La science est-elle devenue ennuyeuse ?

par Bernard Dugué
mercredi 21 mars 2007

Ce lundi 19 mars 2007, j’ai assisté à un café science à la librairie Georges de Talence. Le thème, l’exobiologie, autrement dit la science qui cherche les conditions d’apparition de la vie sur d’autres planètes dans l’univers. Comme cela a été précisé par les deux scientifiques conviés à débattre, l’exobiologie est en relation avec la biologie et la quête de l’origine du vivant mais dans sa programmatique, elle n’a pas pour but de répondre aux questions de l’origine. Bref, elle se donne comme objectif de savoir s’il existe des éléments physiques et chimiques compatibles avec l’apparition de la vie sur des planètes que les sondes étudient, avec l’appoint, modique, des systèmes d’observation terrestres.

Je ne suis ennuyé comme jamais à écouter ces deux scientifiques, l’une astrophysicienne, l’autre chimiste, causer des conditions d’apparition de la vie sur la base d’anecdotes savantes sur les molécules organiques, le ribose et l’adénine, la datation des minéraux, la présence de l’eau ; quelques banalités sur l’origine de la vie ; même pas quelques questions dans l’auditoire pour sauver la mise ; que de choses convenues et entendues ailleurs ; une réunion dont le niveau a été proche de l’enseignement secondaire, avec un animateur peu enclin à ouvrir l’étonnement, excepté la subtile mais attendue métaphore du réverbère, celui qui cherche ses clés ou la vérité là où le lampadaire éclaire, bref, une réunion d’un ennui mortel, et ma foi, c’est bien la première fois que la science m’est apparue sous un jour aussi insignifiant, inutile, dérisoire, inintéressant.

Comment expliquer ce sentiment ? N’avais-je point pour la science une passion intellectuelle sans faille, une curiosité sans mesure, prêt à lire toute littérature portant sur les objets de science et surtout les considérations théoriques et philosophiques qu’on peut en déduire. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme disait Rabelais, alors à sa suite, je me permets de dire que science sans philosophie (métaphysique) n’est qu’ennui mortel pour une âme en quête de sens et d’étonnement. De métaphysique ou autres considérations, il ne sera pas question, comme cela a été ouvertement précisé par Muriel Gargaud, astrophysicienne invitée à présenter l’exobiologie, indiquant que cette science transdisciplinaire n’a pas pour vocation à expliquer le pourquoi mais dire le quand, le où et le comment. Autrement dit, un énoncé d’exobiologie pourrait dire que sur l’astre Alpha, des traces organiques, observé près de roches sulfureuses, laissent penser que la vie a pu exister il y a x centaines de millions d’années, alors que les modèles astrophysiques calculent une température proche de celle de la terre à cette période.

On dit que les études scientifiques ne séduisent plus, que la science n’a plus la cote auprès des élites, des médias, du grand public. Ce n’est pas vrai. La science s’est tout simplement banalisée en perdant une aura noble et mystérieuse, presque mythique, voire même religieuse au sens laïque, étant entendu que l’histoire à ses héros et la science ses grands savants, êtres singuliers et solitaires, dont la représentation emprunte à la fois aux saints de l’Eglise et aux héros de l’histoire. De plus, cette science moderne possède des textes canoniques et quelques équations résonant de mille mystères comme d’ailleurs les Ecritures. C’est surtout la physique contemporaine qui, avec les équations de la relativité, de la mécanique quantique, de l’entropie, de la théorie de Hawkins sur le rayonnement du trou noir, remplit les tables de la Loi naturelle écrite, selon la formule de Galilée, en langage mathématique.

Que d’étonnements et de passions ai-je ressenti en étudiant les livres savants, les réflexions philosophiques, la danse des particules, les systèmes de communication cellulaires... Je fus un doctorant curieux, enthousiaste, dévorant les publications, avide de synthèses et d’hypothèses, prêts à en découdre avec les théories...mais quelques part, je pressentais bien ce côté routinier et mécanique de la techno-science. En fait, la science et moi, c’est un long divorce, un éloignement intellectuel, une dérive des continents, eux dans leur paillasse, cherchant à produire des faits pour les publier, avancer dans leur carrière, obtenir des crédits en remplissant des tonnes de formulaires, et moi, esprit libre, indocile, en quête de sens, de conceptualisation, à la recherche du pourquoi, sachant très tôt que les représentations formelles des objets sont superficielles et qu’elles demandent une liberté spéculative pour accéder au pourquoi. Car je pressentais bien quelque mystère, quelque champ invisible à l’expérience, à demi-visible aux yeux de l’intellect, impliqué dans l’assemblage du vivant, son évolution, ainsi que l’émergence de la conscience. Sans parler des étrangetés du monde quantique et ses photons inséparables, franchissant le mur de la lumière sensible, désarmant de ce fait le grand Albert plus tout à fait sûr de son œuvre.

Les scientifiques ne s’intéressent pas à ces questions du pourquoi, notamment les biologistes. La science est devenue une affaire technique, une sorte de mécanique un peu plus complexe que celle de l’automobile ou de l’informatique. Les conférences scientifiques sont sans âme, un peu à l’image d’un exposé présentant le fonctionnement d’une usine chimique ou d’une automobile. Je ne dis pas que ces activités sont inutiles, c’est même le contraire. Je dis simplement que la science, lorsqu’elle est présentée avec son côté mystérieux, ses interrogations théoriques, ses enjeux métaphysiques, peut devenir passionnante à enseigner, à discuter mais malheureusement, les scientifiques semblent bien avoir verrouillé les excursions philosophiques, en adhérant, volontairement ou non, à un pacte de l’ignorance. Ils sont dans la position d’enquêteurs qui, trouvant une machine sur une planète, se demandant comment elle fonctionne sans se poser la question de son origine, de qui l’a construite.

Cette conférence sur l’exobiologie m’a ramené 20 ans en arrière, au souvenir de mes années scientifiques où, je dois le dire, je me suis terriblement ennuyé. Doublement, parce que les recherches qu’on avait imposé avec mon consentement n’avaient aucun sens à mes yeux, juste de la production de résultats, des confirmations de choses déjà découvertes ailleurs ; et aussi par agacement, ennuyé d’avoir à sacrifier ma capacité réflexive et pensante à un travail de paillasse à portée de technicien. A ceux qui sont doctorants et qui s’ennuient dans la science, je leur dis qu’ils sont peut-être sur le chemin, qu’ils peuvent devenir réellement savants s’ils ont une passion pour l’aventure scientifique, ses détours, ses hypothèses. Bien évidemment, le système ne va pas les considérer sous un angle bienveillant, leur préférant les laborieux, ceux qui ne s’ennuient pas, en redemandent, prêt à passer leur vie à la paillasse, y sacrifier leurs loisirs et les dimanches (logique, les dimanches, les gens s’ennuient, pas moi !) Et dire que ce sont ceux-là que le système recrute, des gens qui pour la plupart n’ont aucun esprit scientifique !

Eloge de l’ennui

En fin de compte, je serais enclin à penser comme Nietzsche dans son Ecce homo et remercier le destin de m’avoir placé sur le chemin de l’ennui afin que je puisse m’en délivrer, en pèlerin du dessein, cherchant la voie, la mienne, les voies, peu importe. Placé n’est pas le mot, disons rencontrer le chemin de l’ennui dans une institution, étant entendu que je disposais déjà des essences conjuratrices et que j’ai rencontré la voie de l’ennui pour mettre à l’épreuve la force de s’en dégager et de briser, non sans douleur, cette douce condition de l’homme inséré dans un système, touchant un juste salaire pour un travail accompli, certes, mais parfois aussi comme le prix de sa résignation face à la pression de ce système qui l’aliène de ses capacités éthiques et inventives. Dans ses essais hérétiques, Patocka explique que la coercition religieuse a, en Occident, permis de contenir les tendances à l’orgiasme en proposant une existence réglée. Sans doute cette même contrainte religieuse a contenu les mauvais penchants de l’homme, notamment l’ennui, mais à notre époque, seul nous-mêmes sommes les maîtres de la conjuration de l’ennui et autres tourments (Dieu nous accompagne ?) Le chemin s’avère un moyen de rédemption. L’esprit grandit, comme synthèse transcendantale de l’expérience et du temps. L’âme s’ouvre, et de cette ouvrance et ces souffrances naissent de délicieux instants... de ravissement liés au sentiment de libération.

A chacun son exutoire, sa conjuration de l’ennui, son chemin. La science est devenue ennuyeuse, comme toute pratique technique. Seuls, les artistes, les artisans, les existants, les passionnés ne sont pas voués à l’ennui. La science offre à ses dévoués le salaire de l’ennui, les honneurs de la carrière, les voyages dans les congrès. La science, une activité professionnelle comme les autres. Un mythe maintenant déconstruit. Un dessein à reconstruire.

Le monde capitaliste sait conjurer l’ennui, du moins le colmater en proposant des exutoires sous formes d’addictions diverses, médias, produits de loisirs, divertissements. Le grand saut de civilisation se fera quand une masse critique de gens auront compris la condition de l’ennui, la futilité des programmes existentiels implantés dès le plus jeune âge, le sens de la voie, les chemins vers une improbable liberté qui une fois conquise, pousse encore plus sur le chemin.

La Révolution sera spirituelle ou ne sera pas !

L’international ennui ne sera que le genre humain défiguré par le capital !


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