Laïcité, le désordre croît

par Orélien Péréol
lundi 23 juin 2014

Des femmes musulmanes voilées réclament au ministre de l’Education nationale de pouvoir accompagner les sorties scolaires :

http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2014/06/19/des-meres-voilees-reclament-a-m-hamon-de-pouvoir-accompagner-les-sorties-scolaires_4441287_3224.html#

http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/18/maman-voilee-veux-pouvoir-participer-sorties-scolaires-252986

L’inversion de la laïcité que nous avons mise en œuvre par la loi du 15 mars 2004 brise tous les repères et nourrit un débat dont les sujets se multiplient avec une intensité grandissante. Ici l’intensité est faible. Tant mieux.

La laïcité est une obligation de l’Etat d’accorder les mêmes droits à tous les citoyens, sans tenir compte de leur religion. L’Etat n’a pas de religion et considère également les religions des citoyens.

Une loi de 2004, dite « loi sur le voile à l’école » alors qu’elle s’occupe en ses termes des signes religieux a inversé cette conception de la laïcité et a fait de la laïcité de l’Etat une laïcité du citoyen.

La laïcité est passée de l’organisation de la liberté religieuse des citoyens, par l’Etat, à un principe qui permet à l’Etat de commander un certain comportement à des citoyens, un certain comportement qui a trait à la religion.

En se permettant de commander un comportement spécial, dans le domaine du religieux, l’Etat a pris le contrepied de la laïcité, tout en en gardant le nom, et a fait de la laïcité un principe religieux, qui s’occupe de la façon dont les citoyens s’habillent, et autorise l’Etat à interdire un vêtement. Cette laïcité inversée se met, malgré elle, sans y penser, en concurrence avec les religions (une surtout). Au lieu d’être un arbitrage, la laïcité devient une profession de foi : la religion est pour l’entre soi et l’espace privé ; nous devons faire profession publique d’athéisme.

Plus d’échange dans l’espace public ! Cela fait penser à la devise des jésuites : perinde ac cadaver ; comme un cadavre… ne rien dire, ne rien montrer dans l’espace public, y être invisible, absent, mort…

Cette demande d’être double, soi-même dans le privé et incolore dans le public n’a aucune chance de voir une réalisation. Chacun tient devant cette loi à manifester qu’il est lui-même. Elle est auto- anti-réalisatrice. Elle amène automatiquement le contraire de ce qu’elle prescrit : les conflits s’étendent et s’approfondissent.

En voilà un nouveau : les mères voilées, puisque c’est ainsi qu’elles s’appellent elles-mêmes et que tout le monde les appelle, demandent au ministre de pouvoir accompagner les sorties scolaires.

On peut discuter de savoir si les parents qui accompagnent les sorties sont ou non des agents de l’Etat (bénévoles) dans le temps de cette sortie. Le conseil d’Etat a répondu non. Dans la laïcité authentique, initiale, de principe, l’Etat est obligé de ne pas se rapprocher d’une religion ou d’une autre, et donc les employés de l’Etat sont interdits d’afficher leur religion. Si le conseil d’Etat estime que les accompagnants des sorties scolaires ne sont pas des employés occasionnels et gratuits de l’Etat, alors selon la laïcité bien comprise (laïcité de l’Etat et non du citoyen) il n’y a pas de raison qu’on leur impose ou qu’on leur interdise une tenue vestimentaire.

En même temps, le conseil d’Etat renvoie aux situations locales et aux chefs d’établissement. Alors que la loi avait été faite pour donner un cadre national et débarrasser les acteurs locaux de difficiles négociations. C’est un des aspects de l’augmentation des problèmes.

Ce qui augmente encore le désordre de cette inversion de la laïcité, c’est que des citoyens, des citoyennes demandent le retrait d’une circulaire du ministre de l’Education nationale ; c’est-à-dire que la confusion liée à cette loi n’est pas seulement désordre, approximation, incompréhension, qu’elle se met à créer une opposition.

Ces mères disent : « que faisons-nous de mal ? » et les élèves sujettes de la loi de 2004, que font-elles de mal ?

Certains demandent une loi pour les mères (la loi est pour les élèves). Augmentons le nombre de lois. Un principe, s’il est bien un principe se décline dans toutes les situations concrètes et ne nécessite pas de dire avec une loi par situation ce qu’il devient dans telle ou telle situation.

Ce désordre va encore augmenter, nous aurons bientôt des prêtres en soutane dans la rue. C’est la conséquence logique de cette inversion de la laïcité qui est le fond de la loi de 2004.


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