Le Brexit a-t-il tué le « système de Westminster ?

par Clark Kent
samedi 16 mars 2019

Le système de gouvernement connu sous le nom de « système de Westminster » du nom du lieu où siège le Parlement, était souvent considéré comme le principal modèle de système parlementaire. Il avait nspiré de nombreux pays, notamment ceux du Commonwealth et celui des Etats-Unis, et par contagion ce que les médias officiels appellent « démocraties », rassemblées sous la bannière de la « communauté internationale », même si beaucoup de Français ont l’impression de vivre dans le pays qui a inventé tout ça.

Les Britanniques avaient jusqu’ici réussi une prouesse : concilier ce qui nous parait inconciliable : dans cette monarchie, le monarque est le chef d'état et le Premier ministre est le chef du gouvernement responsable devant la Chambre des communes.

Le pouvoir exécutif est exercé par le gouvernement au nom de la reine. Le pouvoir législatif est exercé par le Parlement qui comprend la reine, la Chambre des communes élue et de la Chambre des lords non élue (ce qui fait une différence sensible avec le sénat français ou américain). Les membres du gouvernement sont en même temps membres d'une des chambres du Parlement et les » plus importants » d'entre eux forment le cabinet présidé par le Premier ministre.

La Constitution du Royaume-Uni a la particularité de ne pas être codifiée : elle comprend des lois ordinaires (chartes) et des conventions non écrites mais à valeur constitutionnelle.

Le système de Westminster reposeait sur une complicité entre les deux principaux partis qui alternaient généralement au pouvoir depuis 1920 : le Parti conservateur et le Parti travailliste (comme aux Etats-Unis depuis plus longtemps et en France depuis moins longtemps). Les gouvernements minoritaires ou de coalition étaient rares, car le scrutin uninominal majoritaire à un tour avait pour but et pour effet de donner de fortes majorités à l'un ou l'autre des principaux partis. Les élections générales avaient lieu au maximum tous les cinq ans. Depuis l’adoption du « Fixed-term Parliaments Act 2011 », les élections se déroulaient tous les cinq ans, le premier jeudi du mois de mai. Le Royaume-Uni a vécu ses premières élections générales à date fixe en 2015.

Ce système mis à jour régulièrement pour s’adapter aux mœurs du siècle en cours existait depuis des centaines d'années, depuis Cromwell, ministre du roi Henri VIII de 1532 à 1540, un des principaux acteurs de la réforme, décapité sur ordre de son souverain.

Périodiquement, il se produisait un « bug » qui altèrait le bon fonctionnement du système, mais une réforme s'ensuivait et la vie redevenait normale. Même les bâtiments parlementaires en sont un exemple : ils ne disposaient pas de suffisamment de sièges pour les 650 députés élus à la chambre aujourd’hui, mais on s’est un petit peu serrés et ça va. C'était un système parlementaire qui avait résisté aux bombes, qui était à l'abri des modes et des démagogies, et surtout des « extrêmes » diaboliques qu’il permettait d’exorciser avant même qu’ils n’accèdent au sacro-saint des lieux (qui n’est pas un hémicycle, mais un rectangle). Cette belle mécanique bien huilée et entretenue a été capable de fournir à l’« establishment » de gouvernements majoritaires stables et solides pendant des générations.

C’est fini !

Les vieilles certitudes ont rendu l’âme avec le Brexit. Le spectacle de la Chambre des communes est devenu un spectacle surréaliste de génuflexions et de courbettes compulsives et d’exercices de rhétorique aussi animés que stériles. Les fissures systémiques du Parlement semblent plus graves que celles du bâtiment qui l’abrite.

La semaine dernière, on a pu constater que les normes auxquelles le système de Wetminster se conformait avaient implosé : le système bipartite n’assure plus l’unité et le gouvernement ne peut plus imposer ses lois ni appliquer sa politique. Jusque là, les divergences d’opinion potentiellement dévastatrices dans un même groupe restaient à huis clos, ce qui permettait ainsi aux gouvernements de fonctionner endiffusant un discours unifié, normalisé et lissé.

Mais le Brexit a eu raison de cette belle mécanique. Les éléments de base du système se sont effondrés, les partis se sont divisés, les ministres ont ouvertement refusé d'obéir aux injonctions et le gouvernement a été impuissant à réagir. La confusion et les amendements parlementaires ont abondé et même l'observateur le plus assidu se trouve dans l’incapacité à discerner un axe cohérent au milieu d’un chaos de proposition foisonnantes et contradictoires.

Actuellement, la Chambre des communes s'emploie à trouver un consensus sur ce qu'il convient de faire pour la suite des négociations avec l’UE. Theresa May tentera peut-être de saisir cette occasion pour donner une troisième chance à son projet de loi sur la sortie de l’union, mais la menace d’un Brexit irréaliste risque de l’amener elle aussi à changer son fusil d’épaule.

Tout dépend du président de la Chambre des communes, John Bercow : il peut refuser que des lois identiques à celles qui ont été refusées soient réintroduites, en fonction de son interprétation des règles. Bien que les députés des deux bords de la Chambre aient présenté de nombreux amendements couvrant toutes les options, allant du non-accord à un second référendum, il est encore difficile de voir laquelle de ces solutions, le cas échéant, recueillera l'appui de la majorité.

Après l'échec récent d'un vote de censure, la première ministre dispose d’une année pendant laquelle elle ne peut plus être contestée, et elle renforce ainsi son emprise sur Downing Street. On ne sait pas comment cela fonctionnerait dans la pratique si ses ministres se rebellaient, mais son parti ne peut pas la contester officiellement à court terme. D’après la loi sur la durée déterminée du Parlement, Theresa May ne peut pas convoquer d’élections générales, qu’elle le veuille ou non, sans l’accord des députés. Alors que beaucoup peuvent prétendre publiquement souhaiter une consultation électorale rapide, le chaos actuel en dissuade beaucoup « intérieurement » de donner suite à une telle action qui risque de leur coûter leur siège.

Le seul consensus existant à la Chambre des communes semble être qu’une extension de l’article 50 est essentielle pour éviter tout accord. Par contre, la durée de cette prolongation reste un sujet de débat, tout comme son but.

Est-ce pour gagner du temps avant une élection générale ?

Pour préparer un deuxième référendum ?

Pour rédiger un nouvel accord, ou réactiver l'ancien ?

Il est trop tôt pour le savoir, mais il est trop tard pour que le système de Westminster retrouve sa configuration antérieure.

Les deux partis étant divisés en leurs seins, le système uninominal à un tour apparaît de plus en plus inadapté, mais il est probable que ces divisions en révèlent d’autres, plus profondes dans la population qui risque d’avoir perdu ses dernières illusions sur un tel système.


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