La Syrie, notre héritage oriental - Volet N° 2

par Nicole Cheverney
jeudi 1er mars 2018

Damas – (Dimachq).

Ancienne capitale des Omeyaddes, Damas est bâtie au pied du Djabal Quasyun. C'est une oasis de verdure que favorise la traversée de la rivière Barada. A l'origine baptisée Dimasqua par les Sumériens, cette cité très riche a toujours excité la convoitise de ses voisins. Elle fut conquise et reconquise, mais est toujours restée un pôle culturel actif et important, que ce soit avant ou après la conquête ottomane. Au XIXe siècle, le Sultan égyptien Méhémet Ali (1832-1840) en accentua le lustre d'antan.

En 1920, L'Emir Fayçal en fait sa capitale à la fin de la première guerre mondiale. Il a des ambitions pour une « Grande Syrie » à laquelle s'opposent les Français et leur puissante mandature sur la Syrie. Le roi Fayçal redonne également à Damas un rôle de premier ordre, commercial, grâce à la construction de nombreuses routes et voies de circulation, ainsi qu'un réseau de voies ferrées qui relieront Damas à Beyrouth et Bagdad. Parmi les édifices publics les plus remarquables de la présence ottomane, citons la mosquée des Omeyyades ainsi que de nombreux temples datant de l'Antiquité.

Damas pendant l'antiquité : l'influence babylonienne.

Elle est considérée comme la « plus vieille ville des villes » du Moyen-Orient. Les rois de Damas ont dominé le pays, une douzaine de petites nations environnantes, du temps où les Assyriens cherchaient à asservir la Syrie et ses habitants. Les Damasquiens ont toujours été des commerçants avisés notamment avec les caravaniers à travers toute la Syrie. L'artisanat très développé a donné de très belles réalisations, poteries gracieuses de terre cuite, mais également un grand savoir-faire de la sculpture d'ivoire et de bois précieux. Ils pratiquaient aussi l'art de l'incrustation sur bois ou cuir, appelé damasquinerie, technique qui se diffusera dans tout le monde arabe, jusqu'en Espagne du temps des Albencerages, et jusqu'en Amérique du Sud, par les Espagnols. L'on trouvait également d'habiles polisseurs de pierres précieuses et de nombreux tisserands de soie et cardeurs de laine et de cotons aux couleurs très vives. L'art du tapis y était très développé et il l'est resté. Damas, du point de vue des mœurs et des manières, se voulait l'arbitre des élégances dans tout l'Orient, hérité de Sumer, de Babylone, de Grèce et de Rome.

La prostitution dans la Syrie antique :

De Babylone, Damas avait également hérité du point de vue des mœurs, la pratique de la prostitution « religieuse ». Les prostituées étaient protégées car considérées comme sacrées.

Pourquoi ? Dans tout l'Orient et notamment l'Asie mineure, la fertilité du sol a toujours préoccupé la population, car une bonne partie de ces contrées est soumise à la sécheresse. La superstition aidant, la Grande Déesse-mère était symbolisée à travers le personnage de la prostituée « sacrée ». On se souvient des temples d'Elam en Perse, des temples assyriens qui associaient la prostituée à des déesses où les rapports sexuels avec leurs amants étaient le signe d'envoi de toutes les « puissances de la reproduction » et les énergies telluriques pour que triomphent la vie, la nature féconde et généreuse.

Aussi les offrandes se faisaient à Astarté, pour la croissance des plantes, des animaux et des hommes. Le pic de ces offrandes symboliques, avaient lieu pendant les périodes d'équinoxe de printemps, pendant les fêtes de « l'Astarté syrienne », l'équivalent de la déesse« Cybèle », en Phrygie.

Cette fête se déroulait dans une ambiance mystique, mais proche de la transe où au milieu des musiques, clarines, tambours, danses, femmes et hommes poussaient des cris mêlés de chants pour accompagner ces rites païens. Ces fêtes attiraient une foule très nombreuse qui participait allègrement à l'ambiance générale. Les Grands-Prêtres, à la fin, ouvraient ce qui était sensé être le tombeau d'Adonis, amant d'Astarté et annonçaient à la foule, au cours d'une cérémonie qui durait souvent plusieurs jours, proche de la démence collective, qu' Adonis, le Seigneur, s'était « levé d'entre les morts ». Puis les grands-prêtres enduisaient les lèvres des participants d'un onguent en leur promettant qu'ils sortiraient aussi de leur tombeau, après leur mort.

En Syrie, le paganisme comptait une multitude de dieux. Mais les grands-prêtres syriens croyaient en l'existence d'une divinité supérieure qui dominait toutes les autres divinités secondaires. Ce dieu principal avait pour nom : El ou Ilu. Mais les Syriens, héritiers des babyloniens préféraient à ce dieu Ilul, le fameux dieu Baal, dieu du Soleil, tout comme Astarté était déesse de la Lune.

Le culte de Baal.

Il était très répandu. Baal était volontiers assimilé au Zeus des Grecs et affirmait une tendance plus monothéiste. C'était une divinité babylonienne au culte prisé lorsque Alexandre le Grand avait envahi la Syrie. De nombreux temples étaient érigés en son honneur. A Palmyre, par exemple, existe un monument de dimension considérable dont l'enceinte rectangulaire faisait 200 mètres de côté avec un portique à double colonnade et des sculptures très raffinées.

Les Syriens pratiquaient son culte avec ferveur. L'on prétend que tous ceux qui vénéraient Baal offraient en sacrifice leurs enfants. Exagérée ou pas, cette légende tenace raconte que les parents parmi les cris des enfants brûlés vifs en sacrifice, dansaient pendant ce temps-là, et que les cris de leur progéniture étaient étouffés par la musique entêtante qui couvrait tout le reste, pendant que les prêtres eunuques sous l'effet de la transe et des danses effrénées, se « lacéraient la chair » avec des lames tranchantes. Les spectateurs gagnés par la transe générale arrachaient leurs vêtements et se tranchaient le sexe qu'ils brandissaient en offrande aux déesses et au dieu du Soleil noir.

Parmi les grands adorateurs du culte de Baal, un Empereur romain, Héliogabale, ou Elagabale. Né en 203 à Emèse en Syrie – occupée par les Romains – et descendant d'une famille de patriciens, les Bassianides, beau comme Adonis, le jeune futur empereur de Rome est très jeune consacré au Dieu Elagabal, et prend le titre de grand-prêtre du Soleil. Il s'adonne à ce culte avec un profond mysticisme.

L'écrivain Antonin Artaud, dans son essai magistral, paru en 1934, « Héliogabale ou l'anarchiste couronné », nous livre un tableau saisissant des adeptes du culte de Baal et un portrait d'une « violence belle et régénératrice  »1 d'Héliogabale, jeune homme débauché, cruel et fou qui mourra assassiné.

Extraits : «  à prendre la Syrie d'aujourd'hui, avec ses montagnes, sa mer, son fleuve, ses villes et ses cris, il semble que quelque chose d'essentiel y manque ; mais comme le pus grouillant et plein de vie manque à l'abcès qu'on a vidé. Quelque chose d'affreux, de plein, de dur, et si l'on veut d'abominable, a quitté d'un coup, brutalement, comme une poche d'air se vide, comme le « Fiat » tonnant de Dieu volatilise ses tourbillons, comme une spirale de vapeurs se dissipe dans les rayons du soleil traître, a quitté l'air du ciel et les murailles cariées des villes, quelque chose qu'on ne reverra plus... la religion d'Elagabalus exalte la dangereuse action du membre sombre, de l'organe de reproduction. Entre le cri du Galle qui se châtre et court dans la ville en brandissant son sexe... et l'aboi de l'oracle qui brame sur le bord des viviers sacrés, naît une harmonie envoûtante et grave, à base de mysticité. Non pas un accord de sons, mais un accord pétrifiant de choses et qui montre qu'en Syrie, un peu avant l'apparition d'Héliogabale, et jusqu'à quelques siècles après lui, jusqu'à la crucifixion sur le fronton du temple de Palmyre, de Valérien, l'Empereur romain, au cadavre badigeonné de rouge, le culte noir ne redoutant pas de montrer ses charmes au soleil mâle, d'en faire le complice de sa triste efficacité. Qu'est-ce à dire et en quoi consiste finalement cette religion du Soleil à Emèse, pour la diffusion de laquelle Héliogabale, après tout, a donné sa vie... Si dans la religion du Christ, le ciel est un Mythe, dans la religion d'Elagabalus à Emèse, le ciel est une réalité, mais une réalité en action comme l'autre et qui réagit sur l'autre dangereusement. Tous ces rites font confluer le ciel, le ciel ou ce qui s'en détache, sur la pierre rituelle, homme ou femme, sous le couteau du sacrificateur ».

Petit à petit, les offrandes à Baal se firent beaucoup moins cruelles. Les grands-prêtres se contentant d'accepter en espèces sonnantes et trébuchantes, des offrandes souvent généreuses. Une autre pratique consistait à offrir le prépuce du nouveau-né par les parents. Il était impératif pour les populations d'alors, très craintives et superstitieuses que les dieux fussent apaisés. Ces coutumes d'inspiration babylonienne se pratiquaient dans tout le Moyen-Orient.

Palmyre. Attardons-nous sur cette cité antique, appelée aussi la « ville des tombeaux » et à 230 kms de Damas. L'on voit son nom mentionné sous le nom sémite de « Tadmor » dès le 3eme millénaire avant J-C.

Isolée en plein désert, elle est décrite par les Romains, comme « soustraite au reste du monde ». Voici ce qu'en dit Pline l'Ancien : « Palmyre, ville célèbre par sa situation, par la richesse de son sol et ses eaux agréables, a son territoire entouré par une vaste ceinture de sables ; séparée, pour ainsi dire, du reste de la terre par la nature, elle jouit de l'indépendance entre deux empires très puissants, les Romains et les Parthes, attirant, en cas de discorde, la première pensée des uns et desautres. Elle est éloignée de Séleucie des Parthes, dite sur le Tigre, de 337.000 pas*, de la côte Syrienne la plus voisine, de 203 000, et de Damas de 176 000 »... »Au dessous des déserts de Palmyre est la Stélendène, et les villes déjà nommées de Hiérapolis, de Beroea, et de Chalcis. Au delà de Palmyre, Emèse empiète aussi quelque peu sur ces déserts, ainsi qu'Elatium, moitié plus près de Pétra que Damas.

Isolée, Palmyre ? Rien de plus trompeur. Pendant des millénaires, elle sera une oasis prospère, et petit à petit un nœud commercial pour toutes les marchandises qui transitent pas la Perse, l'Arabie, jusqu'en Inde et en Chine. Après la chute des Achéménides et le « démembrement » de l'Empire d'Alexandre le Grand, elle devient au 1er siècle, tributaire de l'Empire romain. Les Romains en feront une citadelle contre la menace des Parthes. Ils recrutent des soldats sélectionnés parmi les méharistes pour leur connaissance du désert, et forment d'excellents archers. L'Empereur Hadrien fait de Palmyre une « ville libre » et elle devient colonie romaine, elle peut conserver son Sénat et son panthéon des dieux : le dieu solaire Yarbihol et le dieu lunaire : Aglibol.

(*) Pas ou double pas : unité de mesure romaine équivalent à 0,741 m pour le pas, 1,482 m pour le double pas.

Palmyre est un site, « un des plus beaux qu’on puisse imaginer, planté dans une immensité immobile. Quand on en approche, on aperçoit tout d’abord les tombeaux-tours, formant un orgueilleux et funèbre boulevard, et un château arabe se profilant sur le sommet d’un haut rocher en une romantique vision à la Gustave Doré. Pénétrant dans la cité, on est enveloppé de majesté : colonnades, édifices grandioses, et l’énorme temple consacré à Bêl [Baal] et autres dieux palmyréniens.
La ville antique est morte toute entière. Telles ces bêtes rongées au long des pistes du désert, elle s’est dépouillée au cours des siècles de ce qui était accessoire et périssable, conservant seulement ce qu’il y avait de grand et de monumental en elle, livrant à la dorure du soleil des ruines démesurées. Il ne manque pas même à ce site pour l’humaniser, un grand fantôme : celui de la reine Zénobie, qui fut fastueuse et guerrière et connut un tragique destin ».

Sources : antique.mrugala.net/Rome/Zenobie/Rome%20et%20Zenobie.htm

Au IIIe siècle – seconde moitié – Palmyre s'affranchit de la tutelle romaine, au sein de l'Empire romain déclinant. Elle est gouvernée par le roi Odeinat.

La reine Zénobie.

Epouse d'Odeinat, les historiens diront d'elle qu'elle était « plutôt Minerve que Vénus ».

« Zénobie était-elle arabe ou d’origine égyptienne ? Elle se vantait de descendre des Ptolémée et se faisait appeler la « Nouvelle Cléopâtre  ». Tous s'accordent pour la décrire d'une grande beauté, comme l'historien Trevellius Pollion :« Elle était la plus noble de l’Orient, et la plus belle… Elle avait le teint brun, les yeux noirs et pleins de feu, la physionomie merveilleusement enjouée, et toute sa personne était pleine de grâce, au-delà de ce qu’on peut s’imaginer, Sa Voix était claire et mâle  ».

Ils la disent téméraire, excellente cavalière, et pouvait parcourir des mille à pied en compagnie de ses troupes. Elle était capable de boire avec ses généraux, mais modérément dit-on.
« Elle se servait de vases d’or ornés de pierres précieuses dont Cléopâtre avait fait usage. Son faste était royal… Elle paraissait en public, à la manière des empereurs romains, casque en tête, revêtue d’un manteau de pourpre aux franges ornées de perles, qui lui laissait les bras nus… ». On a pu dire qu’elle était, en vérité plutôt Minerve que Vénus. Trebellius Pollion ne le cache pas d’ailleurs pas :
« Elle était généreuse, dit-il, mais sans profusion, et ménagère de ses trésors, plus qu’on ne l’attendrait d’une femme ».

Ses mœurs étaient sévères : « Elle était si chaste que, dans le mariage, elle n’avait d’autre vue que la procréation, ne se donnant à nouveau à son époux que lorsqu’elle était assurée de n’être pas encore enceinte… Sa maison était composée d’eunuques d’un certain âge et de quelques très rares jeunes filles »...Ses fortes vertus, son tempérament guerrier, son goût de l’apparat n’excluaient pas une passion constante de la culture.. Outre sa langue, elle possédait parfaitement l’égyptien, le grecque et le latin aussi, bien qu’elle ne voulût pas le parler.
Elle était férue d’histoire, notamment de celle d’Alexandrie et de l’Orient, dont elle fit un résumé. Elle s’entourait d’hommes éclairés, particulièrement le philosophe Longin, son maître en philosophie, qui avait enseigné à Athènes.
Voilà que Rome se débat dans les plus grande difficultés, contenant difficilement la pression des barbares aux frontières, luttant contre les troubles internes. Zénobie en profite : elle rompt définitivement ses attaches avec l’Empire et accroît sa puissance. Maîtresse d’un petit territoire au cœur du désert syrien, elle se taille maintenant un véritable empire s’étendant de la Méditerranée au Tigre, de l’Asie mineure à l’Égypte.
Prodigieuse ascension ! Mais aussi folle audace de s’être ainsi attaquée à Rome et d’avoir spéculé sur son écroulement !
Elle règne sur cet immense territoire qui s'étend de la Méditerranée au Tigre et de l'Asie Mineure à l'Egypte ».

 

Sources in internet :  : http://antique.mrugala.net/Rome/Zenobie/Rome%20et%20Zenobie.htm

 

L'Empereur Aurélien entreprend contre elle, une grande campagne militaire qui se solde par sa capture en 272 et c'est chargée de chaînes d'or qu'il exhibera la prisonnière, pour souligner son triomphe. A Palmyre subsiste tout un ensemble de ruines datant de l'Antiquité témoignant de la richesse de cette cité où l'axe principal était jalonné de 1500 colonnes de quoi exacerber notre imagination pour se représenter la beauté et la majesté de ces perspectives de pierre en enfilade.

Les Palmyréniens font aussi construire des tombeaux très élevés (les hypogées) garnis le plus souvent de bustes funéraires où les défunts sont représentés dans leur plus beaux vêtements – la plupart de ces bustes ont été éparpillés aux quatre coins du monde dans les musées. Sur la plupart de ces monuments nous retrouvons l'écriture qu'utilisaient les habitants de Palmyre, issue de l'Araméen. Les services culturels syriens se sont toujours employés à préserver et mettre à jour ce patrimoine de l'humanité exceptionnel.

NB : Je reparlerai de Palmyre, dans un prochain volet consacré à la Syrie actuelle et au martyrologe de l'ancien directeur des Antiquités de Palmyre, Khaled al-Assaad, sauvagement décapité à l'âge de 82 ans, par les monstres de Daesh, une barbarie qui n'a rien à envier aux cruautés commises par les Assyriens et les Turco-mongoles, durant l' occupation de la Syria Prima.

Sources bibliographiques : Histoire de la Civilisation de Will Durant, Encyclopédies Quillet, Universalis, Alpha.

À suivre...

1J.M.G. le Clézio.


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