La Russie va-t-elle sortir vainqueur et grandie du conflit géorgien ?
par Imhotep
mardi 26 août 2008
On nous présente ce conflit de façon très simpliste : les Américains voulant étendre leur hégémonie militaro-financière ont sinon poussé ou encouragé Saakachvili à attaquer l’Ossétie, au moins laissé faire, la Géorgie croyant benoîtement à un soutien sans faille de ses alliés européens et américains. Et légitimement la Russie a défendu le bon droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et a répondu à la lâche attaque par une opération justifiée de police (et de punition). Le tableau est simple. Blanc et noir.
La réalité est autrement plus complexe. Ce conflit est un poker menteur absolu :
- d’un côté, Saakachvili qui veut conserver une Géorgie dans une certaine intégrité territoriale ;
- d’un autre, la Russie qui veut récupérer son influence et déclare défendre la veuve et l’orphelin.
Où est la vérité dans tous les faits annoncés ? Chacun donne des informations et, si elles correspondent à l’opinion de celui qui la lit, elle est pour lui La Vérité, dans le cas contraire, elle n’est pour lui que de La Propagande. Peu vont vérifier les informations. L’on dit que l’on tombe du côté où l’on penche. Certains cherchent parfois à ne pas tomber.
Cependant, il y a des textes officiels qu’il suffit d’aller chercher par exemple sur le site de l’ONU. On y apprend par exemple que le 8 août en séance plénière ceci : Posant des questions à son tour, le représentant de la Géorgie a demandé : êtes-vous disposés à arrêter ces avions de combat qui sont prêts à bombarder la Géorgie ? Que va faire le Conseil de sécurité maintenant ? a-t-il encore demandé.
Une réunion du Conseil, a dit le représentant de la Fédération de Russie, n’est pas le meilleur endroit pour poser des questions et obtenir des réponses. Mais, a-t-il dit, les dirigeants géorgiens pourraient par exemple annoncer leur intention de revenir au respect des accords qui ont permis la paix jusqu’ici. Ils pourraient aussi annoncer qu’ils sont prêts à revenir à la situation qui existait auparavant. Ils pourraient également présenter des excuses pour leur action irresponsable et aventurière, a suggéré le représentant.
« J’ai obtenu ma réponse », a commenté le représentant de la Géorgie.
Cet exemple pour contredire ceux qui ici disaient que les Russes voulaient arrêter l’intervention et en avaient fait la demande au Conseil de sécurité. On apprend juste qu’ils ont fait une demande en commission non publique, sans rien connaître du contenu de cette proposition. Il est facile ensuite de parler de demande. Quel en était le contenu ? En revanche, les réponses sur le bombardement, elles, elles sont claires : ce n’est pas là qu’on en discute. Et où donc alors ? Pure langue de bois. Ce que chacun peut vérifier sans passer par aucun filtre. Et ceci pour vous montrer que savoir la vérité est quasi impossible. On y apprend aussi que de façon officielle dès le 8 août la Géorgie demandait un cessez-le-feu. Ce qui contredit plusieurs affirmations, notamment que Sarkozy qui n’est intervenu que le 10 août a eu une influence et ensuite que la Russie défendait l’Ossétie. Car à cette date, le 8, la Géorgie reconnaissait sa défaite. Tout aurait pu être stoppé à cet instant. Le 25 août, les Russes sont toujours en Géorgie, contre la parole et la signature données. Enfin ce texte ne peut être de la propagande de la CIA car c’est la reprise d’une réunion publique, donc vue de tous.
Voici un autre extrait qui devrait éclairer ce que pensent d’autres pays que les Etats-Unis de cette affaire, en l’occurrence la Libye, farouche opposant aux Etats-Unis et le Costa Rica, opposant aux Etats-Unis :
M. Giadalla Ettalhi (Jamahiriya arabe libyenne) a noté que la situation dans la région s’était détériorée et qu’elle avait de graves conséquences pour la paix et la sécurité dans la région. Il a regretté le grand nombre de morts et de blessés parmi les civils ainsi que parmi le personnel de maintien de la paix. Le représentant a lancé un appel pour un cessez-le-feu immédiat, demandant que la situation revienne à celle précédant le conflit. Il a également appelé à des négociations pacifiques et à mettre fin aux actes de provocation. Le représentant a espéré que le Conseil de sécurité pourra se réunir en vue d’adresser un message fort, tenant compte de la situation grave qui vient d’éclater.
M. Saul Weisleder (Costa Rica) a, à son tour, appelé à la cessation des hostilités et à la reprise des contacts sans condition. Il a réaffirmé l’appui de son pays à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de la Géorgie. Il a appelé les parties à faciliter l’accès humanitaire à toutes les personnes où qu’elles se trouvent dans le territoire de la Géorgie.
De ces interventions à l’ONU, on se rend compte que la Russie a refusé le cessez-le-feu demandé par de nombreuses parties. Cela est un fait vérifiable, et que vous pouvez vérifier sur le site de l’ONU. Il ressort que des pays violemment anti-américains comme la Libye ne soutiennent pas la théorie de la Russie. Ce qui devrait faire réfléchir ceux qui affirment un peu vite qu’elle a raison.
On apprend que les Américains conseillent l’armée géorgienne, mais ce que l’on sait moins c’est qu’il y a les accords internationaux qui interdisent d’avoir une armée, qu’il y a donc un ministre de la Défense en Ossétie du Sud et en Abkhazie, et, stupeur, qu’ils sont Russes ! Que le Premier ministre de l’Ossétie du Sud, Iouri Morozov, serait un citoyen russe. Par ailleurs, on apprend également qu’il y avait des bases militaires russes (d’Akhalkalaki, de Batoumi et de Gumri) qui devaient être démantelées en 2008 (accord de 2005 après des demandes datant de 1999, les Russes demandaient eux 500 millions de dollars de compensation), sur le territoire géorgien. Il n’y a donc pas que les Américains qui aient des bases en dehors de leur territoire.
Allons plus loin, on apprend par des journalistes russes qui ont témoigné soit à la télévision soit sur leur blog, que les Russes préparaient cette invasion depuis longtemps.
Voilà donc ce que pensent des Russes de Moscou, sans doute aveuglés et néocons, mais Russes, de la Russie de Poutine, et ce sont des journalistes :
Alexeï Venediktov, le rédacteur en chef d’Echo de Moscou, sans doute la seule radio d’opposition à informer en temps réel via les ondes FM et internet, s’est exprimé également « pour » l’entrée des troupes russes en Ossétie du Sud. « Je suis convaincu que l’entrée de l’armée russe, pour défendre la population civile exposée au feu des Grads, était justifiée. Quelle que soit la nationalité de la population, […] je pense que la Russie avait le droit moral d’y entrer pour la défendre. Ce que je trouve injustifié, du point de vue politique, c’est la sortie de nos troupes en dehors des frontières d’Ossétie du Sud et d’Abkhasie. Le bombardement des cibles et des infrastructures non militaires, des civils à Gori et dans les environs de Tbilissi est une erreur, c’était trop », s’est-il exprimé le 12 août dans l’émission Sans intermédiaires.
Sergueï Kovalev, le célèbre défenseur des droits de l’homme, n’est pas de cet avis. Dans une vidéo diffusée par le webzine www.grani.ru, l’ancien dissident constate avec amertume que « beaucoup de [ses] amis parmi les défenseurs des droits de l’homme […] approuvent l’invasion russe, estimant qu’elle a permis d’arrêter des massacres ». Et de rappeler que la Russie a tout fait pour déstabiliser la région : « Moscou a régulièrement, sans arrêt et par tous les moyens, augmenté les tensions dans cette région ».
Pour Pavel Felgenhauer, l’éditorialiste du journal d’opposition Novaïa gazeta, cette guerre était inévitable, car elle a été préparée longtemps à l’avance. « Aujourd’hui, il m’est tout à fait évident, que l’intrusion russe en Géorgie était préparée à l’avance et la décision politique définitive de terminer les préparatifs pour déclencher une guerre au mois d’août, était prise, vraisemblablement, encore en avril », écrit cet analyste. Il revient en détail sur le mouvement des troupes militaires russes depuis plusieurs mois aux portes de la Géorgie et le sommet de l’Otan à Bucarest en avril qui a donné un coup d’accélérateur aux intentions russes dans le Caucase. Tout le monde semble s’accorder sur un point : la Russie s’est retrouvée isolée à l’issue de la crise. « Personne ne l’a soutenue : ni la Chine, ni le Venezuela [Hugo Chavez s’est depuis exprimé en faveur de l’opération russe dans son émission dominicale Allô, président !], ni Loukachenko. Seul le dirigeant de l’île de Cuba nous est resté fidèle », constate Alexandre Golts sur le webzine www.ej.ru.
Ce qui confirme la rapidité d’intervention, c’est que cette invasion était préparée d’avance, et que la Russie contre la législation internationale aurait largué des bombes à sous-munition. Vu de Géorgie, le nouvel ordre mondial, version russe, est inquiétant. L’armée a vandalisé les installations portuaires de Poti, laissé des mines et des sous-munitions sur tout le territoire géorgien, bombardé des usines et des voies ferrées. Parmi les supplétifs de la "Force de maintien de la paix" lâchés en Ossétie du Sud figurait l’ancien chef de guerre tchétchène Soulim Iamadaev, recherché pour "crimes graves" par le parquet. Depuis la victoire russe, les poursuites ont été abandonnées (Le Monde), et ont posé (là ce n’est plus du conditionnel) des mines dont on se demande en quoi cela participerait à la paix : Ainsi, un train qui transportait des produits pétroliers, a explosé, a priori sans faire de victimes, après avoir heurté une mine à cinq kilomètres à l’ouest de Gori où les forces russes ont été omniprésentes pendant une dizaine de jours jusqu’à leur retrait vendredi. Selon le gouverneur de la région, l’incident s’est produit près d’une base militaire qui avait été occupée par les forces russes (voir photo avec l’article du Monde).
A propos d’histoire, il y a deux points qui sont éclairants :
1- l’Abkhazie avant 1991 avait plus de 60 % de Géorgiens, et moins de 30 % d’Abkhazes (d’autres chiffres donnent respectivement 44 % et 17 %). De ce fait, ayant expulsé plus de 250 000 Géorgiens, les Abkhazes deviennent majoritaires. Faire voter ces Abkhazes dans ce cas précis n’est qu’une parodie de démocratie ;
2- l’Ossétie du Sud n’existe pas. Au XVe, cette région dépendait d’une maison princière Machabeli, ayant pour suzerain le roi de Géorgie et ayant une relative autonomie de 1 470 à 1 800 avant l’annexion par la Russie. Point d’Ossétie. On sait pertinemment que les montagnes sont des frontières naturelles qui ont délimité les nations. Exactement ce qu’il y a entre l’Ossétie du Nord et la Géorgie, le Caucase avec des cols à plus de 2 000 mètres (comme entre la Savoie et le Piémont par exemple et cela ne fait pas un seul pays, les Alpes donnent à chaque côté sa vérité selon le proverbe consacré). De plus, cette Ossétie n’est devenue administrativement une entité que par la volonté de l’URSS. C’est une invention et non une nation historique. Les Ossètes sont originaires de bien plus au Nord.
On nous dit que la Russie a gagné et qu’elle va ressortir renforcée de cette intervention en Géorgie. Je ne suis pas devin. Il reste cependant que des réalités vont ressortir immanquablement. Contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, la Russie est assez isolée dans le monde. A l’extérieur, on l’a vu avec la Libye et le Costa Rica, par exemple, mais ce ne sont pas les seuls pays qui pensent que la punition est disproportionnée. Le monde voit bien ensuite que la Russie ne respecte pas les accords signés. On aura beau dire qu’ils ont eu raison d’intervenir, de moins en moins de monde accepte qu’ils restent et que ce ne soit pas une force internationale qui intervienne. Il y a une dégradation rapide de l’image de la Russie à cause du maintien des troupes en Géorgie. Il ne suffit pas de faire dix-huit articles pour prouver ô combien les Russes ont raison, que ce sera l’opinion que l’Histoire retiendra. Et de l’intérieur. A l’intérieur de la Russie, il y a en fait deux sortes d’opposants :
- ceux qui sont modérés et qui pensent que la Russie est allée trop loin (en référence aux commentaires russes plus haut), cela va entraîner quelques dissensions au sein de la population (sans doute majoritairement pour l’invasion de la Géorgie), du gouvernement et des politiques, mais Poutine est trop fort. Cette opposition-là sera maîtrisée, par la force s’il le faut, par la propagande, par l’exacerbation du nationalisme ;
- il y en a une autre qui sera plus difficile à contrer. Tout le monde croit que la Russie avec ses nouvelles richesses peut tout se permettre. C’est ce qu’on lit ici et là. Russia is back (si vous me permettez cette association qui doit en faire sauter plus d’un au plafond). J’ai lu qu’elle était si grande avec tant de matières premières que la détérioration du commerce avec l’extérieur n’était pas un risque. Raisonnement étrange. (Selon une autre lecture, la direction russe se joue des Occidentaux. En ne respectant pas l’accord signé, la Russie envoie un message au reste du monde. "Plus question de jouer selon les règles occidentales", résume Maria Lipman, experte des relations internationales au centre Carnegie de Moscou.
Riche de ses pétrodollars, obsédée par la restauration de sa puissance, la Russie se pose en alternative aux Etats-Unis. "Les Américains sont en Irak, pourquoi la Russie ne serait pas en Géorgie ? La Russie fait ce qu’elle veut et personne ne peut l’en empêcher, voilà le message", explique Maria Lipman.
Selon elle, les Occidentaux ne peuvent changer la donne. La suspension du conseil Otan-Russie n’est pas catastrophique, une éventuelle exclusion du G8, la non-adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pas davantage. "La Russie a des ressources immenses et puis la diversification promise n’est pas pour tout de suite" (Le Monde ibid.). Cet article dit que ne plus faire partie du G8, ne pas faire partie de l’OMC ne serait pas un grand problème. Or, le fait que les Russes voyagent de plus en plus, que ces restrictions auront un impact psychologique, il y a l’aspect purement mécanique qui a commencé. La Russie a perdu en quelques jours depuis le début du conflit 1,5 % de ses réserves de change. Les investisseurs commencent à partir. Ce serait semble-t-il la plus grande fuite de capitaux depuis les problèmes des années 80. La seconde conséquence sera pour les Occidentaux de trouver d’autres fournisseurs avec le temps. Ce qui est une arme à court terme des Russes devient une catastrophe à long terme contre eux. Et dans les opposants, ce qui risque de ne pas faciliter la vie de Poutine, ce sont les oligarques, les oligarques ploutocrates. S’ils sont nationalistes, ils ont découvert que leur fortune ne s’est faite que par les échanges commerciaux avec les plus riches : l’Ouest. Même si cela n’apparaît pas au grand jour, il semblerait qu’ils commencent à s’inquiéter sérieusement.
Toutes ces informations proviennent évidemment de sources différentes et, avec le temps, je deviens très sceptique à leur véracité. Elles sont très souvent incomplètes et parcellaires, tronquées volontairement, parfois fausses. Un grand nombre n’est que propagande. On verra ce que l’avenir en dira, mais préjuger aujourd’hui que c’est une victoire et que la Russie en sort grandie et vainqueur, c’est à voir. A ce jour, elle a vaincu la Georgie. Ce n’est pas contestable. Comme n’est pas contestable que c’est une victoire bien facile. Elle fait un beau pied de nez à l’Occident en restant sur place pour montrer combien elle est forte, mais pour le faire elle trahit sa parole. Cela s’appelle, comme on le reproche aux Etats-Unis, de l’arrogance et un engagement non tenu. Il n’est pas sûr qu’à moyen et long terme une parole non tenue, une signature non honorée, des raisons d’invasion, qui sont aujourd’hui critiquées - que ce soit minoritaire ne change rien, c’est le fait qui compte - en Russie même, une mise à l’écart possible des instances internationales et du commerce mondial fassent d’elle une nation gagnante et grandie à l’avenir.
Ce n’est qu’une analyse, soyons prudent.