La situation de l’extrême droite en France en 2009

par Florentin Gastard
mercredi 25 novembre 2009

Dans la suite de notre série consacrée aux grandes forces politiques françaises, il est nécessaire de nous arrêter, le temps d’un article, sur l’état de l’extrême droite française, ensemble composite de groupuscules, de mouvements et de partis, pour la plupart invisibles dans le paysage médiatique, considérés par la plupart des Français comme un repoussoir, et particulièrement depuis le demi-succès de 2002 et la présence au second tour de l’élection présidentielle du patriarche Jean-Marie Le Pen, qui réunit alors autour de son nom 17.79 % des suffrages.

Si nous nous attachons dans cette série à faire voir aux Français que les résumés médiatiques et journalistiques ne peuvent en aucun cas constituer une explication suffisante de la situation politique actuelle en France, il n’est pas de notre ressort d’influencer l’opinion en lui présentant un tableau volontairement positif ou négatif de certains partis. Contrairement à ce que l’on me reproche continuellement, je ne tends qu’à la vérité, avec toutes les compétences dont je dispose et dont manquent indéniablement les Français, à l’heure où la culture se résume bien souvent à de vulgaires stéréotypes qui valent, hélas, comme de grandes certitudes.
 
 
Le cas Dieudonné
 
Tout d’abord, afin que la sombre personnalité du comédien Dieudonné ne nous hante plus longtemps, il convient de commencer ce tableau par son ignoble combat. Chacun se rappelle,en effet, que l’acteur, qui avait déjà fait quelques incursions dans le monde politique avant cette année, s’est présenté aux dernières élections européennes (juin 2009) à la tête d’une liste "anti-sioniste", accompagné de pseudo-intellectuels tels que Alain Soral, de musulmans extrémistes ou encore d’un prétendu rabbin opposé à l’existence de l’Etat d’Israël. Si les médias et le pouvoir ont poussé des cris (et ils avaient bien raison, d’autant plus que Dieudonné avait déjà déclaré qu’il ne voyait aucune différence entre un "sioniste" et un "juif"...) contre ce qui s’apparentait à une résurgence d’antisémitisme en France, cela n’a servi qu’à faire de la publicité à cette mouvance détestable, jusqu’à ce qu’elle atteigne dans un sondage du site Agoravox 17% des intentions de vote. Dieudonné, héritier d’une certaine gauche qui n’a jamais caché son antisémitisme, et qui va de Jaurès à Laval en passant par Marcel Déat, se différencie pourtant de ses éventuelles sources d’inspiration en ce que son message "anti-sioniste" constitue son seul et unique argument. Sur ses conceptions sociales, économiques ou culturelles, nous n’aurons guère eu d’éclaircissements. C’est que l’extrême droite dont il se réclame touche aux limites de l’apolitisme ; celle-ci ne se bat pas pour des valeurs, en vertu de convictions, mais contre un système honni, sans qu’elle n’ait rien à proposer pour le changer. En cela, elle se rapproche du mouvement anarchiste de mai 68 ; de fait, elle est pleinement héritière de la médiocratisation issue de la modernité : un sentiment de rejet est au fondement de son existence, et assure dans le même temps son inauthenticité fondamentale en tant que force politique structurante de la société. Elle est, et cela est incontestable, le degré zéro de la politique.
 
Internet, terreau de l’extrême droite
 
L’essor de l’extrême droite, et sa représentation au second tour de l’élection présidentielle de 2002, n’aurait pas été possible sans l’arme fatale qu’a constitué pour celle-ci la "révolution" internet. En effet, ce sont des centaines de blogs nauséabonds qui pullulent aujourd’hui sur la toile, qui fustigent les étrangers, et qu’on autorise sans mal, puisque sur internet, tout est autorisé. Ces voix anonymes, incultes pour la plupart, insultantes et à la violence sans nom, semblent provenir d’individus fortement désocialisés, qui ont un véritable mal de vivre et qui l’expriment, sans crainte des poursuites judiciaires et du regard de l’autre. A l’époque de la montée du chômage, en effet, il n’est pas rare que des hommes et des femmes désoeuvrés, honnêtes jusque-là, plongent dans l’enfer de la vitupération raciste et antisémite. Ceux-ci se rêvent alors les porteurs d’une France nouvelle, épurée, délivrée du barbare, des prétendues influences américaine et musulmane. Affrontés aux difficultés de la vie moderne et citadine, souvent à l’origine d’un sentiment de perte des repères, ils veulent retrouver, comme le fasciste Pierre Drieu La Rochelle dans les années 30, "le souffle de la vie forte".
 
Se perdre dans l’unité unanime et anti-intellectuelle d’un groupe est pour eux la seule expérience qui vaille le coup d’être vécue. Toute cette France éprouvée, qui ne fait plus confiance aux individus parce que les individus qui la composent ne se font plus confiance eux-mêmes est celle d’une modernité où le rapport à soi n’est plus celui de la responsabilité (XVIIIème siècle) mais celui du rejet et de la honte, comme l’a très bien montré Marcel Gauchet dans son Essai de psychologie contemporaine. De là, il ne faut pas s’étonner que ces militants, jeunes et exaltés, se retrouvent dans les stades de football où ils peuvent crier leur haine en toute liberté : la chaleur du groupe leur permet d’oublier qu’ils ont une âme et qu’ils ont atteint l’âge de la responsabilité.
 
Le Front National à l’heure des choix
 
Le Front National, qui est à ce jour le parti d’extrême droite le plus visible, a encore de l’avenir devant lui, si l’on croit sa popularité grandissante après les affaires Polanski et Mitterrand. Toutefois, la réduction de ses idées politiques au seul rejet de l’immigration, à cause du comportement irrationnel et haineux de ses militants (qui ne semblent pas s’intéresser beaucoup aux conceptions frontistes de l’économie et du social...) et à cause du schématisme médiatique, avide de scoops et de petites phrases tapageuses ; ce rétrecissement conceptuel laisse augurer d’un renouvellement de la stratégie du Front National avec l’avènement de Marine Le Pen.
 Jusqu’à présent, Jean-Marie Le Pen était le parangon de la France rurale, traditionaliste, catholique. Nostalgique de Vichy et de la grandeur de la France (deux idéaux terriblement contradictoires...), le grand tribun, en tant que maurrassien, se targuait d’être antisémite en vertu d’une stratégie électorale, et non par conviction (comme le suggère Olivier Wieviorka dans La République recommencée : "Jusqu’à Jean-Marie Le Pen, l’extrême droite paie au prix fort ses compromissions avec le nazisme...", Editions du Seuil, page 264). Etayons ces propos, en jetant un coup d’oeil sur l’ouvrage de l’historien Maurice Agulhon :
 
"Le Front National, dernier avatar, ou regroupement, d’une série obscure et complexe de groupes d’extrémistes de droite, c’était d’abord la petite frange d’irréductibles partisans français de l’autoritarisme politique absolu, du fascisme, et du vichysme", La République II, Hachette, page 415).
 
 Tantôt populiste, dans la continuation du poujadisme, tantôt élitiste et représentant de la France cultivée à l’heure d’une certaine décadence, il a cependant toujours montré son opposition au parlementarisme. Marine Le Pen, sa fille, qui va lui succéder à la tête du FN d’ici quelques mois, n’est pas moins antiparlementaire par principe, tout en participant au jeu électoral par raison. Elle est malgré tout fort différente de son père en ce qu’elle ne met pas en avant les traditions françaises et la catholicisme, ni les campagnes. Son avènement correspond donc à un changement de cap de l’extrême droite française : ce n’est pas Pétain qu’elle ressuscite, mais Brasillach. Sa particularité est qu’elle s’est imprégnée des discours électoraux racistes et populistes de Jean-Marie Le Pen pour en faire des convictions propres ; son charisme la rend attrayante pour une frange de l’opinion qui n’a encore jamais voté pour le FN, la filiation avec son père rassure les purs frontistes. Elle est d’autant plus dangereuse que son discours s’est radicalisé et en partie dépolitisé. Nicolas Sarkozy en a pris conscience, en insistant ces derniers jours sur l’identité nationale. Cela ne suffira sans doute pas à empêcher un score élevé de l’extrême droite aux élections régionales de mars prochain.
 
Pour plus d’informations :
florentingastard.blogspot.com/
 

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