La stratégie française contre AQMI est-elle la bonne ?

par Bernard Dugué
lundi 10 janvier 2011

La France vient de perdre deux de ses ressortissants suite à une prise d’otages ayant mal tourné. Les activistes d’AQMI sont nommément désignés mais une autre hypothèse est évoquée, celle du banditisme local qui bien évidemment, agit de concert avec les réseaux terroristes, à l’instar de quelques mouvances nationalistes qui en Corse, fricotent avec les mafias locales. Allons en Afghanistan que l’on trouvera les mêmes combinaisons entre activistes politiques opposés à la présence de l’Otan et chefs mafieux offrant leurs services moyennant quelques rétributions financières. Rien ne bien nouveau. Les appétits pour l’argent et pour le « combat terroriste » fonctionnent de concert, surtout dans les zones étendues où l’Etat manque de présence, ce qui est le cas des montagnes en Afghanistan et bien évidemment de cet immense territoire couvrant le nord de l’Afrique où sévissent les activistes et autres bandits que la France a décidé de traquer en déclarant officiellement la guerre au terrorisme. Si on devait déterminer un événement significatif, ce serait sans aucun doute la mort pas vraiment élucidée de l’otage Michel Germaneau, annoncée en juillet 2010, alors qu’un raid militaire franco-mauritanien s’était employé à mener une action visant à le libérer, action qui comme on le sait échoua. A cette époque, quelques doutes furent émis sur la nécessité d’intervenir alors qu’aucune certitude n’était établie sur la présence de Germaneau dans le campement investi par ce raid qui au bout du compte, élimina quelques présumés terroristes. C’est à dessein que j’emploie le mot présumé car en pareille occasion, les informations d’où qu’elles viennent sont d’une part lacunaires et d’autre part pèchent par manque de fiabilité. Il est en effet bien connu que cette « prétendue guerre » se joue non seulement sur le terrain mais aussi dans le champ médiatique avec des communiqués et de notre côté, un pouvoir en place qui tente de légitimer sa stratégie aux yeux de l’opinion publique.

La mort de ces deux Français est un échec flagrant sur le terrain mais pour l’instant, c’est un succès au niveau du consensus national affiché par les formations politiques mais également par tous les éditocrates qui de concert, appuient les décisions prises depuis l’Elysée, sans fausse note, avec détermination, confirmant aux oreilles de l’opinion publique que le président Sarkozy a fait le bon choix en poursuivant sa « guerre » contre ces groupuscules terroristes et en le faisant savoir, réitérant ses positions déjà explicitées après l’opération visant à libérer Germaneau. Excepté l’Huma, aucune voix ne met en doute la stratégie française au Sahel après la mort des deux otages. L’opinion est donc certaine que la France agit dans le bon sens. Pourtant, au vu des expériences américaines, en Irak et surtout en Afghanistan, tout laisse penser que la guerre menée contre le terrorisme ne peut qu’échouer, lorsqu’elle est menée à l’extérieur. Ce qui ne dispense pas, loin s’en faut, de surveiller le territoire national pour prévenir les attentats. Les éditocrates se réjouissent du consensus politique, certains pensant même que les opérations d’enlèvement et de racket servent à préparer des attentats en France. Ce qui traduit un simplisme étonnant compte tenu des données connues sur le financement du terrorisme. Ben Laden n’a pas eu besoin de pratiquer le banditisme pour se financer, l’argent étant viré depuis quelque obscur compte en banque détenu par des financiers saoudiens.

Le consensus politique et médiatique affiché au nom de la morale et du bon sens ressemble étrangement à celui pratiqué aux Etats-Unis après le 11 septembre et avant l’intervention de 2003 en Irak. Pourtant, le cours des événements et le recul critique devrait imposer une réflexion, voire même un débat sur la stratégie de la France au Sahel. Sans se faire l’avocat du diable, il est aisé de pointer un effet pervers des plus classiques. La présence française et les opérations ne peuvent que renforcer le ressentiment des populations locales et par voie de conséquence, le recrutement des activistes. Il faut être naïf pour croire qu’on éradique une mouvance aussi diffuse, étendue et déterminée, comme on élimine un mélanome potentiel en opérant un grain de beauté suspect sur la peau. L’impératif démocratique impose donc que l’on débatte du bien fondé de la stratégie française, y compris et surtout au Parlement mais pour l’instant, c’est une seule voix qu’on entend. Car un autre son de cloche serait tout de suite discrédité sans autre forme de procès critique, les empêcheurs de penser en rond étant traités comme il se doit en pareille occasion de munichois, sans aucun recul historique ni réflexion sur la situation.

N’ayant pas l’intention de passer pour un munichois ni un complice de l’ennemi, je ne fais qu’interroger la situation en posant la question, la stratégie française au Sahel est-elle la bonne, ou du moins, celle qui se présente comme la moins mauvaise à l’exclusion de toutes les autres, pour paraphraser une fameuse formule de Churchill sur la démocratie ? Je n’ai aucune certitude sur la réponse mais une chose est certaine, c’est que la question est pertinente, légitime, et mérite un débat au nom du respect du citoyen à qui on doit la clarté. Peut-être, sur la Trois ou sur la Cinq, auront-nous l’occasion d’entendre quelques dissonances et de comprendre avec un autre angle ce qui se trame dans cette affaire qui a commencé il y a six mois. Sans doute aussi est-il est rassurant de croire que la France nous protège contre ces mouvances islamiques. Et puis si ça se trouve, la stratégie est la bonne alors pourquoi semer le trouble ?


Lire l'article complet, et les commentaires