Laïcité et République, Ecole publique

par C BARRATIER
mardi 8 décembre 2020

La France a la laïcité dans sa constitution, la Turquie aussi, grâce à Ataturk, ancien chef d’Etat. La laïcité d’un Etat n’empêche pas son nationalisme, entretenu par l’Histoire, les hymnes nationaux. La laïcité sans la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité » serait chez nous bien faible. Cette devise s’applique à l’intérieur du pays seulement

Ataturk et Erdogan, dans leur comportement communautariste, se ressemblent. Sans la République, sans la fraternité envers tous les citoyens du même pays, - c’est le cas avec Erdogan, la laïcité est vide.

Les chefs de nos gouvernements sont sans cesse tentés devant de solides lobbies, de faire plaisir à une communauté religieuse, pour être réélus. En France, nous avons une triple chance :

1. Il y a plusieurs religions, donc s’appuyer ostensiblement sur l’une fâcherait les autres.

2. Aucune religion n’est puissante aujourd’hui, et aucune ne peut désormais empêcher la laïcité de creuser son sillon. Elle continue à « labourer » droit, et évite strictement de mettre en avant toute idéologie. Notre laïcité s’approfondit, en mêmes temps qu’elle se répand.

3. Les athées sont nombreux, même s’ils n’ont pas de représentants élus. La « Libre pensée » qui n’est pas toujours laïque, est puissante, même si elle ne représente pas réellement les athées qui, pour ceux qui sont laïques, ne manquent individuellement pas de tenir compte du potentiel laïque des candidats aux diverses élections.

La laïcité reste un enjeu fort, elle est d’ailleurs surveillée, ce qui est très bien.

Pour la garder, notre République doit veiller à être sociale, car les très pauvres peuvent être plus facilement embrigadés par une idéologie excluant les autres. La reconnaissance normale devant l’aide reçue. Jaurès disait déjà que la laïcité ne pouvait se maintenir sans que la République soit sociale.

Actuellement il faut saluer les associations comme le Secours populaire ou encore les Restos du cœur, qui n’ont aucun affichage religieux ou politique. Mais l’Etat ne devrait pas compter que sur les associations, il convient qu’il joue son rôle nécessaire et juste d’harmonisateur social.

Comme pour approfondir le « sillon », Régis Debré, philosophe, a fait paraitre, ce 2 décembre 2020, « France laïque. Sur quelques questions d’actualité », dont « Marianne » publie des extraits. Voici. « Dans la Turquie kémaliste, le seul pays, avec le nôtre, à avoir inscrit « laïcité » dans sa Constitution et qui n’a pas signé, tout comme la France, la « Convention-cadre pour la protection des minorités nationales » (1994), laïcité signifie annexion de la religion par l’État, à travers un ministère des cultes qui rédige les prêches du vendredi »…(Seulement le vendredi ?). Confusion me semble-t-il entre constitution et gouvernement.

Autre citation, extrait « La laïcité est une exigence. De quoi ? De frontières. Une frontière n’est pas un mur. C’est un seuil. Pour distinguer un dedans d’un dehors. Entre l’État et les Églises, ce point est acquis depuis 1905 – même si le substantif laïcité, néologisme tardif (1883) introduit par Ferdinand Buisson dans son Dictionnaire de pédagogie ne figure pas dans la loi fameuse. Mais la séparation ne s’en tient pas là. La distance à instaurer ou sauvegarder passe entre le public et le privé, le citoyen et l’individu, le bureau de vote et le café du village, la salle de classe et la cour de récréation. Entre la loi et les mœurs. On ne franchit pas le seuil sans quelque changement de pied ou d’attitude. L’électeur n’entre pas torse nu dans un bureau de vote, ni un Président élu à l’Élysée avec sa femme au bras et les enfants derrière.

Le respect de cette démarcation requiert incontestablement un effort sur soi-même, une retenue, disons une discipline – à quoi prépare en principe l’éducation civique à l’école. L’individu est censé s’effacer derrière sa fonction, comme les intérêts particuliers derrière l’intérêt général. La promotion publicitaire de la personne d’un chef d’État efface la ligne de partage. Cela est tout nouveau. De Gaulle est-il arrivé au palais de l’Élysée escorté par sa petite famille, comme M. Sarkozy ? S’adressait-il aux Français, le jour de l’an, au coin du feu et avec « tante Yvonne » à ses côtés, comme M. Giscard d’Estaing ? A-t-il embrassé sa compagne sur la bouche devant les caméras, en apprenant sa victoire aux élections, comme M. Hollande ? A-t-il invité des rappeurs en bas résille à danser sur les marches d’un palais de l’Élysée en annexe de l’Olympia, comme M. Macron ? Cela se fait en Amérique, non en République. L’assujettissement d’un projet aux projos, de la règle à l’opinion, du recul à l’émotion, de la loi au sondage et du long au court terme, bref l’effacement de la frontière entre les deux espaces, le privé et le public, devrait du même coup effacer le qualificatif « laïque » à l’article 1 de notre Constitution. Qu’attend donc le Conseil constitutionnel ? »

J’avoue ne pas suivre notre philosophe. La tenue vestimentaire marque un respect des lieux, des personnes qui les gèrent, mais pas spécialement un respect de la laïcité. Un dirigeant n’est pas seulement une fonction, il s’agit d’un être humain, d’une femme ou d’un homme. En tant que dirigeant respectueux de chaque citoyen, il est vrai qu’il doit s’imposer un devoir de réserve, il agit en principe au nom de la France s’il est Président de la République. Certes, ce n’est pas au nom de la France qu’il va se faire accompagner par son conjoint, sa conjointe. Il est donc indispensable que cela n’altère pas sa dépendance de ses seuls électeurs, il est impensable que des débordements éventuels du conjoint qui, lui ou elle, n’est pas élu(e), pas représentatif(ve), se produisent. Bref, l’époux ou l’épouse doivent faire preuve de la plus grande retenue, de la plus grande neutralité. Cela, au nom de la laïcité, je veux bien. C’est le cas des épouses évoquées ici. Cela ne les empêchera pas de faire œuvre utile. Et ce n’est pas une obligation pour un conjoint de se montrer auprès du « chef ». C’est sa liberté. On épouse une personne, pas une fonction.

Par contre, le Président de la République Macron et son Ministre de l’Education nationale viennent d’effectuer un somptueux cadeau aux écoles confessionnelles au détriment du contribuable communal :

 

Chacun sait que Brigitte et Emmanuel MACRON Professeure et Elève chez les jésuites sont ficelés à l’école privée catholique, et apparemment le Ministre BLANQUER l’est aussi.

Quand la décision de fixer l’obligation scolaire à partir de 3 ans au lieu de 6 ans a été annoncée par Blanquer, les 3-6 ans ne devenaient pas pour autant des élèves d’âge élémentaire, ils restaient des enfants de classe enfantine. La loi DEBRE de 1959 concernait les classes élémentaires (cours préparatoire, cours élémentaire, cours moyen). La dernière circulaire d’application de 2012 rappelait que les communes pouvaient ne pas financer les classes maternelles privées.

De très nombreuses communes ne les finançaient pas en effet, et pas des moindres… par exemple PARIS.

La loi Debré ne portant que sur les écoles élémentaires, il fallait un texte ayant force de loi Les organes de gestion des écoles privées sous contrat d’association le réclamaient. depuis longtemps.

D’où le décret n° 2019-1555 du 30 décembre 2019 relatif aux modalités d'attribution des ressources dues aux communes au titre de l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire
 

L'article R. 442-44 du code de l'éducation est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. R. 442-44.-En ce qui concerne les classes élémentaires et préélémentaires, les communes de résidence sont tenues de prendre en charge, pour les élèves domiciliés sur leur territoire et dans les mêmes conditions que pour les classes correspondantes de l'enseignement public, les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat, sous réserve des charges afférentes aux personnels enseignants rémunérés directement par l'Etat.
« La commune siège de l'établissement peut donner son accord à la prise en charge des dépenses de fonctionnement correspondant à la scolarisation d'enfants de moins de trois ans dans des classes maternelles sous contrat. Dans ce cas, elle est tenue de prendre en charge, pour les élèves domiciliés dans la commune et dans les mêmes conditions que pour les enfants de moins de trois ans scolarisés dans des classes maternelles publiques, les dépenses de fonctionnement de ces classes, sous réserve des charges afférentes aux personnels enseignants rémunérés directement par l'Etat. Pour les élèves de moins de trois ans non domiciliés dans la commune siège de l'établissement, leurs communes de résidence peuvent également participer, par convention, aux dépenses de fonctionnement de ces classes, sous réserve des dispositions de l'article R. 442-47. »

Ce décret n’a évidemment pas été soumis au Parlement. Un oukase. Démocratie ?

Cette opération Macron/Blanquer est aussi conséquente pour les contribuables communaux que l’Opération De Gaulle /Debré de 1959.

 

Autre extrait :

« L’école est le lieu où la société ne doit pas s’exprimer  », écrit Bernard Maris. On peut se demander si ce lieu à part, devenu poreux, où Jean Zay, ministre de l’Éducation du Front populaire, avait interdit les journaux de pénétrer, ne s’est pas délaïcisé en quelques décennies, insensiblement mais sûrement. La mise aux normes s’est effectuée via une prise en tenaille entre deux rouleaux compresseurs faussement opposés, la gauche non socialiste mais sociétaliste et la droite non culturelle mais économiciste. Pour cette dernière, l’école est à gérer comme une entreprise au service des entreprises, chargée de fabriquer des producteurs et des consommateurs performants, bref, un lieu d’adaptation et conformation à la société existante, à l’unisson (bruyant) du raffut ambiant. La gauche sociétale voulut en faire comme un miroir de la déesse société, de plain-pied, en chambre d’écho. Comment ? En plaçant, non le savoir mais « l’enfant au centre du système », c’est-à-dire les familles. Ainsi les « parents d’élèves » virent-ils l’école s’ouvrir à eux, afin qu’ils s’y sentent comme chez eux, avec droit de regard sur les maîtres, les programmes et la notation des copies.

Et on en arrive à l’aberrant : un chef d’établissement tenu de recevoir un père flanqué de son confesseur, en l’occurrence un imam. Comme si l’expression de « parents d’élèves » n’était pas un oxymore. Les parents font des enfants, tant mieux, on doit les en féliciter, mais seuls les professeurs font des élèves, on ne les y encouragera jamais assez. En toute autonomie, avec une hiérarchie elle aussi indépendante des pouvoirs, du dernier cri, des passions et des préjugés ambiants. Un instituteur n’inculque pas. Il éduque, conformément au sens originel, latin, de « éduquer », e-ducere, conduire un enfant hors de chez lui, l’extraire de sa niche natale pour l’élever à la condition de citoyen éclairé, apte à penser par lui-même, et instruit de ses droits et devoirs. Un professeur laïc en activité n’est ni de gauche ni de droite, ni croyant ni athée, et doit attendre de regagner la salle des professeurs pour défendre à voix haute Trucmuche contre Trucmolle ou l’inverse aux prochaines élections. »

Je ne dirais pas un professeur laïc, mais public, un « laïc » peut parfaitement enseigner dans une école confessionnelle avec un prosélytisme qui fait partie de son travail.

Un chef d’établissement n’est pas « tenu » de recevoir un père sans consignes précises avant le rendez-vous, qui écarteront toute autre personne n’étant pas de la famille. Ceci dans l’enseignement public laïque. De même un chef d’établissement n’est pas tenu d’accepter pour accompagner une sortie scolaire, une personne prosélyte, portant ostensiblement des signes religieux. Il a même le devoir de le refuser dans l’Ecole publique. Je rassure Régis Debré, l’école publique s’est pas du tout « délaïcisée. Dix années de travail auprès des écoles et des mairies en qualité de Délégué départemental de l’Education nationale autorisent ma certitude.


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