Le 21 décembre 2012, l’humanité va disparaître, bon débarras ?
par Bernard Dugué
mardi 13 novembre 2012
La fin du monde est annoncée. Et si on y croyait ? Ce serait un prétexte pour gloser sur le monde et les œuvres humaines. Et pourquoi pas s’essayer à la misanthropie. L’humanité va disparaître et c’est tant mieux. Si l’humaniste se soucie de l’homme en lui accordant quelques qualités et même des droits, le misanthrope fait sienne cette formule, le vrai problème de l’humanité, c’est l’homme. Cette idée une fois développée ne risque pas d’être éditée comme chronique dans un vrai journal comme Libé ou le Monde. A la limite, si le texte est truculent, une lecture sur les ondes rebelles d’Inter serait envisageable. Ce n’est pas difficile de faire mieux que Ben ou François Morel. Mais au fait, pourquoi toujours parler de ce qui ne va pas, qui est mauvais, qui ne marche pas ? L’autre jour, j’écoutai François Busnel évoquer le rôle des médias dans le succès des romans en opposant les émissions et critiques littéraires professionnelles aux recensions publiées sur les blogs. Et un constat, le contenu souvent négatif des billets du Web qui parfois virent à la détestation et au lynchage. C’est sans doute exact, le Net se prête plus aisément au défoulement et à l’expression des ressentiments et autres colères, phénomène facilité par la solitude du rédacteur devant son écran ainsi que l’anonymat qui souvent, décomplexe l’écriture qui se laisse aller dans les extrêmes. A se demander si la plupart des blogueurs ne sont pas maniaco-dépressifs. Le Français est connu pour se plaindre en permanence. De scrupuleux observateurs notent que souvent, les analyses parlent de ce qui ne marche pas, oubliant de dire ce qui fonctionne et de signaler les belles réussites dans divers domaines. Autant dire que le Web ne fait qu’amplifier la complainte généralisée. Et j’avoue moi aussi me laisser aller parfois à des chroniques négatives, pessimistes, pointant les travers sociaux et les défauts de quelques personnalités médiatisées.
Tenez, en ce moment, je pourrais me mettre à écrire un billet sur l’indécence des marathoniens privés de course à New York et prêt à attaquer en justice les agences de voyages. Voilà bien un trait contemporaine de l’indécence de ces bobos capricieux qui n’ont cure des misères engendrées par ce terrible ouragan. Un titre s’impose pour cet hypothétique billet : le marathonien cours avec ses jambes et il pense avec ses pieds. Autre billet d’humeur massacrante, une truculente critique assassine du dernier album de M. Ce grand dadais squatte les plateaux télé en racontant le douillet cocon familial tout en évoquant avec tendresse sa mamie Chédid. Voilà bien une rock attitude un peu suspecte. Ayant eu l’occasion d’entendre un extrait de son dernier album, mon soupçon se confirme. M chante du pop rock destiné aux maisons de retraite. Et pour me guérir de cette guimauve électrique, j’ai cherché dans ma discothèque un Sex Pistol. N’ayant pas de galette punk, j’ai pu me rabattre sur un live de Led Zep à la BBC. Ouf, je revenais sur terre, je veux dire que j’atterrissais sur la planète rock. La France est décidément fâchée avec le rock. Que ce soit Indochine, Aubert, BB brune, Dionysos ou M, c’est à gerber ! C’est alors que dans un coin du cerveau, mon surmoi se réveille : dis donc, jeune homme, faut se calmer, c’est pas gentil tes propos, tu t’attaques en plus à des millions de gens qui apprécient cette musique, laisse béton et jette un œil dans le ciel, ces belles couleurs d’automne avec les feuilles dorées que la délicate lumière du soleil fait scintiller de toute une symphonie de palette du jaune aux rouges, alors que d’ici quelques temps, tu pourras observer ces magnifiques vols de grues cendrées en partance pour squatter les contrées du Sud.
Bon dieu mais c’est bien sûr, il faut positiver, regarder ce qui est beau, entendre les harmonies. Vite, un billet sur le nouveau Glass Hammer que j’attends avec impatience, ou alors sur Dieu et la mécanique quantique, ou bien sur la méditation, ou enfin sur ce mythique coffret contenant les bootlegs de Tangerine Dream remasterisés dont la parution est annoncée pour la fin du mois. Positiver ! Il faut positiver ! Hélas, quand j’allume le poste, je n’entends que des mauvaises nouvelles. Ces médecins qui font grève pour plus de pognon alors que la Sécu sombre et que des tas de gens n’accèdent pas aux soins. Je clique sur ce site et je lis que les Américains font un juteux commerce d’armes avec l’Arabie Saoudite, pays qui accueille avec un tapis rouge les salafistes alors que quelques riches ressortissants financent les mouvances terroristes qui justifient alors la guerre des drones au mépris du droit international. Décidément, ce monde est pourri. Et je me guéris d’un concerto de Kabalevski. Pour replonger dans la déprime en lisant l’histoire de cette Espagnole ayant mis en vente ses organes pour se payer un logement. Et des nouvelles comme ça, il y en a des tonnes, il suffit d’écouter les journaux ou de cliquer sur les sites. Pendant ce temps, le ravalement c’est maintenant et c’est dur à ravaler pensent les Français éclairés en prenant note des mesures pour la compétitivité et la rénovation de la vie publique. De Gallois à Jospin, les éminences grises ont planché mais l’avenir est plombé. La croissance, elle est impossible dans la structure actuelle de la société quand à rapprocher les élus des électeurs, ce n’est pas une question de règles mais un problème anthropologique. L’élu se prend souvent pour une élite. Qui parfois profite bien du système. Et d’autres fois se mégalomanise alors ça fait des sous supplémentaires pour le contribuable dès lors que ces incapables rêvent de construire un aéroport, un grand stade ou une autoroute qui ne sert pas à grand-chose, comme celle reliant Pau à Bordeaux. D’ailleurs, la ville dirigée par Alain Juppé vient de s’offrir une statue à la gloire de Chaban-Delmas, 500 000 euros ; nouvelle encore plus déprimante que ce ballet médiatique de Johnny pour son nouvel album et Françoise Hardy qui chante encore pour assurer son cossu pied-à-terre parisien menacé par le méchant ogre de Bercy.
Les progrès technologiques ont beau se succéder et se diffuser, cela n’empêche pas les sociétés de se délabrer et certains pays de se faire la guerre. Les hommes savent envoyer un robot super sophistiqué sur Mars mais ils ne parviennent même pas résoudre la pauvreté alors que leur PIB atteint des sommets. La démographie est un enjeu crucial autant qu’un tabou dont on ne veut pas parler. Le monde se dégrade et se délabre. Le monde s’abîme dans l’injustice. L’humanité, ça n’a jamais vraiment bien fonctionné. Trop d’hibris, de vices, de violences et de guerres. Je regardais l’autre jour la courbe de la population carcérale aux Etats-Unis. La proportion de prisonniers est restée stable pendant des décennies, de 1900 à 1970. Puis soudainement, après les seventies, on voit une montée incessante. En l’espace de quelques décennies, cette proportion a été multipliée par cinq. Alors que jamais les Etats-Unis n’ont été aussi prospères. Le monde se délabre. En Russie ou en Chine, le délabrement se fait avec un style propre, mais avec un point commun, la corruption. Quant à l’Europe, elle ne peut rien faire pour enrayer le déclin social et la lente descente aux enfers de la Grèce, de l’Espagne, puis sans doute le Portugal et l’Italie. Quant à la France, le redressement est impensable. Plutôt le ravalement, avec des doses de réformettes et des petits calculs qui font les grandes usines à gaz, sans compter les agences, observatoires et autres directives de Bruxelles. Pourquoi toute cette bureaucratie ? Peut-être pour donner des emplois à tous ces énarques et autres diplômés de science po et autres mastérisés en gestion d’usine à gaz.
Inutile d’en rajouter. Le problème des sociétés, c’est l’homme. La solution des sociétés, c’est encore l’homme. Cet animal qui se croyant supérieur, n’a jamais pu quitter son statut, accédant parfois au stade de la bestialité et d’autre fois à celui de la divinité. Ce n’est pas Monsieur de la Mirandole qui dirait le contraire. Le genre humain reste une énigme. Finalement, toutes ces vices, violences, guerres et bêtises ne sont-elles pas des phénomènes consubstantiels à la conquête technique du monde. Alliance des faces sombres et lumineuses de l’humain. En ce moment, la pénombre semble avancer. Qui sait si l’humanité n’est pas entraînée vers un destin de folie meurtrière ? Ou alors destinée à une improbable divinisation ? Ne rêvons pas. Si l’humanité disparaît d’ici un mois et moi avec, bon débarras ! Sinon, il faudra bien s’adapter et tâcher de vivre heureux en attendant la mort.
Heureux ? Oui mais alors mieux vaut ne pas être misanthrope. Je ne connais aucun misanthrope heureux (à part l’ermite) car la détestation du genre humain finir par faire tâche de miroir et devenir une douce haine de soi. Et puis ça ne fait pas avancer la société. En rentrant chez moi, la voisine m’a souri et finalement, mieux vaut vivre en sachant apprécier les choses simples tout en essayant de faire pleuvoir les étoiles. Tout en écoutant de la « vraie musique ». Justement, ça tombe à pic, je viens de trouver Glass Hammer dans la boîte aux lettres. La misanthropie, c’est un peu Epicure qui se tire une balle dans le pied. Autant en prendre conscience et ça fait du bien, je finissais par me demander si à force de courir après les mauvaises nouvelles, je ne devenais pas un marathonien qui pense avec ses pieds.