Le bonheur en trois temps - deux mouvements !

par Taverne
jeudi 25 août 2016

Tant pis pour moi, je vais devoir introduire ce propos par un jeu de mots, que voici (sous les huées des lecteurs) : le bonheur est étymologiquement le "bon heur" selon le Littré en ligne. C'est la chance, la bonne fortune, qui nous arrive. Le "bon heurt" (oui, c'est là que l'on me siffle !), serait le bonheur que l'on trouve dans l'action en avant, en allant au-devant de la vie et en s'y confrontant. Le bonheur serait ainsi issu de deux mouvements : l'un serait l'accueil de ce qui nous arrive de bon, l'autre serait le mouvement de l'être au-devant de la vie.

Souhaitons que cette conclusion me réconcilie quelque peu avec le lecteur.

Poursuivant la lecture de l'étymologie, nous apprenons que le mot vient de l'expression « bon eür ». « Eür  » est lui-même issu du latin augurium, qui signifie « accroissement accordé par les dieux à une entreprise ». Soudain s'éclaire à nos yeux la pensée de Nietzsche quand il dit que la vie est volonté de puissance, laquelle ne vise qu'à l'accroissement de l'être. Pour Nietzsche, est bon tout ce qui sert la volonté de puissance, c'est-à-dire ce qui va dans le sens de l'accroissement de la vie et la préservation « les conditions de la conservation et de l'accroissement de la vie  ».

L'accroissement, est le bonheur !

Et donc, le bonheur, en plus d'être un mouvement double, est un accroissement. CQFD, merci Nietzsche !

Si le bonheur est double mouvement, il n'est pas inerte. Il n'est pas stable non plus par conséquent. Dommage pour nous ! Par ailleurs, il se révèle par contraste, comme les mots qui apparaissent sur le bloc de papier quand on passe le crayon, un vieux truc de détective. Il se révèle par clair-obscur comme dans un tableau de Fantin-Latour. Sa révélation par contraste n'est jamais aussi flagrante que lorsqu'il s'oppose à son contraire : non pas le malheur mais le drame. Le drame, toujours selon le Littré, est une "suite d'événements qui émeuvent, qui touchent" (pareil chez Wikipédia). Il me semble que c'est bien en cela le contraire du bonheur, parce que le malheur en lui-même n'est pas contraire à notre bonheur s'il ne nous touche pas ou qu'il nous touche peu. En revanche, le drame vécu ou qui nous émeut, voilà ce qui fâche notre bonheur. Le drame nous ôte le bonus que la vie nous accorde par bon heur. L'avantage obtenu est effacé et le compteur est remis à zéro.

Le bonheur, nous ne savons toujours pas ce que c'est, mais nous savons que le ressentons, que nous le percevons. Comment le percevons-nous sinon par notre intelligence, par nos trois étages d'intelligence ? L'intelligence du corps, celle de notre conscience, celle de notre pensée. Nous avons ainsi trois façons de ressentir le bonheur.

LE BONHEUR, PREMIERE DIMENSION

Le chat qui dort au soleil nous montre le bonheur du corps. Le bonheur du corps est dans la chaleur. On parle aussi de chaleur humaine. Notre intelligence physique ou physiologique, la toute première qui soit venue à l'homme, reconnaît le bonheur à cette sensation de se sentir enveloppé dans quelque chose de chaud et de bienfaisant, cela rappelant la vie intra utérine. Puis, l'amour maternel nous est comme un second placenta.

La légère ivresse qui nous envahit appartient aussi à cette forme primaire de bonheur, tout comme l'état second du sportif sous l'effet des endorphines qu'il produit par son travail musculaire.

Le personnage Alexandre le Bienheureux sait bien profiter des présents de la vie. Son art du bonheur l'oppose complètement à la vie d'Alexandre-le-Grand, ambitieux guerrier qui mourut jeune d'une mort violente.

Le bonheur, c'est prendre.

Mais le bonheur, s'il vient à nous, ne nous profite que si on se l'approprie. Me reviennent en écrivant ces mots toutes les expressions populaires qui plaident en ce sens (le bon sens ?) : "prends la vie comme elle vient !", "prends les choses par le bon côté", "prends ton temps !", "prends ton courage à deux mains !", "prends-toi en main !", "prends du recul !", "prends du repos", ainsi de suite. The last but notre least  : "prends du bon temps". Voyez le chat en illustration, il prend la chaleur où il va la chercher, lui, il n'attend pas qu'elle vienne jusqu'à lui.

Mais il existe aussi des formes dérivées : "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras", etc. Il faut, dit la sagesse populaire, saisir la chance quand elle se présente. Celui qui n'ose pas prendre est condamné à regarder le bonheur passer sous son nez.

Apprendre, c’est aussi prendre. Quel bonheur de combler notre ignorance !

LE BONHEUR, DEUXIEME DIMENSION

Nous voici dans la dimension de la conscience. Le bonheur est plénitude par mouvement de la conscience vers ce qui l'accroît, la nourrit, l'élève : communion avec le cosmos, avec soi-même, avec la Nature.

Ici encore, il y a double mouvement. Mouvement de l'accueil : du monde supérieur. Et aussi mouvement en avant : recherche volontaire du soi profond. "Connais-toi toi-même", comme disait Socrate. Le maître grec savait que notre inconscient recèle des plis à explorer et nous invite à connaître nos propres désirs. Descartes prétendra le contraire plus tard en disant que la conscience ne contient rien d'obscur. Mais, bon, tout le monde peut se tromper et Freud viendra corriger le tir.

C'est l'effort de virginisation de la conscience qui nous permet d'accéder aussi à la faculté d'émerveillement, ce bonheur simple et naïf que nous éprouvons devant les choses de la vie les plus simples et les plus modestes.

Le bonheur, c'est d'être.

Le bonheur de deuxième niveau est présence au monde, comme le bonheur physiologique (premier niveau) mais par la conscience essentiellement. Le rêve n'est plus laissé au libre vouloir de l'inconscient, l'esprit le canalise et le dirige.

Cette attitude a aussi pour but de rechercher ce qui se cache derrière les apparences, les représentations mentales, les illusions.

Nous ne sommes plus dans l'acte de prendre, mais dans la façon d'être. Le "sois !" remplace le "prends !".

LE BONHEUR, TROISIEME DIMENSION

Le Bonheur, avec la majuscule : la valeur

Il fallait bien que la pensée y fourre son nez (je sais, mais ce n'est qu'une image...). Donc, disais-je, il fallait bien que la pensée se mêle de ce qui ne la regarde pas : le bonheur. Et vas-y que je t'idéalise tout ça, que je t'invente une vie sublime après la mort, et de l'immortalité en veux-tu, en voilà !

Nous sommes ici sur le terrain des idéaux qui multiplient les mythes : les El Dorado, la pierre philosophale, et autres idées bien réconfortantes.

Les cinéphiles auront reconnu sur la photo James Stewart alias "Monsieur Smith au sénat", un joli spécimen d'idéaliste, nourri aux belles valeurs de la démocratie parfaite. Mais un généreux qui ira tout au bout de lui-même pour défendre ses idéaux. Cela reste un beau film quand même.

La joie de nos athlètes aux JO de Rio relevait tantôt du bonheur simple (premier niveau, physique), décrivant le plaisir de vivre à cent pour cent un grand moment sans souci de l'or, mais aussi, pour d'autres, l'envie tenace de décrocher l'or et rien d'autre. La médaille relevant du symbole et donc de la pure valeur idéalisée. Pleurer comme une Madeleine sur le podium en entendant la Marseillaise est aussi la marque des idéalistes nourris aux grandes valeurs.

Y a-t-il aussi deux mouvements dans cette dimension ? Je ne sais, mais cette dimension se prête surtout à l'action, aux grands projets.

En conclusion, je dirai, sans fournir de livre de recettes car cela n'existe pas, qu'il est bon de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Quand une dimension vient à faire défaut, pourquoi ne pas compenser en étant heureux dans une autre dimension ? Et puis aussi, pensez à laisser le bonheur se reposer car, comme je l'ai dit, il prend toute son ampleur, par contraste : par contraste avec l'ennui ! Sur ce, j'espère que cet article ne vous aura pas trop ennuyé.


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