La victoire de Nicolas Sarkozy est-elle inéluctable ?
par Broch
mercredi 25 avril 2007
Au lendemain du 22 avril, tout le monde est d’accord sur un point : Ségolène Royal ne peut l’emporter au second tour sans les voix d’une majorité de l’électorat de François Bayrou. Dans quelle proportion ? En faisant l’hypothèse, optimiste en faveur de Ségolène Royal, qu’elle récupère 90 % des voix des candidats de gauche et des Verts, 20 % du vote Le Pen et 10 % du vote De Villiers, il faudrait au grand minimum que les deux tiers de ceux qui ont voté François Bayrou au premier tour et qui s’exprimeront au second, votent en faveur de Ségolène Royal pour que la candidate puisse espérer faire jeu égal avec Nicolas Sarkozy.
L’électorat de François Bayrou est composite : une partie a souvent voté à gauche et a choisi Bayrou pensant que ce dernier constituait le meilleur rempart contre Nicolas Sarkozy ; une autre plutôt sociale-démocrate ne s’est pas retrouvée, à tort ou à raison, dans le choix de Ségolène Royal ; enfin sa base, électorat de droite modérée traditionnel, s’est élargie à droite à quelques effrayés du Sarkozysme ainsi qu’à des expérimentateurs du renouveau.venus de toutes parts.
Si, comme le laissent penser les déclarations de François Hollande, la stratégie de la candidate socialiste était d’une part de rassembler sur un “tout sauf Sarkozy” et d’autre part de se limiter à ouvrir les bras aux électeurs de François Bayrou en faisant quelques œillades au centre, il est à craindre que cela ne suffise pas.
En effet, on peut d’abord compter sur la plasticité de Nicolas Sarkozy et sa capacité à occuper le devant de la scène sur de nouveaux thèmes, pour que l’impact du “tout sauf Sarkozy” dans l’opinion soit atténué au second tour. Il devrait être capable semer le doute chez une partie d’un électorat qui ne lui est pas a priori très favorable et tenter de faire passer son extrême raidissement à droite lors du premier tour pour une caricature exagérée, voire comme un positionnement plus tactique que sincère. On peut aussi compter sur Nicolas Sarkozy pour piller le discours centriste et tenter de mettre en évidence ce qu’une partie de l’électorat Bayrou perçoit comme les limites des capacités politiques de madame Royal.
Par ailleurs François Bayrou a su fédérer autour de lui un électorat aux motivations diverses sur une volonté de se ressaisir du terrain politique et sur l’idée d’une recomposition. Il est vraisemblable qu’une partie non négligeable de cet électorat ne pourrait envisager un vote Royal autrement que comme un reniement, sauf à obtenir une contrepartie politique solide. Notons à cet effet que l’offre de débat proposée par Ségolène Royal à François Bayrou semble être davantage une tentative de mise en scène d’un rapprochement destinée à amadouer les électeurs que la volonté d’aboutir à un accord politique. On peut penser qu’elle s’inscrit en toute logique dans la stratégie de l’image développée jusqu’ici par la candidate.
Quelle latitude reste-t-il donc à Ségolène Royal ? Elle n’a vraisemblablement aucune intention de jouer la carte d’un DSK qui aspire, après une éventuelle défaite, à devenir l’homme fort d’un PS rénové et qui, au-delà des tensions personnelles, la priverait de toute façon de beaucoup trop d’oxygène. On notera au passage que son ambition a sans doute amené DSK à claquer un peu trop fort la porte sur les doigts de François Bayrou sur la dernière semaine de la campagne.
On arrive donc assez naturellement à cette conclusion : madame Royal a besoin des électeurs de François Bayrou bien au-delà du “tout sauf Sarkozy” et du vote perdu de la gauche ; madame Royal a en fait besoin de la “dynamique Bayrou”.
Le levier de l’électorat Bayrou dans sa globalité, c’est la recomposition politique. Il reste en fait à madame Royal une option osée mais fracassante. Une option qui non seulement l’émanciperait définitivement de la tutelle du Parti socialiste, mais lui permettrait de construire la stature politique dont elle a besoin : madame Royal doit mener elle-même cette recomposition directement avec François Bayrou, et ainsi lancer la rénovation de la gauche. Elle doit signer un accord avec le centre avant le second tour, un accord qui verrait des engagements en particulier en matière de dialogue social et de rigueur budgétaire, en matière institutionnelle et sur le plan européen. Un accord qui verrait un Premier ministre centriste et un engagement de désistement mutuel aux législatives. Sur la base réaliste de la politique que Ségolène Royal peut se permettre de mener une fois au pouvoir, cet accord est largement possible. Le PS se verrait contraint de suivre au risque d’apparaître comme faisant le jeu de Nicolas Sarkozy. Madame Royal ne perdrait sans doute que très peu de voix de gauche tant, de ce côté-là, le “tout Sauf Sarkozy” est fort. Elle aurait toute les chances d’emmener l’essentiel d’un vote Bayrou satisfait d’avoir pesé constructivement sur les choses, et la victoire ainsi obtenue ferait d’elle la figure incontournable de cette rénovation politique française tant attendue. Elle deviendrait une figure d’équilibre entre une gauche qui ne pourrait exister sans elle et un centre qui ne pourrait se passer d’elle sans se saborder. Le crédit des réformes entreprises et d’une paix sociale retrouvée lui serait acquis pour de longues années.
Sarkozy élu pour cinq ans, ce ne serait, certes, pour les ambitions personnelles de beaucoup au PS qu’un rendez-vous pris pour 2012, mais cela serait surtout l’assurance d’une régression sociale et d’un tournant ultralibéral qu’il ne sera plus possible d’inverser dans cinq ans. Espérons que Ségolène Royal se donnera les moyens d’une autre ambition que celle que le Parti socialiste semble vouloir lui imposer : se limiter à ne pas se faire voler la défaite.
Ne pas tout faire pour empêcher la victoire de Nicolas Sarkozy consisterait à envoyer aux électeurs le message que, finalement, Nicolas Sarkozy et son projet ne sont peut-être pas si dangereux, et laisser ainsi la porte grande ouverte à une victoire inéluctable.