Le 29 janvier, le peuple dépose une émotion de censure

par Bernard Dugué
mercredi 28 janvier 2009

C’est la grande manifestation. La fronde populaire. Un événement bien banal chez nous mais qui étonnera toujours nos proches voisins européens. La rue est, pour des raisons historiques, le lieu symbolique des passions politiques telles qu’elles se déclinent ici, des passions bien françaises, comme dirait T. Zeldin. La colère gronde, monte mais…

Il y a quelque chose de dérisoire dans cette mobilisation. Ou alors de noblement désespéré. Un journaliste algérois disait, si tu parles tu es mort, si tu ne parles pas tu es mort, alors parle ! Essayons de transposer cette formule. Si tu manifestes c’est la crise et si tu ne manifestes pas c’est la crise, alors manifeste !


Comme l’a bien souligné JP Raffarin, la contestation du 29 janvier n’aura pas de suite puisqu’il n’y a pas de revendication précise. Hormis le contre projet de relance proposé par un PS qui ne gouverne pas et qui tente de récupérer la fronde populaire. Mais le PS n’est pas le seul sur les rangs. D’autres formations politiques sont sur le terrain. En fait, tous les partis de gauche. Excepté le Modem qui n’est pas un parti de gauche, qui pourtant a voté la censure avec le PS mais qui n’appelle pas à manifester. Ce qui montre bien la place du Modem, à l’écart du peuple et contre le pouvoir mais sans alliances. Un destin d’impasse pour Bayrou. Les syndicats seront aussi de la partie, comme d’hab. Bref, cela ressemble aux manifs contre le CPE. A la différence près que la revendication était précise alors que le 29 janvier, ce n’est pas une revendication mais une émotion, une colère qui s’exprime. Les participants seront comptabilisés à la banque de la colère, pour reprendre une notion de Sloterdijk.


A quoi bon cette manifestation. A la limite, c’est comme si on manifestait contre les phénomènes climatiques. A la différence près que c’est le système économique et politique créé par les hommes contre lequel on manifeste. Sans qu’il n’y ait d’alternative. Parce qu’il n’y a pas de solution et que faute d’avoir saisi les tenants et aboutissants du système, les gens sont en colère. Et la très grande majorité des manifestants n’a franchement pas de quoi se plaindre, excepté les chômeurs, les précaires, les sans grades qui ne seront que peu présents dans les cortèges. En vérité, les gens sont paumés. Ils sont en colère. C’est naturel. Mais ils devraient être en colère contre le PS, qui n’a pas su se faire élire en 2007, qui n’a plus d’idée, qui comme l’UMP est gangrené par une caste de parvenant, d’arrivistes et d’ailleurs, le cas Besson est emblématique.


Le peuple n’est pas content mais il ne sait même pas pourquoi, sauf que c’est la crise et que Sarkozy a commis le plus grave des impairs en favorisant les riches avec son bouclier fiscal. Sarkozy a provoqué le peuple et il a récolté ce qu’il a semé. Par temps de crise, un bouclier fiscal est considéré comme un affront à la morale. Le peuple ne s’est pas trompé. Et l’action du gouvernement face à la crise ? Les journaux ont salué la réactivité de Sarkozy mais ont-il réellement analysé la chose ? Non. Les médiarques sont vendus, comme lors du vote pour le CPE en 2005. Les médias ont été désavoués. Et ce sont ces mêmes médias qui implicitement, seront désavoués ce 29 janvier. Car l’action de Sarkozy face à la crise n’est pas adaptée aux nécessités sociales. C’est une fuite en avant. Une fuite dans la croissance. Protocole de Lisbonne, élites européenne, technocrates, bureaucrates, intellectuels frelatés, absents, de BHL à Minc.


Bref, cette émotion de censure traduit l’impuissance et la colère d’un peuple. La froide détermination pragmatique et rationnelle des élites n’a rien pour rassurer. Alors, deux options du temps. Temporiser et attendre, pour restabiliser et attendre la prochaine crise, ou tout faire exploser mais comme l’opposition n’a pas d’alternative, alors ce 29 janvier sera un coup pour rien. Mais pourquoi refuser ce léger frisson de la manifestation, revoir ses potes, ses connaissances, dans le cortège, se sentir ensemble, concerné, ne serait-ce qu’un jour, bref, comme à la messe de minuit, une fois par an on croit en Dieu et à la manif, une fois par an, ou plus, on croit au grand soir. Il faut manifester, pour se sentir exister. Pour crier son émotion face à un monde qui se délite. Mais c’est tellement inutile qu’un esprit lucide ne peut trouver la force qui le mènera vers le cortège. Amen


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