Laissez-nous la fiction, les filles et les garçons

par Zang
samedi 1er mars 2014

Toute ma vie, et depuis tout gamin, j’ai couru après ce mystère, écarquillé les yeux, les voiles, tendu l’oreille, humé frou-frous, maquillage et parfums, reniflé doigts et coutures, parcouru creux et rondeurs, monts de Vénus et vallées, retournant ciel et terre, greniers et gynécées, troussant verbe et langage, et cherchant, cherchant à percer le secret de ces existences, de ces derrières et devants, cherchant à savoir avec une dangereuse et délicieuse tension ce qu’il y avait de l’autre côté, derrière le paravent, sous les culottes et les jupes de ces dames, de ces filles, de ces femmes qui dévalaient la chaussée nuit et jour, au rythme de leur parler et de leurs déhanchements exotiques, thaumaturges de mes nuits et de mes rêves. De quel bois étaient-elles faites ? De quel amour, de quel esprit, de quel corps, de quelle chair, de quel sang, de quelle odeur, de quel rire, de quelle humeur, de quelle larme, de quel charme, de quelles vibrations, de quel pipi, de quel caca, de quelle mort, petite et grande, de quels élans, de quelles frustrations, de quelle puissance ? Ah, Seigneur ! Ces formes, ce moteur, cette beauté… qui me tenaient en avant, en arrière, arrière Satan ! En avant, Divin ! Debout, de vous à moi, et encore, fixe ! Tout là-haut... frétillant. Et voici qu’après de si belles années, porté par les vents du large, des cimes et de l'art, alors que je m’enivrais de cette ensorcelante fiction, de cet objet sacré, de cette quête infinie, l’on vient aujourd’hui m’annoncer l'amer, l’horrible, l’insoutenable, à savoir qu’entre une fille et un garçon tout est pareil, duplicable à souhait, interchangeable, nulle différence, rien ! Rien à chercher, rien à trouver, rien d’autre à voir qu’on ait déjà vu, qu’un morne et plat pays uniforme... comme moi. Quel coup terrible ! Quel coup troublant quand on sait que le possible d'une rencontre commence avec l'extinction de la lumière... Quelle désillusion ! Quel coup fatal pour l’imaginaire, le rêve, le désir, le mouvement… le rythme, le jeu, l'art, la vie. Quelle dépression ! Il n’y aurait désormais plus de secret, de caché, plus rien à chercher, à imaginer, à explorer, plus rien à créer ; il n’y aurait plus cette prière aux dieux, cette élévation, cet enthousiasme, cette promesse du bonheur, cet accès possible à un univers inaccessible, cet exil merveilleux ; il n’y aurait plus cette limite, cette frontière qui donne corps à l’altérité, et cette altérité qui fonde la liberté, et de tout temps. Ah, ces idéologues ! Ces briseurs de rêve ! Ces fossoyeurs de la vie et de l’art ! Je leur en veux, oui. Je leur en veux. Terriblement. De ce totalitarisme. Oui, je vous en veux. Et le clame, dût-on me pendre.

 

Marcel Zang


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