La société du spectacle au service des sans-abri

par Alain Lafon
mardi 9 janvier 2007

La société du spectacle joue sans les instrumentaliser en faveur des plus démunis !

La société du spectacle, vous savez celle qui organise dans les médias des « temps de cerveau disponible » pour les annonceurs, n’est sans doute ni de gauche, ni de droite. La preuve : à défaut de pouvoir l’instrumentaliser pour alimenter le suspense dans le grand reality show politique de mai 2007, elle a facilité la reconnaissance par les politiques du mouvement des Enfants de Don Quichotte en faveur du logement des personnes sans abri !

Nous assistons aujourd’hui en "direct live" à un épisode inédit - et sans doute imprévu - du grand reality show politique organisé par les médias depuis de nombreux mois, avec en finale sensationnelle le 6 mai 2007 deux candidats survitaminés déjà prédésignés.

Peu importe sans doute pour les organisateurs (quoique...) quel sera le vainqueur de la lutte pour le pouvoir. Le spectacle est garanti, le suspense soigneusement entretenu à coups de sondages du deuxième tour qui n’ont, peut-on remarquer en passant, statistiquement aucune valeur, si on écoute les sondeurs eux-mêmes ! L’audience sera au rendez-vous.

En attendant, ce qui entretient le suspense : chacun des deux finalistes présumés s’active sur tous les fronts. Après une charte écologiquement responsable et politiquement très correcte, le retentissement populaire et médiatique du campement du canal Saint-Martin ne leur a pas échappé, même s’il les a peut-être pris à contrepied.

En effet, ni Madame "Je suis à l’écoute des Français", ni Monsieur "Je le connais bien, je l’ai déjà rencontré" n’ont, semble-t-il, anticipé la pérennité de ce mouvement de ras-le-bol, relayé par des acteurs du terrain motivés et compétents en matière de communication...

A défaut de pouvoir apparaître au 20 heures nimbés de toute la légitimité procurée par le soutien de leurs militants et des sondages de rêve, ils ont dû se contenter de déclarations réitérées sur leur volonté de mettre fin au scandale des sans-abri et, plus généralement du "mal logement". C’est un engagement délicat à prendre pour un candidat : j’appellerai modestement leur attention sur le fait que le candidat qui avait annoncé en 2002 vouloir mettre fin au phénomène n’a pas été présent au deuxième tour. Vous me répondrez peut-être qu’ils sont deux...

Pour faire bonne mesure, et ne pas laisser le privilège de la générosité à l’adversaire, ils sont bien évidemment décidés à continuer d’occuper le devant de la scène, même quand elle ne leur est pas accessible, sauf à aller partager une nuit, et sans caméra, sur le campement du canal Saint-Martin.

C’est ce qui nous a permis d’assister à une version moins hard du sac de riz de Mogadiscio. Vous vous en souvenez, sans doute, c’est l’époque - 1993 et l’opération "restore hope" où nous avions connu les épaules d’un serviteur du peuple (étymologie du mot ministre) people qui aidaient un sac de riz à débarquer devant les caméras de CNN pour nourrir des Somaliens affamés.

Cet événement et la famine qui sévissait dans une Somalie en guerre avaient permis au magazine Time, en plein siège de Sarajevo, de publier un dessin humoristique montrant un Somalien assis sur une pierre dans Mogadiscio en ruines répondant : "C’est quoi, une boulangerie ?" à son collègue qui lui lisait : "A Sarajevo, un obus tombe devant une boulangerie : quinze morts" . La guerre et son cortège de malheurs n’ont hélas depuis cette période pas cessé en Somalie. Le show médiatique n’avait pas eu d’effet notable sur une instabilité locale endémique.

Nous avons en effet récemment découvert un bobo médiatique, avocat spécialiste de la défense des victimes de génocides, chargé d’évaluer la situation des sans-abri parisiens. Une chance pour cette personne, le sujet est malheureusement fort bien documenté, après près de trente années de crises permanentes, ce qui devrait faciliter l’exécution de sa mission. Pourvu qu’il n’ait pas à dénoncer dans ses conclusions un homme politique promis, selon certains, aux plus hautes responsabilités, également connu comme avocat associé dans un cabinet spécialisé dans l’expropriation immobilière...

Hélas pour ces essais méritoires, ils n’arrivent, semble-t-il, pas à enrayer la mobilisation en faveur d’un logement décent pour tous, qui se manifeste tous les jours un peu plus. Les médias, pour une fois, rapportent plutôt fidèlement le cours d’une histoire en marche qui a débuté le jour anniversaire du Soleil d’Austerlitz, et le lendemain d’un non-événement de la vie politico-politique franco-française. Sic transit gloria mundi !


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