La tentation de Munich face à l’Islamisme
par Paul Villach
mardi 21 décembre 2010
Invité, le 18 décembre 2010, dans leur émission hebdomadaire sur France Culture, « La rumeur du monde », par Jean-Marie Colombani et Jean-Claude Casanova, à l’occasion des vingt ans de sa revue La règle du jeu, Bernard-Henri Lévy a livré sa stratégie face à l’Islamisme, vivement approuvée par ses hôtes à quelques nuances près (2). Or, à bien y réfléchir, on découvre une analyse qui, reposant sur des amalgames et même des contradictions, ne peut inspirer qu’une conduite d’échec si par malheur elle était retenue en Europe. Elle révèle en tout cas l’incompréhensible confusion intellectuelle où sombrent des intellectuels face à l’Islamisme.
La thèse de M. Lévy approuvée par M. Casanova
À la différence d’Huntington, professeur de sciences politiques à Harvard, qui a mis en garde dans un essai contre un retour des conflits de civilisations, après un temps de guerres entre nations et idéologies, les trois compères réunis ont soutenu que la guerre n’était pas entre l’Islam et l’Occident, mais au sein même de l’Islam entre radicaux et modérés.
Il s’agirait donc à nouveau d’un conflit idéologique comparable aux deux précédents conflits contre le Nazisme et le Communisme, regardés comme de simples occupants de l’Allemagne et de la Russie qu’il fallait ne pas confondre avec les deux pays concernés. « Je dirais que c’est une attitude permanente, a renchéri M. Casanova sur M. Lévy. Par exemple quand on analyse le Nazisme, le Nazisme c’est en partie l’occupation de l’Allemagne par les Nazis. Quand on analyse le Communisme, c’est en partie l’occupation de la Russie par le parti Bolchevique. Dans l’opposition au Communisme, ou au Nazisme, il fallait différencier l’opposition aux Allemands et l’opposition au régime, à la doctrine, au totalitarisme. Ou de même dans l’opposition au Communisme. »
La stratégie préconisée par B.H. Lévy consiste donc à opérer une distinction entre les radicaux islamiques qualifiés de « néo-nazis » qu’il faut combattre, et les modérés islamiques qui doivent être soutenus. Est-ce aussi simple ? Cette analyse, en fait, s’accommode d’amalgames et de contradictions surprenants de la part d’intellectuels.
1- Deux amalgames
On relève d’abord deux amalgames, soit des assimilations abusives. Le pire est que M. Casanova en est conscient : « Je suggère, conseille-t-il à M. Lévy, d’éviter les comparaisons, les analogies avec le fascisme ou le Nazisme, parce qu’il y a un problème spécifique. » Qui ne le voit, en effet, comme le nez au milieu de la figure ?
1- L’amalgame de l’Islamisme, du Nazisme et du Communisme
Même si Nazisme et Communisme ont présenté des traits de nature religieuse dans leur fonctionnement, comme la soumission aveugle de masses à une autorité suprême incarnée dans la personne d’un dieu vivant, le führer ici, le petit père des peuples là, avec un catéchisme et ses dogmes, ses tribunaux d’inquisition pour hérétiques/dissidents condamnés à la mort immédiate ou lente en camps de concentration, pour autant leurs livres de référence, « Mein Kampf » ici, là les œuvres de Marx, de Lénine et de Staline, ne jouissaient pas de l’autorité absolue que confère une tradition transmise depuis plus d’un millénaire comme l’est celle du Coran. Une religion ainsi inculquée, à la différence des idéologies récentes, a le temps de modeler en profondeur, de génération en génération, des manières de penser et de se conduire qui rendent réfractaires à toutes celles qui leur sont étrangères et surtout opposées, comme l’égalité entre les hommes et les femmes.
2- L’amalgame entre religion et parti politique
Un second amalgame consiste à implicitement calquer l’analyse des pratiques d’une religion sur celles d’une doctrine politique. Ainsi, en France, les Républicains se sont-ils divisés après 1870 entre Radicaux et Opportunistes, selon la volonté des uns d’appliquer intégralement leur programme tout de suite, de manière « radicale », et celle des autres préférant l’appliquer graduellement en composant avec les réalités du moment par voie de compromis avec les monarchistes d’alors. Or, la traditionnelle opposition entre les membres d’une même religion intégristes et modérés, n’est pas du même ordre, tant la soumission au livre sacré est vécue comme un devoir impératif qui ne souffre pas de compromis, si inconstant qu’on soit quotidiennement dans son respect.
* Une religion à vocation totalitaire et hégémonique
L’Islam se présente à la fois comme une doctrine politico-religieuse totalitaire régissant la vie entière du fidèle, privée et publique. Le concept de laïcité lui est non seulement étranger, mais proprement impensable car sacrilège. Religion à prétention hégémonique planétaire, l’Islam ne souffre aucune concurrence dénoncée comme infidèle et donc vouée à disparaître. Le Coran en ce sens est un livre de combat, violent si nécessaire, qui tranche avec l’Évangile chrétien prêchant au contraire l’amour et la paix. Or, on a vu combien de violences ont été perpétrées dans l’Histoire au nom du livre chrétien pacifique. Quelles mœurs pacifiques peut-on attendre de prosélytes radicaux ou modérés qui se réclament du livre guerrier d’une religion à vocation hégémonique ?
* L’ascendant des radicaux sur les modérés par temps de crise
Les circonstances décident ensuite du rapport de forces entre radicaux et modérés. Par temps de pause entre deux affrontements extérieurs, les modérés peuvent apparaître comme fréquentables et même amicaux. Par temps de crise, l’Histoire montre que ce sont les plus radicaux qui prennent l’ascendant sur l’ensemble, quitte à éliminer les modérés si, dans une « union sacrée » face à l’ennemi, ils n’adoptent pas le réflexe de la forteresse assiégée. La guerre d’Algérie l’a illustré : en 1956, Albert Camus et quelques autres libéraux ont tenté de proposer à Alger une trève qui épargne les civils : ni le FLN ni le gouvernement français n’en ont voulu ; les attentats et la répression ont repris de plus belle. La guerre est binaire.
2- Trois contradictions
Ces amalgames, d’autre part, ouvrent sur des contradictions aussi étonnantes chez des intellectuels.
- L’une est que nos trois compères qui ne paraissent pourtant pas ignorer les données rappelées ci-dessus, connaissent « la difficulté » de leur stratégie. Ils savent que cette politique de soutien ouverte aux « musulmans modérés » peut avoir des conséquences négatives : ceux-ci seront facilement stigmatisés par les radicaux aux yeux du reste de la population et présentés comme les agents d’une manipulation de l’ennemi : « Il est évident, reconnaît M. Casanova, que pour une partie des musulmans, ce sera interprété comme une manipulation à l’égard des plus purs d’entre eux. Les radicaux musulmans traiteront comme des colonisés ceux des musulmans qui seront occidentalisés. » Quel avantage espérer donc retirer d’alliés aussi exposés et vulnérabilisés ? N’est-ce pas s’enfoncer dans une impasse ? Une laïcité intransigeante n'est-elle pas le meilleur soutien à apporter à des musulmans modérés face aux radicaux ?
- Une seconde contradiction est formulée par M. Lévy lui-même. Que répond-il à cette impasse où mène cette politique de « scissionnisme » qu’il préconise et qui « (fait) passer le tranchant du discernement », comme il dit, à l’intérieur du bloc de l’Islam supposé homogène entre radicaux et modérés ? Il fuit le problème. Il se réfugie derrière une fière mais vaine rodomontade à la Cyrano de Bergerac, prêtée à ses amis musulmans modérés : « Peut-être, s’écrie-t-il, que ça embête les radicaux musulmans et qu’ils vont dire que c’est une manipulation de l’Occident, mais on les emmerde ! C’est comme ça ! » Quel sérieux accorder à cette esquive ? Croit-il pouvoir avoir raison de l’Islamisme par des rodomontades ?
- On relève enfin une troisième contradiction. M. Lévy refuse, d’un côté, d’admettre qu’une guerre existe entre l’Islamisme et l’Occident selon la thèse d’Huntington pour n’y voir qu’une guerre entre radicaux et modérés au sein de l’Islam, et, de l’autre, il prophétise la mort de l’Occident si la distinction entre radicaux et modérés n’est pas opérée. Celle-ci, s’écrie-t-il, est « indispensable sinon nous sommes morts. Les musulmans modérés et les occidentaux musulmans et non musulmans. Si on n’opère pas cette distinction et si on n’élargit pas la brèche… » Or, si le danger est à ce point mortel, n’est-ce pas qu’il y a bel et bien guerre ouverte non pas seulement entre modérés et radicaux islamiques mais entre l’Islamisme et l’Occident ?
Dès lors que vaut cette stratégie avec ses deux amalgames et ses trois contradictions ? On est d’autant plus surpris de voir M. Casanova la soutenir qu’il s’est ouvertement prononcé contre l’interdiction du voile intégral en France dans un numéro de la même émission (1) ! Était-ce la meilleure manière de soutenir les musulmans modérés que de laisser les radicaux narguer impunément la laïcité en France ? Cette échange est du moins révélateur de la confusion intellectuelle où ont sombré des intellectuels dont les connaissances historiques ne leur sont d’aucun secours pour éclairer l’avenir. Un enseignement constant de l’Histoire, pourtant, n’est-il pas qu’on ne gagne rien à composer avec une puissance à vocation hégémonique, sauf à lui permettre de se renforcer et d’avancer au fur et à mesure qu’on recule. La laïcité doit donc être défendue avec la dernière intransigeance. A-t-on oublié Chamberlain et Daladier accueillis à leur retour de Munich, le 30 septembre 1938, par une foule en liesse soulagée de voir la guerre s'éloigner, l’un, à Londres, brandissant, ravi, les accords de paix, l’autre, à Paris, murmurant entre ses dents : « Ah, les cons ! S’ils savaient ! » Moins d’un an plus tard, ils l’ont su : la seconde guerre mondiale était déclarée. Paul Villach
(1) Paul Villach, « Le débat sur « l’identité nationale » fait déjà tomber les masques à défaut des voiles pour le moment », AgoraVox, 15 décembre 2009.
(2) Extraits de l’émission de Jean-Marie Colombani et Jean-Claude Casanova « La Rumeur du Monde », diffusée sur France Culture, le 18.12.2010 : « Les vingt ans de « La règle du jeu », revue de Bernard-Henri Lévy »
« B.-H. Lévy.- Un des grands combats de la revue : (…) la question de l’Islam. Il y a une idée simple, ça a l’air tout con mais quand on a commencé à la formuler, elle n’était pas si simple que ça, mais qui surtout, je crois, est une idée juste et qui est l’idée qui nous permettra de desserrer l’étau des thèses Huntintoniennes que vous connaissez un petit peu sur « Le clash des civilisations », qui est l’idée selon laquelle – C’est ça que dit La règle du jeu, que martèle La règle du jeu depuis 20 ans – il y a une guerre des civilisations : elle est à l’intérieur de l’Islam, entre l’Islam fanatique et l’Islam démocratique, entre l’Islam des hérétiers des Talibans et l’Islam des héritiers du commandant Massoud (…) (Dans un numéro spécial, il y a une quinzaine d’année, intitulé « L’Islam des Lumières ») On essayait de retrouver le film de la généalogie plus ou moins occulté (…) de l’Islam démocratique, des droits de l’homme et des lumières.
La seule bataille qui vaille, c’est à l’intérieur de l’Islam, défendre les démocrates contre les totalitaires. C’était l’époque des grands massacres en Algérie que j’avais couverts pour le journal Le Monde grâce à Jean-Marie Colombani qui m’y avait envoyé. C’était dix ans après la révolution iranienne, etc. etc. (…)
Jean-Claude Casanova.- Sur l’Islam, je suis complètement d’accord avec vous. Mais je dirais que c’est une attitude permanente. Par exemple quand on analyse le Nazisme, le Nazisme c’est en partie l’occupation de l’Allemagne par les Nazis. Quand on analyse le Communisme, c’est en partie l’occupation de la Russie par le parti Bolchevique. Dans l’opposition au Communisme, ou au Nazisme, il fallait différencier l’opposition aux Allemands et l’opposition aux régime, à la doctrine au totalitarisme. Ou de même dans l’opposition au Communisme. Ce que vous dites sur l’Islam me convainc tout à fait. C’est tout simplement le discernement. Il est bien évident, il n’y a pas de guerre entre le monde musulman et le monde non-musulman chrétien ou asiatique. Il n’y a pas de guerre , mais, y a…
B-H. L. .- Oui, mais par exemple la thèse, puisqu’on parlait de l’essai de Fukuyama ; il y a eu aussi l’essai de Huntington, moi je ne l’aurais pas publié. La règle du jeu, c’est pour ça que, mais c’est, voilà, …
J.-C. C. – Nous (la revue « Commentaire ») avons publié l’essai d’Huntington avec d’assez vivres critiques…
B.-H. L. .- Je sais, vous avez ouvert le débat…
J.-C. C. .- Huntington était un grand professeur de sciences politiques à Harvard, une personnalité non négligeable, et si vous regardez son livre, la seule partie de son livre où il y a une forme de véracité, c’est dans l’analyse du rapport avec l’Islam sur une ligne très proche de ce que vous venez de dire ; c’es-à-dire le risque de contamination, ce qui voulait tout simplement dire, si vous voulez, c’est que il y a un problème historique de la confrontation de l’Islam avec le monde occidental qui crée depuis cinq siècles en Islam une divergence entre le radicalisme et l’occidentalisation, si vous voulez, ce n’est pas…
B.-H. L. .- Il y avait quand même à l’origine, au cœur de la thèse de Huntington dans ce texte dont je me souviens très bien - je suis un lecteur de Commentaire (…) - il y avait au cœur de sa thèse l’idée que les civilisations - d’origine spenglerienne d’ailleurs - sont des blocs, relativement homogènes et qu’ils peuvent s’opposer comme tels. Nous notre pari à La règle du jeu - on a très tôt pris position contre ces thèses Huntingtoniennes, c’est que justement ces civilisations ne sont pas des blocs, que si ça ressemble à des blocs, ils ne seront jamais homogènes et qu’il est très important d’être scissioniste, c’est-à-dire de les – c’est une thèse défendue par nos amis de la revue Ligne de risques – le scisionnisme est capital, faire passer le tranchant du discernement, comme vous dites, de la critique au sens étymologique, mais également de la séparation franche à l’intérieur des blocs supposés homogènes des civilisations sur l’hypothèse desquelles reposait la de Samuel Huntington.
J.-C. C. . C’est juste, mais il y a eu autrefois dans l’Histoire des guerres de civilisation . Ce que voulait tout simplement dire Huntington, c’est qu’il y a eu des guerres de nations jusqu’à la guerre de 14/18, il y a eu ensuite des guerres opposant des idéologies, la guerre avec le Nazisme, puis la guerre froide avec l’Union Soviétique. Il voyait dans la perspective de l’avenir une opposition qui serait plutôt des blocs de civilisations. (…) Mais sur le problème spécifique de l’Islam, il n’y a pas de très grande divergences entre …
B.H. L. .- Mais si, Jean-Claude Casanova, il y a une divergence majeur, parce que lorsqu’on dit ce que vous venez de dire, et lorsqu’on dit ce que nous disons à La règle du jeu, il y a quand même une différence capitale : pour nous justement ce qui se passe aujourd’hui autour de l’Islam, c’est de même nature que ce qui se passait avec le Nazisme et le Communisme, c’est de nouveau, comme vous le disiez, une guerre idéologique, c’est-à-dire que l’élément religieux pour moi et pour nous, c’est un des points qui fait consensus à l’intérieur de notre comité, c’est que l’élément religieux à l’intérieur de l’Islam est finalement secondaire. Pour le dire d’un mot, moi, personnellement, français, intellectuel et Juif, j’ai pas de problème, et je crois que je n’aurais jamais de problème avec un musulman très pieux. Il y aura un débat, un dialogue, comme disait Maurice Blanchot dans une lettre qu’il m’avait adressée à propos de l’affaire Rushdie, on mettrait la Bible et le Coran sur la table, on discuterait.
En revanche, avec des gens qui sont les héritiers des Nazis, ce que je crois être le cas des Islamistes radicaux, pour moi le vrai problème des Islamistes radicaux aujourd’hui, c’est que ce sont des néo-Nazis au sens propre du terme. Les Frères musulmans, par exemple, c’est évident, c’est un mouvement nazi arabe, créé dans le fil de la révolution nazie des années 30 et qui ne s’est jamais dénazifié. Une des thèses que nous défendons dans cette revue, c’est que le monde arabe en particulier, et le monde arabo-musulman en général est la seule partie du monde où le travail de dénazification et de défascisation n’a pas eu lieu. En Europe, ça a été douloureux, terrible, ça a été un travail du deuil, etc., il a fallu « Le chagrin et la pitié » en France, il a fallu tout ça, « L’idéologie française ». En Allemagne, ça a été encore plus terrible. Il y a un endroit où l’on a fait comme si ça n’avait pas existé, comme si on avait été occupé par une force étrangère et qu’on avait pas participé, c’est le monde arabo-musulman. Nous ce qu’on fait avec nos petits moyens, avec la petite revue minuscule qu’est La règle du jeu c’est d’exhorter nos amis démocrates algériens, au moment des crimes de masse en Algérie, iraniens, etc. à poser cette question-là, c’est-à-dire à engager cinquante ans après le travail de deuil, de mémoire et de critique sur leur propre part prise à l’aventure fasciste. Tout le problème est là. Donc ce n’est pas un problème religieux, c’est un problème politique de part en part et pour moi de même nature au fond, de ce fait que les deux tragédies que vous avez évoquées.
J.-C. C. .- Je suis bien d’accord sur l’analyse politique, mais vous voyez bien quel est le danger. D’abord je suggère d’éviter les comparaisons, les analogies avec le fascisme ou le Nazisme, parce qu’il y a un problème spécifique. Si vous voulez, ce qui fait la difficulté du problème et le danger de l’analyse, sommairement, est que : pourquoi le radicalisme musulman est-il dangereux ? Parce que il crée le terrorisme, une tension au Moyen-Orient et rend difficile la solution du problème palestinien. Il crée la volonté nucléaire et les dangers que ça représente de l’Iran, etc. et des tentations tyranniques, des oppressions, etc. Tous ces dangers, nous les voyons très clairement. Mais le danger principal, c’est la relation qui peut s’établir entre le radicalisme musulman et l’ensemble politique des pays islamisés. Un des lieux du monde – vous l’avez vous même signalé dans un de vos livres extrêmement intéressant sur le Pakistan – un des lieux les plus dangereux du monde est le Pakistan. Il est bien évident que le Pakistan, c’est la création de la scission des musulmans à l’intérieur de l’Inde, la constitution d’un État des purs, une radicalisation extrêmement dangereuse liée à un problème territorial avec l’Inde, etc. C’est la relation, disons entre l’ensemble du monde musulman, hétérogène d’ailleurs par les peuples qui le composent, et ce radicalisme qui crée un très grand problème. Le danger, c’est cette relation, et il y a un danger intellectuel dans lequel tombent beaucoup de gens, c’est que pour condamner le radicalisme musulman, ils condamnent l’ensemble de l’Islam, position dont vous vous éloignez tout à fait, à juste titre, c’est tout à fait légitime de distinguer l’Islam pacifique etc.
B.-H. L. .- C’est plus que légitime, c’est indispensable…
J.-C. C. .- C’est même indispensable politiquement…
B.-H. L. .- Indispensable sinon nous sommes morts. Les musulmans modérés et les occidentaux musulmans et non musulmans. Si on n’opère pas cette distinction et si on n’élargit pas la brèche…
J.-C. C. .- C’est difficile à faire politiquement parce que il est évident que pour une partie des musulmans, ce sera interprété comme une manipulation à l’égard des plus purs d’entre eux. Les radicaux musulmans traiteront comme des colonisés ceux des musulmans qui seront occidentalisés, etc. C’est extrêmement difficile...
B.-H. L. .- C’est extrêmement difficile à faire, mais c’est la position d’un certain nombre de membres du comité éditorial de La règle du jeu, d’Abdelawab Meddeb qui fait partie de notre comité, de l’écrivain cinéaste franco-afghan Atiq Rahimi, très important dans notre dispositif. C’était la position d’un grand écrivain algérien disparu, qui était dans le comité fondateur de la revue, Rachid Mimouni. Leur position à tous, à Méddeb, à Mimouni c’est de dire : peut-être que ça embête les radicaux musulmans et qu’ils vont dire que c’est une manipulation de l’Occident, mais on les emmerde ! C’est comme ça !
Dans les années 90, l’urgence, c’était de porter secours, de donner encouragement, de montrer qu’elles n’étaient pas seules, aux femmes algériennes menacées de décapitation, d’éventration, et voilà, il fallait leur passer ce message. Aujourd’hui, le message, face à ce qui se passe en Iran, c’est de dire à toute cette jeunesse insurgée et à toutes ces femmes qui rêvent d’aller visage découvert en Iran : vous n’êtes pas les damnés du monde, vous n’êtes pas abandonnés à votre sort et dans ce lieu magnifique qu’est l’Iran qui devient une sorte de trou noir de la planète. C’est peut-être difficile, évidemment, que si on demande à Ahmadinejad ce qu’il pense de l’agitation autour de son pays en Occident, il va dire : mais tout ça , c’est de l’ingérence, les gens se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Mais moi je vois ce qui nous revient La règle du jeu, par exemple d’Iran ? Tous ces blogs iraniens que nous avons fédérés autour de « La règle du jeu.org », tous ces jeunes intellectuels qui nous lisent d’une manière ou d’une autre, ils pensent qu’il est heureux que des lieux comme cela existent. Par exemple l’année dernière, quand il y a eu les fameuses élections truquées, il y a 18 mois, qui ont fait qu’Ahmadinejad a réalisé une sorte de pustch mou et a gardé le pouvoir, dans les manifestations qui ont suivi et qui ont donné lieu à la mort de cette jeune femme, Neda, on a fait une chose à La règle du jeu, on a suivi en direct, on a rendu compte en direct pendant plusieurs jours, minutes par minute les manifestations, à partir d’informations qui nous arrivaient par téléphones portables, par twitters, par SMS. Ben, je crois que dans la tête de quelques jeunes ou moins jeunes iraniens, ils n’étaient pas nombreux, mais vous savez, comme disait la Bible, le reste d’Israël, eh bien, le reste de l’Iran, le reste de l’Allemagne nazie, le reste de la Russie bolchevisée, le reste, c’est à ce reste-là que l’on s’adresse. C’est des revues, des lieux minuscules, elles s’adressent parfois à cette part bénie des peuples qui résiste à l’oppression et qui, quand ils se sentent moins seuls sont incroyablement renforcés.
J.-C. C. .- Oui, mais la politique existe quand même par elle-même, c’est-à-dire qu’il faut prendre des décisions politiques. En 1947, la position des États Unis sur une partie de l’Europe, c’était : qu’est-ce qu’on fait vis-à-vis de l’Union Soviétique qui occupe la moitié de l’Europe, la totalité de l’Europe centrale ? Est-ce qu’on fait du refoulement par pression militaire ou est-ce qu’on fait du « containtment ». On a choisi le « containtment », c’est-à-dire de contenir, d’attendre que le régime – l’homme qui le mieux exprimé ça est un américain, Kénan - c’est-à-dire on contient l’Union Soviétique en attendant Thermidor et l’effondrement de son système économique. Vis-à-vis de l’Iran aujourd’hui, il se pose un problème politique tout à fait analogue. C’est-à-dire que l’Iran devient une puissante menaçante, elle se nucléarise, elle a système de missile qui peuvent aller de plus en plus loin, quelle politique doit avoir ? Qu’il faille dénoncer le radicalisme islamique, j’en conviens, mais il faut aussi réfléchir aux politiques possibles. Vis-à-vis de l’Iran, est-ce qu’il faut ue politique d’intervention militaire directe ou indirecte ou au contraire une politique de « containtment » de même nature, c’est-à-dire attendre que le régime iranien s’effondre.
Jean-Marie Colombani .- On a d’ailleurs vu que ce débat est très présent à travers les « révélations » disponibles de Wikileaks qui montrent que les Israéliens ne sont pas les seuls à vouloir frapper l’Iran mais que l’Arabie Saoudite, en gros tous les pays à dominante sunnite qui se sentent menacés par l’Iran chiite
J.-C. C. .- Et qui ont des minorités chiites sur leur territoire…
J.-M. C. ._ et l’impérialisme naissant de cet Iran-là pressent plutôt les Etats-Unis d’intervenir (…) »