Le choc des balles, le poids des morts
par T.R.
vendredi 20 novembre 2015
Très chers AgoraVoxeurs,
C'est à point nommé que le groupe Eagles of Death Metal ont assuré un show plus court que prévu au Bataclan vendredi soir, sans rappel pour des raisons obscurantistes.
Idem pour les verres non terminés sur les terrasses de Saint Denis, elles pourtant si bondées le vendredi soir, jour de délivrance en vue du weekend.
Profitant des 17°C d'un mois de novembre doux, elles se sont faites massacrer par des barbus hagards, tirant au hasard sur tout ce qui bougeait encore et achevant si possible des vies qui étaient jusqu'alors paisibles.
Point d'orgue de cette symphonie des balles, le Bataclan, salle de concert rock, péchue, où les trentenaires libres et heureux se rendaient pour s'éclater autour de bons sons, et parfois d'artistes moins bons, toujours rattrapés par des cocktails chers, mais efficaces.
Ce soir là, c'est le bruit de la fureur des balles qui est venu clore le show, ces rafales qui ont achevé notre idée que le monde allait continuer de tourner dans une forme insouciante de liberté.
Si le passé a été "vengé" avec Charlie, voilà qu'ils tuent un avenir libre, nous rappelant tristement que 70 ans de paix ne pouvaient pas perdurer trop longtemps.
L'ambiance indescriptible des rues de Paris, après la fureur, le sang et les larmes qui continuent de couler, démontre que huit salopards peuvent toucher notre coeur.
Et voilà que le Monde entier se manifeste à notre chevet, arborant le drapeau tricolore, chantant la marseillaise approximativement et démontrant la force que la France représente dans tous ces pays.
Et puis surtout, c'est toute une génération mondiale qui s'est sentie tout d'un coup concernée, et consternée. Celle qui sort, boit, fume, chante, fait les cons, s'amuse, travaille, cherche de l'emploi, rigole, parodie, se manifeste, manifeste et vit au rythme d'un pays jusqu'alors en paix qui n'a pas connu la guerre depuis longtemps, et qui se réveille avec une formidable gueule de bois.
Car en fait, les amis qui se sont faits lâchement tués vendredi, ça aurait pu être nous. Et de loin. Les amis qui ont été des héros, qui ont fuit dans une panique indescriptible sous le bruit des rafales, ramassant leurs morts, faisant des garrots, appelant à l'aide et s'échappant comme ils ont pu de cet enfer, nous montrent qu'en fait, il n'y a pas qu'eux qui ont été touchés ce soir là.
Lundi, les rues de Paris étaient sûres et affreusement silencieuses. Les gens, interloqués, tristes et inquiets, déambulaient près de la Place de la République au milieu des caméras et des camions satellite des télévisions du monde entier. Les flashs des caméras éclairaient les milliers de fleurs et de de messages de réconfort, avec ce sentiment que cette place va devenir un lieu de recueillement systématique après des attentats qui - on le sait au fond de nous - ne font que commencer.
Les feuilles de l'automne étaient balayées frénétiquement par un vent devenu plus fort, image d'une page qui vient de se tourner devant nous.
Le calme du Bataclan, enfin, où des policiers montaient la garde avec une certaine angoisse et tension, refoulant avec énergie les badauds qui oseraient s'approcher des barrières. On distinguait encore des traces de sang dans les rues, les impacts effrayants des balles comme signe de l'horreur qu'on vécu le public du Bataclan.
Désormais, le silence et la consternation, avec une gravité plus importante encore qu'après Charlie. Cette fois-ci, c'est nous qui sommes visés.
Oui, les choses vont changer, et vite. Oui, nos libertés sont attaquées, l'état d'urgence (de faire passer un maximum de lois liberticides) est prorogé et Marine Le Pen a encore gagné.
Oui, la stratégie machiavélique de Daech d'envoyer de plus en plus d'hommes pour nous tuer dans notre petit quotidien fonctionne à merveille, faisant en sorte que tous les musulmans de France soient sommés de s'excuser d'être là. Faisant en sorte que toutes les âmes modérées, paisibles et travailleuses que représentent une vaste majorité de musulmans soit attaquée par des fachos au sommet de leur haine.
Oui, ces huit salopards, commandités par un autre salopard en chef mort sous 5000 munitions à Saint-Denis, ont réussi pour l'instant à déclencher l'effet "boule de neige" de la haine dans un pays qui connaît très bien son penchant pour le racisme, et dont les musulmans eux mêmes pourraient très bien se radicaliser aussi. Et ils ont réussi à nous faire plonger dans un état qui sera de plus en plus sécuritaire.
Le Pen, elle, pavoise. Le retour des frontières ? "je vous l'avais dit depuis longtemps !", la déchéance de la nationalité ? "je l'avais proposé il y a des années, mais personne ne m'a écoutée" La mise en place de centres d’internement ? "une nécessité pour la sécurité des français, seule qui compte"
La voilà acclamée par l'absurdité criminelle de réseaux sociaux pourris par des fachos qui, tels des chiens de garde, en profitent pour mordre.
Alors si la tristesse de nos morts est réelle, il n'en demeure pas moins qu'il faut rester lucide sur l'avenir, et combattre par tous les moyens possible l'extrémisation politique et religieuse de notre pays.
Ecoutons Marc Trévidic, Guillaume Duval ou encore Yann Mens. Ils n'ont pas toutes les réponses, mais font preuve d'un tel bon sens qu'il apparaît comme oxygène face à ce déluge de tristesse, de nouvelles macabres, d'images et de vidéos qui n'apportent rien, si ce n'est nous faire céder à la haine dans une forme primaire de conformisme de la pensée.
Bien sûr, nos habitudes ne doivent pas changer. Qui acceptera de ne plus aller prendre un verre en terrasse ?
Certes, l'attention sera redoublée face à quelques personnages louches traînant dans les parages.
Qui peut accepter de ne plus aller voir de concerts ? Certes on regardera à deux fois les issues de secours, "au cas où" ...
Ne nous laissons pas abattre par des cons, dont la haine et la férocité seront sans limite. Ne nous laissons pas prendre par la peur, sentiment à la fois juste et irrationnel, mais qui a toujours mené dans notre Histoire un rôle funeste.
Terrotristement vôtre,