LA VIE DE CHATEAU - Volet n° 1

par Nicole Cheverney
mercredi 27 janvier 2021

LA VIE DE CHATEAU – (1)

Qu’ils soient renommés ou moins connus du grand public, les châteaux, massifs ou élancés, élégants et raffinées, où l’harmonie le dispute à la fantaisie et l’imagination, incarnent la « grande et la petite Histoire de France ». A travers cette série d’articles, pérégrinons donc à travers le temps.

Je commencerai d’abord, avant de rentrer dans le vif du sujet, par rendre un vibrant hommage à tous les constructeurs, architectes, maîtres-compagnons, compagnons, ouvriers, etc. qui portèrent les métiers d’art à leur plus haut degré de perfection et participèrent à la richesse patrimoniale de la France. Ces monumentaux chefs-d’œuvre, des plus complexes aux plus simples, des plus hardis aux plus austères, ont donné à notre pays un visage particulier. On ne peut mettre le pied sur le sol français, sans s’enquérir immédiatement dans un souci de curiosité avide et de désir inconscient de luxe, de grandeur et de volupté visuelle, de quel château ou demeure, ou castel ou gentilhommière, l’on pourrait bien remplir ses yeux avant de repartir. Plus de 10 000 châteaux ! Le choix est prodigieux.

Nous avions, à ce titre, en France, toutes les matières premières à disposition pour mener à bien leur achèvement : la pierre, l’ardoise, la tuile romaine, la brique, le silex, le granit, le fer, le bronze, le bois rustique et rude, les essences les plus fines et les plus rares, l’ardoise, le calcaire. Quant au marbre, il fut importé d’Italie et d’Espagne, taillé, poli ; des cohortes de sculpteurs italiens ou espagnols, depuis le Moyen-Age traversaient les Alpes ou les Pyrénées pour joindre leur art inégalable à celui des compagnons du tour de France. De cette immersion dans le monde de la construction autochtone, ont jailli des tourbillons de savoir-faire hérité de la riche Antiquité gréco-romaine par des techniques précises que j’énumérerai plus avant.

Nous avons tout ! A commencer par l’art du vitrail, maîtrisé par les maîtres-verriers coloristes. Nombres de vitraux ornent nos églises avec l’art sacré, mais aussi les châteaux. Ils furent ces mosaïques de verre qui tranchaient avec la nudité de la pierre comme des éclats célestes, des bouts de ciel, ou de feu.

 L’art de la tapisserie que nous avons disputé aux Flamands passés maîtres dans le tissage de monumentales tentures qui servaient à masquer l’aride ordonnance de la pierre de taille dans les couvents, les abbayes, les châteaux. Les tisserands produisaient de monumentales tentures qui, petit détail amusant, tendues dans les longs couloirs interminables des châteaux, servaient parfois de pissotières occasionnelles, avant de pouvoir atteindre le pot d’aisance.

Car la vie de château aux temps jadis, n’offrait que peu de confort où l’hiver poussait ses rudes frimas à l’intérieur, des coursives aux chambres, en passant par les grandes pièces où se réunissaient les familles.

Pourquoi tant de châteaux dans notre pays ? Pourquoi ont-ils été construits ? Par qui ?

Ils furent les symboles de la réussite seigneuriale. Au Moyen-Age, le château représente le ventre, l’épicentre de la vie féodale, le pivot des « institutions vassaliques ». Il fait office à la fois de forteresse militaire et de logement civil. Il domine par ses positions géographiques – souvent en hauteur. Les temps sont troublés, les grands féodaux veulent marquer leur prédominance sociale et territoriale. Il est la marque fidèle de la puissance du seigneur : le suzerain. Or, petit à petit les pouvoirs des suzerains vont s’éroder, ils perdront de leur puissance et n’auront plus l’apanage « d’établir l’ordre sur la notion d’État », privilège hérité de l’Empire romain. En effet, le roi Philippe-Auguste (1180-1223) va sans cesse empiéter sur les grands domaines féodaux. La dynastie capétienne amorcera contre la grande féodalité, des luttes décisives. Philippe Auguste sera le premier à assurer l’idée d’unité territoriale et monarchique de France, il organisera le domaine royal par baillages, sénéchaussées et prévôts, réduisant du même coup, la prédominance des domaines des grands feudataires. Pour cela, il convoquait régulièrement l’assemblée des pairs et des grands officiers et fit instituer la quarantaine-le-roi. C’ est-à-dire la prescription de 40 jours entre la déclaration de guerre entre seigneurs et le début des hostilités.

Les grands suzerains se mettent à déléguer à leurs vassaux qui, à leur tour, prennent de la puissance. Jusqu’au XIe siècle, le vassal n’avait pas le droit de se faire construire un château, privilège du suzerain : « Le vassal dispose de l’usufruit des terres ».

A partir du XIe siècle, les vassaux accèdent au droit de succession héréditaire des fiefs. Ils prennent de la puissance et la mettent à profit pour imiter le suzerain, par les divers droits de ban, d’ hérédité et exercice de la justice, nouvellement acquis. Ces vassaux deviendront de redoutables adversaires et concurrents des rois que la politique énergique et sans scrupules de Philippe IV le Bel – 1285-1314 – réussit à assujettir. Il aura pourtant fort à faire avec deux vassaux redoutables : le duc de Guyenne et le duc de Flandre, ainsi que les Templiers). La politique des Capétiens a toujours été attachée à la centralisation de l’État, où le souverain l’emporte sur le suzerain et le propriétaire seigneurial, capitale Paris, tandis que dans les Provinces les prévôts, baillis et sénéchaux assurent les services publics et concentrent dans leurs mains les pouvoirs de justice, de finance et militaires.

Dans toutes les Provinces du royaume de France, les vassaux, pourvus de ces droits désormais héréditaires, de plus en plus indépendants et riches, se font construire des châteaux et payent de leurs deniers des compagnies de soldats mercenaires pour en assurer la défense. Puisque le droit héréditaire leur a été accordé, leur nom et la terre se transmettront de génération en génération. « Ce système sera le garant de la conservation du patrimoine pendant 10 siècles ». Ce, jusqu’à la Révolution.

Étymologie du mot château.

Il tire son origine du nom romain Castellum. Au départ, à vocation militaire et défensive, il est massif et les conditions d’accès, à dessein, escarpées, difficiles. Les constructeurs privilégient l’éperon rocheux, la butte, boudent la plaine trop accessible en cas d’invasion. Haut-perchés, ils bénéficient d’une vue imprenable sur tout le pays, en cas d’incursion ennemie et ils pensent en tirer le meilleur bénéfice du point de vue de la défense.

Le principe de construction.

Il est établi une bonne fois pour toutes pour tous les châteaux du Moyen-Age. La pièce maîtresse c’est le donjon où réside le seigneur, « symbole de sa puissance et la retraite ultime, en cas de danger ».

Les moyens de défense.

Par la conception dans la construction, par l’épaisseur des murailles, par la présence de fossés – les douves - il offre à son propriétaire un gage de sécurité.

Les armes.

D’abord rudimentaires, au fil du temps elles vont se perfectionner et à partir du XIIe siècle les moyens de défenses s’adapteront aux nouvelles armes.

Dès le retour des croisades, les chevaliers s’inspirent des villes fortifiées de l’Empire d’Orient comme celles de St-Jean d’Acre, Damas, etc. Des places fortes, qui, pour êtres prises demandaient des moyens militaires ou de ruser soit par les famines, les sièges, les infiltrations, etc.

Ils en ont aussi tiré la leçon que « cent hommes derrière de bons murs peuvent tenir tête à des milliers d’assaillants ».

C’est la raison pour laquelle, les premiers châteaux construits au Xe siècle sur des bases de bois et de palissades de rondins, les étages reliés entre eux par des escaliers de bois, disparaissent au profit exclusif de la pierre exploitée dans les nombreuses carrières et les productifs filons du royaume. Notons aussi l’occasion pour les seigneurs propriétaires de ces carrières, de s’enrichir encore plus.

Ce sera le règne de la pierre de taille montée sur d’énormes talus avec une « double enceinte de murailles crénelées, donjons et leurs bailles, tourelles et chemin de ronde... ».

Les batailles se feront « autour des châteaux », moins vulnérables que les forteresses du temps des mérovingiens, et, les judicieuses machines de l’Antiquité vont ré-apparaître, modernisées par de nouvelles techniques comme le trébuchet par exemple.

Trébuchets et mangonneaux.

Ces machine de jet, de la famille des catapultes, vont envoyer violemment sur les assaillants toutes sortes de projectiles comme des boulets de pierre, de fer, y compris des cadavres d’animaux domestiques, des gros bouchots de paille enflammée et pourquoi pas, des « plénipotentiaires vivants ».

Les mercenaires.

On les appelle les « sergents » - (Déformation du mot serviteur ou servant).

Les armures.

Seuls les seigneurs portent la riche armure de facture de métal, lourde et malaisée à porter. Mais elle protège. Les sergents, eux, portent sur la tête, le bassinet, sorte de casque protecteur, ainsi que des armes dont je dresse ici la liste : les haches, les massues généralement renforcées de métal, piques, coutelas, javelots, hallebardes, épées longues et courtes, arbalètes.

Le rôle de l’armure.

Elle distingue son porteur des autres soldats, elle est une marque sociale distinctive du seigneur par rapport aux soldats qui se contenteront de la cote de maille. En effet, ces armures sont chères. Leur fabrication est complexe et demande un très grand savoir-faire.

Elles sont forgées dans le fer et sur mesures, «  dans le meilleur métal, un étincelant habit de guerre qui ne paralyse pas rigoureusement son propriétaire. De plus en plus enfoui sous les plaques, les tampons et les chiffons, l’homme ressemble à un homard, ou à un automate capable d’un nombre de mouvements restreint. Il attache ses armes afin de pouvoir les rattraper si elles lui échappent des mains ! Sous le poids de cette armure, les seigneurs écrasent leurs percherons...  »

La monture caparaçonnée est considérablement alourdie mais constitue un véritable char d’assaut. Lancée au galop, elle devient avec son cavalier de redoutables armes en mouvement. Les chocs sont terribles dans les mêlées où s’affrontent les cavaliers et se désarçonnent. Lorsqu’ils ne tombent pas de leurs montures, les combattants en descendent pour se livrer à des corps à corps sans rémission. Les blessures sont irrémédiables, entraînant des gangrènes et la mort. Dans ce genre de batailles, les prisonniers sont nombreux, car un chevalier qui tombe à terre avec sa monture, ne peut plus se relever. S’il n’est pas tué, il est contraint de se rendre, il peut racheter sa liberté en versant une rançon, généralement élevée.

Les tournois.

Portés en haute estime par la caste seigneuriale de l’époque, ils font partie intégrante de « l’art de la guerre » dont ils s’inspirent. Entre les affrontements sur un champ de bataille et une joute en arme sur une lice de tournois, il n’y a de différence que dans les armes employées.

3000 chevaliers sur toute la période de cette mode frénétique seront engagés dans les tournois. La littérature courtoise contribuera à leur donner leurs lettres de noblesse. Littérature à son tour très prisée au XIXe siècle, lorsque les auteurs de romans de chevalerie revisiteront ces épiques récits et les vertus martiales du Moyen-Age. Au XXe siècle, les cinéastes en donneront, ensuite, des scènes marquantes et célèbres où gracieuses et belles dames répandaient autour des lices d’affrontements des preux chevaliers, leurs cillements d’yeux énamourés et leur effroi devant les chocs brutaux. Portrait légèrement édulcoré d’une chevalerie qui ne manquait ni de courage, ni d’ardeur, sous l’empreinte d’une foi ardente. Les historiens contemporains ont donné de cette époque une vision injuste, la taxant d’obscurantiste, alors qu’elle fut tout autant flamboyante à bien des égards, ne serait-ce que par l’application des « codes d’honneur » acquis dans la chevalerie, perdue depuis, au fil du temps par nos contemporains. Ne négligeons surtout pas de cette époque, les trésors architecturaux qu’elle a produits.

C’est une époque à la fois d’un condensé de fougue et de douceur, d’idéal de foi également puisque les femmes et les hommes de ces temps jadis s’abritent derrière la bannière de la chrétienté. On arguera que ce fut par ignorance et superstition, quoiqu’il en soit, les « portes du ciel  » étaient pour eux la seule porte de sortie possible après une vie tapageuse et de nombreuses turpitudes.

Nous nous garderons donc de bien vouloir les juger à l’emporte pièce, défaut majeur de notre époque actuelle, sans essayer de nous pencher intelligemment sur leur mentalité déroutante pour nos contemporains.

La vie quotidienne des châteaux va évoluer.

Des témoignages par les enluminures et les textes n’en donnent qu’une idée malheureusement incomplète. Mais nous pouvons malgré tout retracer le quotidien des seigneurs et de leur entourage familial, social et militaire, en élaguant bien entendu les images d’Épinal laissées par les conteurs, les chroniqueurs où le Seigneur est paré de toutes les vertus ; de la piété et valeur humaine et spirituelle, vêtu magnifiquement de brocards et de velours, adeptes de plaisirs fins, de spectacles de jongleries.

La réalité est tout autre. D’abord parce que animaux et humains cohabitent dans ces espaces. Les conditions de vie sont austères, rudes et sans confort. Pour la plupart chasseurs, ils sont « sales et puants » comme les décrivent certains historiens, d’autres seront plus modérés pour nous en parler, mais ils reconnaissent que ces femmes et ces hommes, ignorant les conditions d’hygiènes qui viendront bien plus tard, se vêtent et se nourrissent de manière rustique. Ils chassent et mangent beaucoup, de préférence un régime carné, de viande et de gibier qui échauffe le sang, de produits conservés dans la saumure et de quelques légumineuses et céréales. La gastronomie n’existe pas encore, elle ne viendra que vers le XIIIe siècle, avec des nouveautés ramenée d’Orient, d’Afrique et d’Asie mineure, ce qui changera radicalement les habitudes alimentaires.

Physiquement, ils sont vigoureux, plutôt trapus d’apparence, 1 m 70 en moyenne, pour les plus grands de taille comme en témoignent les armures conservées dans les châteaux et les musées. Ils sont robustes, taillés en force et endurants, caractéristiques des populations contraintes d’affronter des conditions atmosphériques rudes et de vie difficile, où la notion de confort n’existe pas encore. Femmes comme hommes. Peu ou très mal chauffés l’hiver, ils portent des vêtements épais et par dessus des vêtements de velours ou de laine épaisse, des fourrures pour se protéger du froid, hommes, femmes et enfants. Leur existence est brève, autour de 40/45 ans chez les hommes, les femmes bien plus jeunes, puisqu’elles meurent en couches bien souvent. La mortalité infantile est répandue. Mais une sélection naturelle s’opère.

La période des croisades va apporter quelques changements.

L’on va importer d’Orient quelques modifications quant aux habitudes alimentaires, avec les épices, mais aussi avec le bain chez les plus fortunés, dans lesquels on rajoutera des parfums aux fragrances de fleurs ou de musc.

XIIIe – XIVe siècle.

Nous assistons peu à peu, à une évolution des mœurs et des habitudes où la littérature courtoise fait son apparition dans les cours d’amour : de preux chevaliers déclament à leur dame de cœur, des poèmes raffinés. Nous entrons directement dans la période dite de première renaissance.

XVe siècle.

Les guerres d’Italie qui vont précipiter le cours forcé de l’Histoire.

Sources  :

Encyclopédie Quillet, Alpha, Larousse, Nouvelle Encyclopédie Larousse – Editions 1957.

Les citations mentionnées en italique ont été puisées dans des textes de Georges Conchon, d’Alba de Céspedes, Martine Hérold.

Philippe Auguste de Jacque Levron. Editions de Crémille.

 

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