Larbins et soubrettes des grands chemins

par Nicole Cheverney
jeudi 25 mai 2023

 

Tout pouvoir a ses larbins. Corrompus, soumis, serviles, ils furètent pour leur récompense, la paluche du maître et la gamelle bien garnie. Ils sont tous du même tonneau, femme ou homme. Ils se ressemblent et s’assemblent dans un époustouflant degré de la pensée zéro. Nous les rencontrons, partout. Dans tous les domaines de la vie publique, économique, sociale, politique et diplomatique.

Mais le plus emblématique, c’est le larbin médiatique. Et c’est grâce à ces phénomènes qu’un pouvoir arrive à pérenniser ses méthodes de gouvernement des plus autocratiques et tyranniques, en abrégé : sadiques !

Un premier exemple, les soubrettes des media.

Qu’il s’agisse de la poupée Barbie au sourire de geisha, des crocs à la place des dents, débordante d’ambition et d’énergie qui esbroufe derrière son pupitre, son micro, la caméra, le prompteur, dans une starisation et mise en scène hollywoodienne, c’est irrémédiablement un spécimen. Toutes se ressemblent, surtout lorsqu’elles ne sont pas au repos. Tout chez elles est étudié : regard, jeux de mains (jeux de vilains), angle de vue, haussement des sourcils, opiner du chef plusieurs fois, comme pour saluer tout propos rentrant dans les éléments de langages autorisés, froncer les sourcils en prenant un air outragé, regarder l’interlocuteur interloqué avec de gros yeux de bœuf à sortir de leurs orbites, le regard fixe et mauvais comme la vérole sur le dos du bas-clergé, revolvérisant l’interviewé d’un air où sort à la fois le courroux fabriqué et la bêtise incarnée, avec la lourdeur d’une grosse pièce de charcuterie tombant de son crochet. Lèvres siliconées et pulpeuses jouant tout l’éventail d’expressions (comme au théâtre), visant à rallier l’opinion à leurs petits tribunaux de commissaires politiques. La soubrette passe de la risette au regard revolver avec une vélocité déconcertante, en face, l’accusé tentant maladroitement de ferrailler.

N’importe qui peut tomber dans le piège à mouscaille que tendent ces perfides, véritable estouffade de belles-mères. Devant ces dragonnades, s’exposent innocemment des « citoyens » invités pour être passés à la question sans attendre les réponses, qui ne connaissent rien du monde médiatique, des béotiens, des candides, des braves gens, des sincères qui se feront couillonner avant même qu’il aient compris l’ampleur de la couillonnade. Tout ce que l’invité veut affirmer, dire, passe à la trappe devant le savoir-faire de la soubrette à la langue serpentine. Et lorsque l’interviewé connaît bien le monde médiatique, ils se mettront à plusieurs en meute pour le pousser dans ses derniers retranchements et au final lui faire subir, le « jugement de Dieu » ! Pan t’es mort !

Mais attendez, j’en ai autant pour les darons de l’appareil médiatique. Avec leur petit matériel, chargés des « travaux et entretiens » de la doctrine à tout faire, ce sont les hommes de leurs employeurs milliardaires. A la fois soudeurs, fraiseurs, vissant, rabotant, la cuve de poix bouillante dans le chaudron du bien pensant prête à être jetée sur ceux qui sortent de leur champ lexical, ou à la scie, au rabot, ils excellent pour bistourner leurs invités.

Pour l’interviewé, commencer une phrase, c’est une chose, pouvoir la terminer, c’en est une autre ! Alors, dans le genre, vous avez le petit gugusse des media de grands chemins coiffé comme une meringue, gominé et pommadé, étriqué et coincé dans son costard, ou bien le vieux roublard à a calvitie qui phosphore et qui n’a rien perdu de ses instincts de chasseur. Ils n’auront de cesse de couper la chique à leur invité, en leur couvrant la parole ou en parlant tous en même temps.

Point de vue cérébral, le larbin médiatique présente la platitude d’un polder hollandais. Quel que soit le sujet entamé, ce qui suffit au bonheur du larbin, c’est le son du ciseau d’Anastasie, du moment que ce bruit s’accompagne de celui du tiroir caisse, que ses patrons milliardaires ouvrent largement pour le voir s’aplatir devant eux comme un ténia. Car la grande mode de la société du spectacle debordienne, pour quelqu’un qui peut empiler ses milliards et ses billards jusqu’à la Lune ou Mars, eh bien, devinez, c’est de se porter propriétaire des media de grands chemins, en posséder un, deux, trois, tous !

Le larbin aime bien le bruit de la chignole électrique qu’il tient d’une main ferme pour enfoncer dans les esprits, sa propagande, à la force d’une vis en rotation accélérée. Cela le rehausse du haut de sa suffisance et de ses arguties à l’emporte-pièce, devant l’interviewé qui balbutie, et finalement se taira, jettera l’éponge, hélas, au lieu de se cabrer, indigné, devant ces tout autant suffisants que stupides personnes qui le questionnent. Si vous avez classé les larbins dans la catégorie des angéliques, erreur fatale ! Si leur encéphale égale le QI de celui d’une huître de Bouzigue, tant la portée de leur impéritie est vaste, ce que vous interprétez comme un manque de malignité, se révélera bientôt comme les extraordinaires capacités mentales d'un cerveau reptilien. Il pense plus vite qu’il ne réfléchit, certes, mais une sorte de dédoublement cérébral l’agite, représentant en quelque sorte le centre nerveux de ses préoccupations, semblable à l’araignée tissant autour de sa proie, une nasse serrée.

Une fois passées la scie, le rabot, leur truc à eux, ces carpettes, elle ou lui, c’est de « cheffer », de s'étaler, de se fondre, et de baver comme un gastéropode pour le compte de la toute puissance de ceux qui les emploient. L’ai-je bien descendu, l’invité ? De son invité, l'artiste s’assoit dessus prestement, et joyeusement s'il vous plaît de son derche pesant de petit censeur en mal de reconnaissance et de récompense. Le « syndrome du larbin » est si prégnant chez les loufiats du PAF, que nécessairement, il atteint leur capacité de discernement.

Parmi les joyeux camarades, nous avons une autre sorte de larbins, ceux-là, des artistes, ce sont les politiques, des professionnels ! Attention, je ne généralise pas !

Mais l’inconstance de ce XXIème siècle qui clôturera peut-être notre civilisation, libère les inhibitions les plus remarquables.

Nous en eûmes récemment des échos fameux ! Cela se passa à la sortie du Parlement, avec le vote de la loi sur les retraites. Après avoir bien parlementé, la langue asséchée par les rafales de leurs discours venteux où rien ne passait plus que des courants d’air, ces pauvres travailleurs de nuit, à force d’arpenter, en large et en travers le projet de loi sur les retraites à voter, se regroupèrent vers la buvette, un endroit sacré aussi oint que l’eau de l’église, préférant bien entendu à l’eau sainte, les liqueurs qui grisent !

Cri de ralliement : Tous à la buvette, tous au picrate ! Un quotidien lymphatique et gratuit de la vie épuisante des politiciens de notre ex-belle France. Alors nous vîmes débarquer dans cet endroit, comme dans une mare aux canards, ces palmipèdes tout barbotant de plaisir et d’excitation, à l’idée de se rafraîchir le palais, le gosier, le bide et toute la tuyauterie dans une vertigineuse descente de petits sirops par ci, par là ! Sglurp ! Sglurp ! De descentes si rapides que même Louison Baubet aurait eu du mal à remonter. La gargamelle leur renvoyant en écho remontant la tripe, des dizaines de borborygmes reconnaissants et empressés.

Pendant qu’ils sifflaient leurs petites rasades, gratuitement aux frais de la princesse, que la cirrhose menace le foie, la tuyauterie, l’intestin en colimaçon, le puisard bouché, la valve hoquetant jusqu’à l’aorte, le rognon frétillant, à l’heure du choix cornélien, boire ou voter les lois ! Et bien les Arsouilles avaient choisi… Les deux ! C’est en buvant qu’on devient forgeron. De la crise du goulot, nos larbins patentés accouchaient d’une loi sur les retraites.

La Boétie a écrit sur la « servitude volontaire ». Jamais ces plus beaux textes de la littérature française n’ont été autant d’actualité, concernant ces larbins malins envers leur maître vénéré. Cela mériterait que la Faculté ou l’Académie se penchât sérieusement dessus et examinât ces derniers vestiges de feu-Démocratie parmi les plus anciens représentants du peuple, vieux fossiles républicains ou jeunes Césarion aux petits pieds dont le cervelet ne dépasse pas l’intensité d’une échelle basse de Richter !

Avec eux, le grand maître vénéré et chef de cérémonie roi Moije, n’a rien à craindre, pas de volcanique éruption sociale en vue. Loi votée, loi passera ! Il court, il court le furet ! Elle est passée par ici à l’assemblée nationale, au Sénat, au Conseil Constitutionnel, et la loi r’passera comme l’eau ferrugineuse de notre regretté Bourvil.

Dans cet étrange passe-plat politique, bistouille rime avec magouilles.

Alors, oui, avec la bistouille et les magouilles, les casserolades du cocu peuple de France sont de sortie. Ca fait du bruit ! Ce bruit venu des profondeurs de l’ Enfer semble épouvanter le monarque depuis ses loges surplombant la scène. Est-ce que ce bruit infernal crèvera le plafond de verre du roi, aussi efficacement qu’un contre-ut poussé par la Malibran qui elle, faisait éclater en mille morceaux, les verres en cristal rien qu’à la force de sa voix au si puissant registre ? Depuis les loges royales, notre narquois monarque observe le concert. Cling, cling, cling, pouc, pouc pouc, tang, tang, tang, suivant l’instrument. Faire la révolution à coups de casseroles, voilà qui est original ! Casserole, poêle à frire, couvercle, passoire, entonnoir, tout y passe. Toute la batterie de cuisine est de sortie. Et depuis, les casseroles extirpées de leurs placards à cuisine, ont rivalisé de sonorités effrayantes, si bien que la maréchaussée appelée en renfort fut extrêmement ponctuelle et zélée pour verbaliser sur ordre du Palais tous ces tambouillards de gueux, et leur bouzin.

Où mèneront ces casserolades tintinnabulantes ? Nous pouvons d’ores et déjà mesurer l’intensité des acouphènes gouvernementaux. Du potin, j’en veux plus, gnaque gnaque ! Silence dans les rangs ! Je ! Moi ! Roi de la République, ne veux voir qu’une seule tête ! pas un seul cheveux hors du rang, En avant, marche !

Par contre, ce que nous pouvons pressentir, et ce que nous disent d’ores et déjà les casseroles pressées de rejoindre leurs placards, (on les entend moins, ne trouvez-vous pas ?), c’est qu’à l’approche des grandes vacances ou « congés d’été », la fin de la partie sera sifflée par les syndicos/partenaires sociaux les plus englués dans les compromissions, déjà sur le starting block des... comme ils les appellent : « négociations ». Aller délégationner en groupe, voilà qui est chouette ! Prendre la pose devant les photographes pour immortaliser l’instant où les gueux, cocus, éternellement cocus, n’auront plus qu’à sortir leurs mouchoirs et pleurer d'abondance.

On jouera à Colin-Maillard entre les partenaires sociaux, le pouvoir et les manifestants, et le leurre se prolongera, pour reprendre ensuite à la rentrée, par une partie du peuple encore plus mécontent. La foule sera de nouveau conviée à rejoindre les cortèges sous la protection des grands ballons mobiles aux couleurs claquantes des syndicos. Avec un petit jet de poivre sur les insipides cortèges aux slogans éculés, toujours les mêmes, sur les places et sur les grands Boulevards, devant des rangées des milices du roi Moije, armées jusqu’aux dents, derrière leur boucliers, avec leurs jambières, leurs casques étranges et laids, truffés de micros, caméras, avec l’impression de trimballer sur leur chef, toute l’industrie des nouvelles technologies, en attendant les robots frappeurs et castagne, qui le feront bien mieux à leur place, on présume. Leur place, à eux, une fois remplacés par les robots tueurs, sera de dégager fissa, pour rejoindre les rangs des cocus chômeurs. Que feront-ils de ça ? Se débarrasseront-ils de leur syndrome du larbin ? Mystère.

Devant eux, la masse des manifestants à bouts de nerfs, dans le plus grand désespoir, scandant eux, par contre, des slogans autrement plus directs et affirmés que les « éculées petites phrases » des partenaires sociaux au disque rayé et nasillard, du genre « Et la rue elle est taki ? Elle est tanou ! ».

Tu l’as dit, bouffi ! Une fois la tanou ? Qu’en feras-tu ? Tu continueras d’arpenter les boulevards ? Tanou ! Tanou ! Tanou !

La rue c’est le pré-carré du parfait partenaire social, qui encadre, qui achoppe toute velléité trop marquée de soulèvement général et populaire inspiré et copié sur les grands mouvements du peuple au XIXe siècle. A l’époque où nos aïeux portaient une bonne paire de moustache, mais ne passaient pas leur temps comme nos contemporains devant un écran de télé, vautrés sur leur canapé, se gavant de pop corn, de bière ou mordant dans leur pizza surgelée réchauffée au micro-onde - bien sûr, que cette compilation, en trois points : télé, malbouffe et smartphone, liquéfient littéralement les générations et supprime tout instinct de survie. Le piailleur de rue qui crie ce genre de slogan pré-digéré par les officines, ira rejoindre bien gentiment ses pénates le soir, plein de son petit train-train de Français que le pouvoir est en train de déposséder avec une sournoiserie véloce jamais encore atteinte.

Souvenons-nous, au temps des grands soulèvements du XIXe siècle, la Bourgeoisie agissait à visage découvert, on savait que c’étaient de véritables ordures, le peuple le vivait tous les jours, de la campagne ou de la ville, il suait sous leur trique. Il en fallait donc très peu pour pousser le peuple dans la rue, massivement. Cela n’a guère changé. Pourquoi cela changerait-il, au fait ! Est-ce que la Bourgeoisie a changé, elle ? Non ! Toujours aussi ordurière. Aujourd’hui, la dépossession des populations de leurs moyens d’existence a commencé. La Bourgeoisie, cette détestable association de malfaiteurs juge que nous sommes encore trop gras, trop « possédants ! ».

Devant ces vampires, une partie du peuple seulement se bouge, alors que les 3/4 des Français devraient être, selon toute logique, dans la rue. Des millions, sans groupes catégoriels, sans syndicats, sans exclusive, dans une union sacrée, pour l’emporter sur le chancre qui ronge le pays, lorsque la situation deviendra intolérable pour tous. Car tous les jours un peu plus qu’hier et encore moins que demain, le pouvoir affûte ses armes… Contre le Peuple. Nous sommes en guerre, disait le roi Moije, à l’adresse de « ceux qui ne sont rien » !

Et que de surcroît, il juge être de trop… sur terre.

 


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