La version de DSK : l’hypothèse d’une machination envisagée

par Paul Villach
mardi 20 septembre 2011

C’est chose faite. On l’attendait depuis quatre mois. DSK a pu enfin, sur TF1, dimanche 18 septembre, livrer sa version de l’incident survenu, le 14 mai 2011, à l’Hôtel Sofitel de New-York qui lui a valu emprisonnement, liberté surveillée et humiliation planétaire pour agression sexuelle supposée envers Mme Diallo, une femme de chambre de l’hôtel.

Il fallait s’y attendre, il ne pouvait le faire qu’avec une extrême prudence pour deux raisons : 1- une procédure civile a été engagée contre lui par la victime supposée et 2- une accusation de machination – piège ou complot – exige des preuves. Il a donc exploité au maximum les conclusions du rapport du procureur qui, le 23 août dernier, a levé toutes les charges contre lui : il s’en est servi comme d’un bouclier pour présenter sa version et se protéger contre toute riposte de l’adversaire. Nul ne peut, en effet, lui faire grief de proposer une version imaginaire : il reprend à son compte le constat du procureur lui-même qui a la force d’un argument d’autorité institutionnelle.

1- Une relation sexuelle consentie pour une tentative d’extorsion financière

1- Aucune agression mais une relation sexuelle mutuellement consentie

Il ne pouvait choisir meilleur rempart pour récuser toute accusation de violence : le rapport du procureur l’a lui-même abandonnée. DSK a réitéré sa thèse soutenue devant la justice américaine : il n’y a pas eu d’agression, mais une relation sexuelle mutuellement consentie. Le rapport du procureur après enquête n’a pu établir le contraire. L’examen médical allégué n’a pas paru convaincant (3) .

2- Une tentative d’extorsion financière

Comment alors expliquer la procédure engagée par Mme Diallo pour agression sexuelle, si elle a consenti à cette relation sexuelle rapide qu’on appelle en anglais « a quickie » ? DSK avance une hypothèse déjà entendue, l’extorsion financière, fondée sur deux présomptions :

- la procédure civile engagée qui vise à obtenir des dommages et intérêts, bien que la procédure pénale ait conclu qu’on ne pouvait pas savoir ce qui s’était passé dans la chambre 2806 de l’hôtel Sofitel, le 14 mai 2011,

- et la conversation téléphonique enregistrée à son insu que Mme Diallo a eue avec un ami emprisonné en Arizona, au cours de laquelle elle assurait que le type qu’elle accusait, était plein de fric et qu’elle savait ce qu’elle faisait. Contestée sous prétexte d’une traduction erronée de la langue guinéenne en anglais, cette conversation a, sur ordre du procureur, fait l’objet d’une seconde traduction qui a confirmé la première. Une relation de cause à effet peut être établie : l’argent serait donc selon DSK le mobile de cette affaire (4).

3- Une supposée victime non crédible

Enfin, l’abandon des poursuites a été dicté au procureur par la conviction que Mme Diallo mentait (5) : elle n’a cessé de varier dans sa présentation de l’agression supposée au point d’être qualifiée par le procureur lui-même d’ « untruthful », insincère, non crédible, dès le 30 juin 2011, dans une lettre à la défense annonçant dès lors un probable abandon des poursuites, qu’il a fallu tout de même attendre jusqu’au 23 août, tant le procureur a dû vouloir exploiter toutes les pistes possibles pour tenter de ne pas se déjuger et de maintenir l’accusation lancée, le 14 mai, avec fracas.

2- L’hypothèse d’une machination à explorer

Deuxième volet de sa version de l’incident, un possible complot - piège ou machination - ne peut être écartée selon DSK.

1- Une extrême prudence dans la formulation de l’hypothèse d’une machination

Mais il avance là aussi avec grande précaution (2) . Il se garde encore de porter la moindre accusation précise. Deux raisons peuvent expliquer cette extrême prudence :

- Il ne doit surtout pas s’exposer en réplique à une accusation de diffamation.

- Il peut, d’autre part, ne pas disposer encore de preuves ni même d’assez de présomptions sérieuses et concordantes qui établiraient la machination.

Il s’est contenté seulement d’user d’un euphémisme en parlant de « zones d’ombre  » qu’il entend bien éclaircir. Et une fois de plus, il avance derrière le bouclier de l’argument d’autorité qu’est le rapport du procureur : celui-ci soutient, par exemple, n’avoir jamais transmis à Mme Diallo des informations relatives aux allées et venues dans l’hôtel. Elles lui ont donc été données par la direction de l’hôtel qui, en revanche, a refusé toute collaboration à DSK. Pourquoi ? (6)

2- Un avertissement voilé par allusions à qui de droit ?

Une hypothèse vient pour finir à l’esprit : DSK ne procèderait-il pas aussi par allusions à l’adresse de personnes qu’on ignore, mais qui les comprendraient fort bien puisqu’elles seules disposeraient du contexte approprié que l’on n'a pas ? Ne leur lance-t-il pas déjà un avertissement ? Elles ne perdraient rien pour attendre, il disposerait d’ores et déjà d’informations qu’il se réserverait de délivrer au moment qu’il jugerait opportun.

L’hypothèse d’une machination, que l’on n’a pas écartée dès le début (1), est donc bien envisagée par DSK, même si c’est avec la plus grande prudence. La date de l’incident, ce 14 mai 2011, à la veille d’échéances capitales pour lui, intrigue. Sa conduite « inappropriée » envers les femmes, selon son mot, était apparemment connue depuis longtemps. Pourquoi le scandale a-t-il éclaté ce 14 mai et pas avant ? Les contraintes de sa stratégie oblige DSK à marcher sur des œufs, en présentant une version qui, pour ne pas donner prise à une contre-attaque de l’adversaire, se met à à l’abri du rapport du procureur que personne ne peut désormais contester : non seulement celui-ci soutient que l’agression n’a pu être prouvée et que Mme Diallo n’est pas crédible pour avoir changé de versions plusieurs fois, mais il conduit à déduire que la direction de l’hôtel Sofitel a collaboré avec elle et refusé de le faire avec DSK : cette "zone d’ombre" laisse planer, selon DSK, l’ombre d’une machination qu’il se promet d’éclaircir. Paul Villach

(1) Pierre-Yves Chereul, « L’affaire DSK : deux hypothèses pour une énigme  », Éditions Golias, juin 2011.

(2) Extrait de l’interview de DSK au cours du journal de 20h de TF1, dimanche 18 septembre 2011.

«  Claire Chazal .- Est-ce que vous avez pensé un moment à un piège ou à un complot ?

DSK .- Un piège c’est possible. Un complot ? Nous verrons. Voyez-vous, il y a des zones d’ombre. Je vous donne un exemple de zones d’ombre. À la page 12 de ce rapport le procureur dit que des informations ont été données à Kenneth Thompson, l’avocat de N Diallo, sur les circulations dans l’hôtel. Il dit : c’est pas nous, procureur, qui les avons données..

CC .- Ça veut dire que vous pensez qu’il y a eu des complicités notamment au Sofitel ?

DSK .- Quelqu’un a bien dû les donner. Parce que moi je les avais demandées, ces informations, et elles m’ont été refusées. Et donc je voudrais bien savoir pourquoi on a choisi d’aider celle qui m’accusait et de ne pas collaborer avec moi.

CC .- Ce soir, pour le moment, vous n’accusez pas ?

DSK .- Non. »

(3) Extraits du rapport du procureur demandant l’abandon des poursuites

« - Les preuves physiques, médicales ou autres qui sont disponibles dans cette affaire (...) ne prouvent cependant pas que ces contacts ont été imposés par la force ou étaient non-consentis, et elles ne corroborent pas certains aspects du récit, par la plaignante, des faits incriminés. (…) Les preuves physiques, scientifiques et d'autres natures, indiquent que l'accusé a engagé un acte sexuel précipité avec la plaignante, mais elles ne permettent pas de dire si l'acte a eu lieu sous contrainte et sans consentement. (…) Tous les éléments recueillis, qui auraient pu être pertinents pour statuer sur les questions de l'usage de la force et de l'absence de consentement, se sont révélés non concluants. »

« (…) Le seul constat physique que l'examinatrice a relevé est une « rougeur » qui a été observée lors de l'examen gynécologique. L'examinatrice n'a pas pu affirmer avec un degré raisonnable de certitude médicale que cette « rougeur » était une conséquence directe des faits incriminés, ni même que c'était une blessure ou un hématome. L'examinatrice a déclaré que cette rougeur pouvait être la conséquence des faits décrits par la plaignante, mais pouvait également être liée à une série d'autres causes. (…) Un deuxième expert médical (...) a abouti aux mêmes conclusions, à savoir que la coloration rouge était un élément non-spécifique, qui pouvait être attribué à de nombreuses causes autres qu'un traumatisme : friction, irritation, ou inflammation de la zone. Cet expert a confirmé qu'on ne pouvait exclure que la rougeur ait été causée par la façon dont la plaignante affirme avoir été saisie, mais c'est selon lui peu probable. (…) Par la voix de son avocat, la plaignante a alors assuré au procureur que sa blessure à l'épaule (choc type 2) résultait de sa rencontre avec le défendant. (...) [L'expert orthopédique mandaté par le procureur] a conclu qu'avec un degré de certitude médicale raisonnable, cette blessure, s'il s'agit bien d'une blessure, était plutôt causée par « un usage répété à la verticale de son avant-bras lors de gestes rotatifs et vifs », « comme ceux que peut effectuer un sportif lorsqu'il lance un poids en hauteur ». A la lumière de ces différents facteurs liés à la déclaration d'une blessure physique, et plus remarquablement suite aux conclusions de l'expert, la blessure à l'épaule ne vient pas corroborer l'accusation d'agression sexuelle. »

(4) Extraits du même rapport du procureur (suite)

« Cet appel (téléphonique) a été traduit et certifié conforme par deux traducteurs peul-anglais. Bien que divergents dans le mot-à-mot précis, les deux traductions sont sur le fond similaires sur la question de gagner de l'argent avec l'assistance d'un avocat spécialisé au civil. »

(5) Extraits du même rapport du procureur (suite)

« Au cours de chaque entretien avec des procureurs, alors qu'il lui était simplement demandé d'être sincère, elle ne l'a pas été, que cela soit sur des détails ou sur des faits importants, certains mensonges portant sur son passé et d'autres sur les circonstances même des faits incriminés. (…) Au cours de nombreux entretiens, la plaignante a donné des versions incompatibles avec ce qu'il s'est passé immédiatement après sa rencontre avec l'accusé, ce qui ne nous permet pas d'établir ce qui s'est réellement passé ni de se reposer sur l'honnêteté du témoignage de la plaignante à cet égard. (…) En résumé, la plaignante a donné des versions changeantes et contradictoires des événements concernant la supposée agression sexuelle, et par conséquent, nous ne pouvons pas être certains de ce qui s'est passé le 14 mai 2011, et nous sommes incapables de savoir quelle version la plaignante donnerait durant le procès.  »

« Parce que nous ne pouvons pas donner du crédit au témoignage de la plaignante au-delà d'un doute raisonnable, nous ne pouvons demander à un jury de faire de même. Les preuves restantes sont insuffisantes pour justifier les poursuites criminelles. Nous sommes par conséquent obligés, au regard de questions aussi bien légales qu'éthiques, de nous diriger vers le non-lieu. (…) Notre scepticisme vis-à-vis de la crédibilité de la plaignante nous rend incapables de savoir ce qui s'est véritablement passé dans la suite de l'accusé, le 14 mai 2011, et empêche donc de continuer les poursuites judiciaires  »

(6) Extraits du même rapport du procureur (suite)

« La plaignante ayant affirmé qu'elle était entrée dans la chambre 2820, le cabinet du procureur a obtenu l'enregistrement électronique des badges de cette chambre. Ces enregistrements, qui ont aussi été donnés à l'avocat de la plaignante par quelqu'un d'extérieur à ce bureau, indiquent que la plaignante est entrée dans la chambre 2820 à 12 h 26, et est aussi entrée dans la suite de l'accusé à la même minute (12 h 26).  »


Lire l'article complet, et les commentaires