par leur soif de liberté et de dignité humaine. En Egypte, au règne despotique et discrétionnaire du roi Farouk a succédé un pouvoir militaire, plus abusif et contraignant que le régime impérial.

 Pour mettre fin à l’emprise des Islamistes dans les pays musulmans, ne convient-il pas plutôt, d’aider ces peuples à se dégager de cet esclavage, de permettre aux citoyens de pouvoir jouir librement de leurs droits légitimes. L’occident a l’habitude de s’élever contre la répression et de dénoncer les violations des droits de par le monde, même en Russie et en Chine, Pourquoi garde-t-il le silence et les yeux fermés quand il s’agit de régimes qui lui sont favorables (Pays du Golfe, Maghreb, et Afrique noire) ? Pourquoi, au lieu de protéger ces potentats et de leur fournir des armes, ne s’emploie-t-il pas à aider plutôt les oppositions, qu’elles soient libérales ou de gauche, pour chasser ces dictateurs ? .

 Ce serait là, à notre avis, le meilleur moyen et le seul de limiter voire de stopper l’avance des Islamistes qui passent aujourd’hui pour les défenseurs des peuples opprimés, ce qui renforce leur audience et leur donne une notoriété dans le monde musulman.


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