La zone euro, ou comment jouer aux quilles avec les classes travailleuses des différents pays concernés

par Michel J. Cuny
lundi 10 juin 2019

Dans la vidéo qu’il a publiée le 3 octobre 2013, Alexandre Mirlicourtois déclarait apercevoir, à l’intérieur de la zone euro…
« …un changement radical par rapport à la situation qui prévalait avant la grande récession. Souvenez-vous. Derrière un équilibre de façade, l’hétérogénéité est alors à son comble : l’Allemagne caracolait en tête avec plus de 182 milliards d’euros d’excédents devant les Pays-Bas avec un solde structurellement positif d’environ 40 milliards. »

En face, il y avait ce que nous ne pouvons plus entendre qu’en serrant très fort les dents pour ne pas hurler de colère (et de peur ?) :
« Pour les autres économies eurolandaises, c’était la débâcle. Une descente aux enfers, pour le Portugal, suivi de la France, l’Italie, la Grèce et de l’Espagne qui portait le bonnet d’âne avec un déficit de 105 milliards d’euros. Une descente aux enfers qui traduisait des pertes générales de parts de marché, hors zone euro, mais aussi dans la zone euro. »

Pour nous détendre un peu, regardons de plus près (graphique ci-dessus) le plus cancre d’entre les cancres de ce temps-là : l’Espagne…

Et manque de pot !… En effet, une fois que nous voici arrivé(e)s en 2013…
« Le déficit abyssal espagnol s’est transformé en un excédent de 7 milliards d’euros. Les déséquilibres italien et portugais sont, eux, résorbés. La seule véritable ombre au tableau, ce n’est pas la Grèce, qui est à un cheveu de l’équilibre. »

Aussitôt, nous sentons qu’il y a, au fond de la bouteille, cette lie qu’il va falloir avaler jusqu’à la dernière goutte… et le graphique jusqu’à la couleur rouge sang… après l’orange de… la Grèce qui se prend à nous narguer, nous (membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU !) :
« Non, ce qui fait tache dans le décor, c’est bien la France qui a toutes les peines du monde à s’extirper de ses déséquilibres courants, même si la situation s’améliore à petits pas. »

Pour les « petits pas », passons à la vidéo du 8 octobre 2013… La « remontada » à l’espagnole, comment ça marche ?… C’est toujours Alexandre Mirlicourtois qui officie au tableau noir :
« Le retour fulgurant des excédents courants résume à lui seul le regain de forme de l’économie espagnole. Partie d’un déficit abyssal de 105 milliards, l’Espagne est aujourd’hui excédentaire de 5 milliards d’euros environ. »

Peut-être, en guignant par-dessus son épaule, pourrions-nous nous inspirer (un peu ?) de sa copie… C’est aussi ce à quoi nous invite le titre même de la vidéo de ce jour-là :
« Espagne 2014-2015 : la compétitivité au prix fort  »

Au point où nous en sommes venus, il n’y a plus guère à tergiverser… Faudra, de toute façon, que ça saigne !… Autant donc sortir les couteaux tout de suite !… et saisir, par les cornes ou par tout ce que l’on voudra, le taureau des classes travailleuses du cycle de production espagnol pour les rendre à nouveau exploitables…
« Et si la modération salariale est passée par là, ce sont bien les destructions massives d’emplois qui sont au cœur du redressement de la productivité du travail. »

Y compris, ce qui a pu longtemps revêtir un caractère d’élite – à travers la spécialisation professionnelle et les durée et vitesse d’activation et de mise en sommeil :
« En cause, l’hypertrophie de l’intérim : 1 espagnol sur 3 était intérimaire avant la crise contre une moyenne de 14,2% en Europe. Des emplois, par nature, précaires donc facilement ajustables : entre le pic de la série et le creux intervenu au 2ème trimestre 2013, ce sont 2,6 millions d’intérimaires qui ont disparu. En d’autres termes 85% de l’ajustement total a porté sur le tiers de la population. »

Ce qui laisse aux deux autres tiers le temps d’avoir peur et de, bientôt, pouvoir se réjouir de l’avoir finalement échappé belle… dans la marge assez stupéfiante qui va de 33% à 85%… De quoi fêter cela avec du champagne !…

Or, à condition qu’il soit bien senti – et jusqu’au plus profond de leur chair – par les un(e)s…, le malheur de l’arrachement à ce qui permet la survie – et peut-être même la « vie » – permet à d’autres de sentir, derrière l’animal vaincu, le vaste bonheur de l’investissement désormais bien plus prometteur :
« Un marché du travail flexible, une main d’œuvre qualifiée et des salaires comprimés, l’Espagne est redevenue une plate-forme de production très compétitive capable d’attirer les investisseurs étrangers. Et ce n’est pas un hasard si Renault a lancé un programme d’investissement supplémentaire sur son site de Valladolid, si Nissan va renforcer son site de production à Barcelone et enfin si Ford a délocalisé la production de certains modèles de la Belgique vers l’Espagne. »

… en défaisant éventuellement ailleurs… ce qu’ils prétendent créer de toutes pièces ici… et qui va faire des petits, tandis que la main-d’oeuvre restée en emploi ou tout nouvellement engagée n’a pas encore totalement avalé ni digéré la frousse par laquelle elle vient d’être frappée…

Ainsi battra-t-on le fer tant qu’il est chaud :
« De quoi revigorer une industrie qui génère 300 000 emplois directs et près de 2 millions d’emplois indirects selon les informations d’Ubifrance. Car on l’oublie un peu trop souvent de ce côté-ci des Pyrénées, l’Espagne ce n’est pas uniquement des productions agricoles et des touristes. C’est aussi une industrie aéronautique, la 5e européenne, une présence dans la pharmacie, les biotechnologies où évoluent plus de 3 000 entreprises. »

Et, pas plus dupe que quiconque, Alexandre Mirlicourtois de conclure :
« L’Espagne, c’est un rétablissement spectaculaire de la compétitivité. Mais un retour à la croissance qui se paie socialement au prix fort. »

Encore ne nous a-t-il pas donné les détails de ce « prix fort »… À charge de revanche, bel ami !…

NB. Cet article est le soixante-seizième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
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