La Russie, de la boue des tranchées aux propos fangeux du président Macron
par Alexandre PAGE
vendredi 9 novembre 2018
« On ne protégera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir une vraie armée européenne face à la Russie qui est à nos frontières et qui a montré qu’elle pouvait être menaçante » Emmanuel Macron
À l’heure du débat sur l’intégration ou non du maréchal Pétain aux commémorations du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, la phrase du Président de la République est passée quelque peu inaperçue. Est-ce à cause de l’image (trop) négative de la Russie en Europe ? Est-ce à cause d’une opinion sensible aux propos du Président Macron ? Je dirai surtout que le peu d’émotions suscitées (laissées seulement au Rassemblement national et à un historien, Édouard Husson, dont on ne peut que saluer le sain rappel qu’il a signé dans Atlantico) vient d’une histoire balayée des mémoires. Bien sûr, les commémorations du centenaire ne feront pas exception, et tandis que l’on parlera, à juste titre, des Tommies ou des troupes coloniales, des hommes de l’avant et des femmes de l’arrière, on oubliera que les victoires et les défaites se sont jouées collectivement, sur les fronts ouest et est.
Si l’on ne peut reprocher à Emmanuel Macron d’avoir baigné dans la même ignorance que la grande majorité de ses concitoyens, souffrant de l’acrimonie du système scolaire français pour la Russie, « l’Ogre soviétique », il est regrettable qu’un président ne sachant pas, privilégie la bourde au silence. Avouons-le, les conséquences autour d’une table du café du commerce sont moins graves et, pour tout dire, moins blessantes.
Il y a cent ans, la Russie a payé un lourd tribut durant la Première Guerre mondiale, qui ne fut pas seulement humain. Une révolution la fit sortir de la guerre avant son terme, et elle paya cela par une ostracisation des vainqueurs. Malgré ses pertes, des millions d’hommes en trois années et demi de guerre, elle ne défila pas sous l’Arc de triomphe à Paris avec ses alliés. La France, le « pays ami » loué par le tsar Nicolas II, démantela la Russie de l’Ouest, aidant à l’indépendance de la Pologne, accordant la Bessarabie à la Roumanie, tout cela pour établir, selon Clémenceau, « un mur contre le bolchevisme ». Ce même Clémenceau qui, recevant le grand-duc Alexandre Mikhaïlovitch, membre de la famille impériale de Russie venu lui demander de l’aide contre les bolcheviks reçut après un « non » irrémédiable cette cinglante réplique : « Le bolchevisme est le mal des nations vaincues ».
Il y a cent ans, les Russes, tout du moins les Russes blancs, ont accepté cette ostracisation, aussi scandalisés par le traité de Brest-Litovsk que les nations alliées, considérant leur attitude comme une juste réponse à la démarche inique du gouvernement bolchevik. Pourtant, ils auraient pu invoquer la Marne. Qu’aurait-elle été, si à la fin d’aout 1914, s’enfonçant précipitamment en Prusse-Orientale, les Russes n’avaient surpris les Allemands ? Qu’aurait-elle été si les armées des généraux Samsonov et Rennenkampf n’avaient obligé les Allemands à maintenir leurs troupes sur le front est ? Ces derniers n’avaient alors aucun plan pour la Russie. Saint-Pétersbourg (Pétrograd) était à mille kilomètres de Königsberg, la capitale de la Prusse-Orientale, et les Allemands étaient à quatre-vingts kilomètres de Paris en septembre 1914. Il y a tout lieu de penser qu’en 1914, la guerre se serait terminée pour la France comme en 1870, par un siège de la capitale, ô combien plus destructeur et meurtrier, et une défaite, plus cruelle encore. Une armée russe de 200 000 hommes tomba en aout 1914, pour le succès de la Marne, en septembre de la même année.
Les Russes auraient pu aussi invoquer Verdun. En mars 1916, Maurice Paléologue, ambassadeur français en Russie assura en personne la projection d’un film de propagande sur les défenseurs de Verdun au palais impérial pour convaincre l’empereur de passer à l’offensive dans le but de détourner une partie de l’armée allemande. Ce même Maurice Paléologue qui n’hésita pas à avouer dans ses mémoires qu’un soldat russe mort manquait moins à son pays qu’un Français pour le sien, car moins diplômé, « presque analphabète » et qu’à choisir, mieux valait le sacrifice d’un ignorant que d’une intelligence. L’empereur Nicolas II n’avait prévu aucune opération en mars, ses généraux s’opposèrent à une offensive, mais il ne put se résoudre à abandonner Verdun et à rendre inutile un tel sacrifice. Ce fut l’opération Narotch, vaine pour la Russie, sanglante car préparée à la hâte pour sauver la France. En mars 1916, dans le froid glacial, près de quatre mille soldats russes tombèrent chaque jour dans les marécages gelés de Narotch, pour « occuper » les Allemands et soulager à nouveau l’allié français. Combien d’autres sollicitations encore ? 500 000 hommes demandés à la Russie par la France pour renforcer son front qu’elle ne put que partiellement lui fournir.
On aurait pu croire qu’en 1918, les Alliés n’oublieraient pas complètement le sacrifice russe dans la guerre. Il n’en fut rien. Les Américains et les Italiens lorgnèrent vers les richesses des « morceaux d’Empire » devenus indépendants. La France et l’Angleterre, plutôt que de lutter contre le bolchevisme tentèrent d’ériger un mur en Europe derrière lequel ils laissèrent leur ancien ami. Ce mur, bien sûr, construit à la va-vite, vola en éclat quelques années plus tard, lorsque les Soviétiques arrivèrent à Berlin, débouché sur la Guerre Froide.
S’il y a bien une qualité souvent souligné chez les Russes par les voyageurs européens d’hier, c’est leur absence totale de rancune. L’orthodoxie apprend qu’un saint n’est pas un homme sans faiblesse, mais un homme qui tente de les surmonter, et le pardon est inévitablement, dans la nature russe. Nicolas II n’a-t-il pas pardonné à ceux qui l’ont trahi ? Sans doute pardonneront ils encore, en 2018, l’affront belliciste de notre Président, après les attaques gratuites des Britanniques, et les sanctions vaines des Américains. La Russie pardonnera avec d’autant plus de facilité, qu’elle sait que l’Europe qui la voit comme une menace, existe par elle. Alors pardonnons au Président Macron, pensons que des soldats russes aussi sont morts sur le sol français et pas seulement dans les plaines glacées de l’Europe de l’est, et qu’au moment où l’on tend si aisément la main fraternelle à l’Allemagne pour les commémorations des deux guerres, il serait bien honteux que la Russie ne soit dans nos mémoires comme dans la bouche de notre Président, qu’une « menace ». Disons à nos amis russes, à la place de notre Président, que pour le sang versé de commun, ils n’ont jamais cessé d’être dans nos cœurs.
Signé, un Français, amoureux de la Russie et zélote de Nicolas II parce qu’il sait ce qu’il leur doit.
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