La sécurité sociale ou le panoptique (de Bentham)

par Michel J. Cuny
jeudi 26 novembre 2015

Une chose est sûre : les travailleurs salariés ont eu effectivement à faire leurs preuves, puisque Pierre Laroque n’hésite pas à écrire en 1948 :

« Dans la conception française, la Sécurité sociale doit non seulement donner aux travailleurs un sentiment de sécurité, mais aussi leur faire prendre conscience que cette sécurité est leur propre fait, qu’ils en ont le mérite et la responsabilité.  »

En tout cas, leur souveraineté sur la Sécurité sociale sera pleine et entière. C’est juré, semble dire Pierre Laroque  :
« Nous voulons que demain les travailleurs considèrent que les institutions de Sécurité sociale sont des institutions à eux, gérées par eux et où ils sont chez eux.  »

De toute façon, il faut que, dès le début, ils se mettent bien dans la tête que la comptabilité en régime de solidarité n’est pas une petite affaire, et que, par ailleurs, et c’est fort compréhensible puisqu’ils sont dans l’éprouvette, cette solidarité s’arrête à la frontière de leur petit royaume. L’extérieur ne pourra en aucun cas venir à leur aide. Toutes les issues, toutes les ouvertures ont été soigneusement colmatées. Leur budget général est réglé comme du papier à musique. C’est l’expérimentateur en chef, Pierre Laroque, qui le leur dit en 1948 :
« Il convient de souligner que ces différentes contributions couvrent la totalité des dépenses de l’organisation de Sécurité sociale, y compris la participation des caisses à l’effort d’action sanitaire et sociale. L’État n’apporte aucun concours financier à l’organisation de la Sécurité sociale. Bien plus, les fonctionnaires qu’il charge de diriger et de contrôler l’ensemble de l’organisation, les dépenses mêmes du ministère du Travail intéressant la Sécurité sociale, se trouvent financés sur le produit des cotisations.  »

En dehors de la mise en œuvre, en dimension réelle, de la solidarité, l’expérience comporte un autre volet, comme on pourrait le développer en présence d’une portée de chats ou de chiens, ou d’esclaves peut-être. C’est toujours Pierre Laroque qui tient le porte-voix de monsieur Loyal en 1948 dans le grand cirque de la solidarité :
« Enfin, c’est également en raison de sa situation démographique propre que la France a fait porter un de ses principaux efforts vers l’organisation sanitaire, la prévention de la maladie et des accidents du travail [… afin] d’augmenter le nombre et le rendement des travailleurs adultes… compensant ainsi, pour une part, la charge de la population active.  »

À la sortie, si tout se passe bien, la solidarité doit avoir engendré de très nombreuses jeunes pousses en bon état physique et psychique, et disposées, pour leur part, à porter plus haut encore les bienfaits résultant de la bonne tenue de papa et maman au travail comme dans la vie de tous les jours…

Enfin, lorsque l’occasion du 25ème anniversaire de la Sécurité sociale (1971), se présente à lui, Pierre Laroque a la grande joie de pouvoir rassurer les derniers incrédules :
« L’on aurait pu toutefois se demander si le prélèvement opéré sur le revenu national pour financer la Sécurité sociale n’allait pas grever à l’excès l’économie des pays et en retarder le redressement et l’expansion. Bien qu’il soit difficile de dire ce qui se serait produit si ce prélèvement n’avait pas été effectué, l’on ne peut que constater que l’économie française s’est reconstituée et développée à un rythme exceptionnellement rapide au cours de cette période. L’on peut même penser que, bien loin de gêner cette évolution, le régime de la Sécurité sociale l’a sans doute favorisée, en opérant une redistribution de revenus favorable à la consommation des éléments les plus modestes de la population et en créant chez les travailleurs un climat favorable à l’apport qui leur était demandé.  »

Mais, dès les années soixante, il avait déjà pu s’enchanter d’un autre phénomène particulièrement enthousiasmant, et qu’il avait pu observer grâce au panoptique :
« Le plan de Sécurité sociale est dominé par le souci de prélever des excédents de pouvoir d’achat, en période de prospérité, pour restituer ces sommes en période de crise, en vue d’assumer une permanence suffisante de l’évolution économique, de maintenir le pouvoir d’achat de la population et, par-là, l’activité économique et les possibilités d’emploi. C’est donc à la fois un instrument d’une politique économique d’ensemble et un instrument de politique sociale.  »

(Extrait de Michel J. Cuny, Une santé aux mains du grand capital ? - L’alerte du Médiator, Éditions Paroles Vives 2011, pages 281-282)


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