La vulnérabilité de la doxa

par Bruno Hubacher
lundi 16 septembre 2019

Très à la mode actuellement, la question environnementale, notamment le réchauffement climatique, domine le discours médiatique et politique, et, en vue de diverses élections, nationales et régionales à venir, la boîte à idées est pleine à craquer. 

Ainsi, la responsable du Ministère fédéral allemand de l’environnement, la socialiste Svenja Schulze, propage l’interdiction des sachets plastiques pour les remplacer avec des sacs à base de déchets marins. La nouvelle Ministre fédérale de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, dont le parti CDU prône la privatisation des services publics, propose une réduction de prix du billet de train. Le Ministre-président de Bavière, Markus Söder, chef de l’Union chrétienne sociale CSU, exige, quelle inspiration divine, la sortie immédiate du charbon, une matière dont l’extraction et le traitement dépendent surtout les anciens Länder de la RDA, Sachsen et Brandenbourg, en tout cas pas son propre fief, la Bavière. 

Quoi qu’il en soit, l’abandon de la production énergétique à base de charbon, dont la toxicité pour les voies respiratoires des travailleurs et des habitants, n’ont jusqu’à présent pas donné lieu à trop d’inquiétudes de la part des autorités sanitaires, y représente en effet un défi économique majeur.

La perte, sans alternative, des seuls emplois relativement bien rémunérés, dans une région, ravagée par le chômage, ne reste pas sans conséquences. Les effets désastreux que produit l’exode massif, notamment de la jeune génération, vers les centres urbains de l’ouest, sur la vie économique et sociale, apportent de l’eau au moulin de la formation politique d’extrême droite AFD (Alternative für Deutschland), qui représente actuellement la troisième force au Bundestag, derrière l’establishment de la CDU et la SPD.

La source principale de production d’électricité d’Allemagne reste néanmoins le charbon, avec une part de 44% du mix, suivie par les énergies renouvelables, 30% (dont 3% d’énergie hydraulique), et l’énergie nucléaire, 14%. En comparaison avec la France, où le charbon ne pose pas problème, car seulement 2,2% du mix, les énergies renouvelables représentent de modestes 16% (dont 10% d’énergie hydraulique). Le problème environnemental majeur de la France n’est donc pas le charbon, mais la production d’énergie nucléaire, 77 % du mix. (Banque Mondiale)

Pour l’anecdote, la Suisse, où la part des sources d’énergies renouvelables s’élève à 64%, dont les 60% d’énergie hydraulique attirent la convoitise du lobby énergétique, elle pèche, à l’instar de la France, par une dépendance à l’énergie nucléaire, à hauteur de 35%.

L’enjeu climatique est, en effet, à mettre en perspective avec la bombe à retardement des 12'000 tonnes de déchets hautement radioactives générés chaque année par la production d’énergie par fission nucléaire.

Dû à la lente décroissance de leur radiotoxicité, le législateur allemand, par exemple, exige des lieux de stockage définitifs, pour les déchets hautement radioactifs, conçus pour 1 million d’années, or le seul dépôt « sûr » du genre, actuellement en fonction, le site d’Olkiluoto, une ile finlandaise, dispose d’une capacité de stockage de 6'500 tonnes de déchets, moyennement et hautement radioactifs, conçu pour une durée de 100'000 ans. Pour son mode d’extinction l’humanité a donc l’embarras du choix.

La « complexité » du « perpetuum mobile » de la production énergétique, l’atome, à l’instar de « l’unique système politique et économique valable, celui qui repose sur la propriété privée des moyens de production et le libre échange sur les marchés, grâce à la libre concurrence », le capitalisme, interdit au commun des mortels de poser des questions non autorisées, voire d’émettre des critiques. Le politique préfère donc la boîte à idées.

Mettre en question le capitalisme relève de l’hérésie, à l’instar de la mise en cause du commerce des indulgences, pratiqué par l’église catholique au 16ème siècle, dans le but de renflouer les caisses du clergé, ou les poches des actionnaires de nos jours.

A l’instar des nombreux politiques contemporains, autoproclamés serviteurs à la cause du peuple, le réformateur Martin Luther s’attaquait bien à la doctrine omnipotente de l’église catholique, un des piliers du système féodal, sans jamais toucher toutefois à la structure du pouvoir économique, le mécanisme de la redistribution des richesses, contrairement à son adversaire et ancien disciple, le pasteur révolutionnaire, Thomas Müntzer, instigateur et meneur de la révolte des paysans entre 1524 et 1526 contre la cupidité de l’aristocratie, activité qui lui avait coûté la vie, ou la tête, selon les pratiques de l’époque. 

C’est une triste réalité historique. Les révolutions émanant du peuple, qui par ailleurs se comptent sur les doigts d’une main, n’ont jamais excédé la durée de quelques mois, si on prend comme exemples les guerres des paysans en Angleterre, en Suisse et en Russie, la commune de Paris, ainsi que l’expérience anarchiste éphémère pendant la guerre d’Espagne.

On retrouvait l’effigie de Thomas Müntzer sur le billet de 5 Mark de l’ancienne RDA tandis que la mémoire du réformateur Martin Luther, figure encombrante de l’anticléricalisme communiste, subissait une existence misérable jusqu’à la chute du mur. Voilà où nous en sommes, match nul. Point de fin de l’histoire, mais, peut-être, une occasion de mettre les choses à plat.


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