Le choix de Ségolène Royal ou le débat manqué du PS

par Sébastien Ticavet
mercredi 15 novembre 2006

En choisissant Ségolène Royal, les militants socialistes renoncent à assurer la survie de leur parti et confirment une fuite en avant entamée en 2002.

Nombreux sont les commentateurs de la vie politique qui félicitent le Parti socialiste du chemin qu’il a tracé en organisant des primaires en son sein. La leçon serait ainsi donnée par le PS à l’UMP : ce grand parti de gouvernement décide non seulement de laisser le choix à ses adhérents de désigner le candidat qui les représentera dans la course à la présidence de la République, mais aussi et surtout de "publiciser" le débat entre les différents prétendants. Certes les confrontations télévisées entre les trois compétiteurs, souvent artificielles et parfois convenues, ont eu le mérite d’exister. Et nous ne pouvons que féliciter le PS et son premier secrétaire d’avoir franchi ce cap de la démocratie interne.

Reprochons-leur en revanche de n’avoir pas su profiter de l’occasion unique que le Parti socialiste s’offrait de clarifier enfin sa ligne politique et son positionnement idéologique. Le choix aurait dû se faire entre deux tendances qui divisent aujourd’hui le Parti socialiste et dont la coexistence nuit à sa visibilité politique (et donc à son efficacité électorale) que sont la social-démocratie et l’orientation social-républicaine. La période de campagne interne en vue de la désignation du candidat à la présidentielle constituait une opportunité à saisir, dans la mesure où elle permettait l’émergence de débats de fond et engageait le Parti socialiste à se positionner précisément et d’une manière audible sur de nombreux enjeux contemporains.

La première voie (la social-démocratie) consistait en un alignement du Parti socialiste sur les options retenues par les autres grands partis de gauche européens : une attitude moins complexée vis-à-vis du capitalisme et de l’orientation libérale prise par la construction européenne, la primauté donnée au dialogue social sur le volontarisme politique. Cette voie aurait eu le mérite de clarifier et d’officialiser un engagement déjà suggéré par le Parti socialiste lors du vote interne sur la constitution européenne. Elle nécessitait un travail de conviction à destination de nombreux sympathisants qui auraient pu être décontenancés et tentés de rejoindre la gauche antilibérale. Elle signifiait une rupture idéologique qu’il fallait assumer, mais elle avait le mérite de la cohérence et de la clarté.

La seconde ligne possible pour le PS (celle que nous nommons la tendance social-républicaine) résidait dans la volonté de s’accorder avec les attentes et aspirations émises par les électeurs du parti, avec comme conséquence d’imprimer la spécificité de la gauche de gouvernement française au regard des autres partis socialistes européens. Consistant à prendre acte du décalage entre les électeurs du parti et les orientations proposées (on pense naturellement au vote sur le TCE où 60% des personnes se déclarant proches du PS ont voté non alors que le parti soutenait le oui), cette voie faisait le pari d’un ancrage solide à gauche, en phase avec les origines idéologiques du parti, et avait l’avantage de resserrer les liens entre le socialisme et les idéaux qui l’ont construit. Elle supposait de faire œuvre de pédagogie et de résister au discours dominant, elle nécessitait une détermination sans faille, mais elle permettait elle aussi une clarification idéologique salutaire.

Aujourd’hui, au milieu du gué, les militants semblent pourtant se situer loin de ce débat et s’orienter vers une candidature aux contours idéologiques flous et aux orientations politiques assez indéfinissables, au risque de précipiter la mort d’un parti déjà mal en point.

D’aucuns prétendront que Ségolène Royal incarne la synthèse entre les deux orientations possibles du Parti socialiste et qu’elle permet de dépasser des clivages néfastes. Nous opposerons à cette analyse quelque peu simpliste qu’une synthèse aurait consisté à s’atteler à ce travail difficile de rapprocher les deux points de vue opposés, au sein d’une unité ou d’une catégorie supérieure, et qu’il nous semble au contraire que sa candidature ne pourra en aucun cas permettre de réconcilier les deux rives du PS, dans la mesure où elle ne représente aucune avancée de la pensée socialiste mais se résume à un non-choix.

La candidate a en effet soigneusement évité depuis le début de la campagne de mener le débat d’idées sur le fond et de traiter des problèmes pourtant au cœur des difficultés du pays. Profitant de sa popularité croissante et du phénomène médiatique qu’elle représente, elle a systématiquement choisi d’éluder les sujets essentiels et s’est contentée de lancer des pavés dans la mare (l’encadrement militaire des jeunes, la réforme de la carte scolaire, etc.) avec comme objectif de détourner le débat des questions de fond et de le ramener à des controverses stériles autour de quelques mesures phares puisées ici ou là sur l’ensemble de l’échiquier politique, ne dessinant aucune orientation claire, sans aucune cohérence, mais permettant d’attirer, par leur simplification extrême de la réalité et leur extrême accessibilité, l’attention sur la candidate. Et ainsi de renforcer une popularité qui, telle une charogne, se nourrit du cadavre du débat... Il est d’ailleurs frappant de constater que la popularité de Ségolène Royal et son capital électoral ont souffert des quelques timides avancées du débat interne au Parti socialiste (en un mois, elle a significativement baissé dans les enquêtes menées auprès des sympathisants socialistes, et elle commence déjà à reculer dans les intentions de vote).

Il faut reconnaître qu’au PS, la pente avait été soigneusement savonnée par d’autres personnalités avant l’ascension de Mme Royal. Il semble en effet que le parti ait systématiquement refusé, au nom d’appels incantatoires à l’unité et au rassemblement, de faire le bilan des épisodes désastreux qu’il vient de connaître. En 2002 déjà, Lionel Jospin refusait tout aggiornamento et considérait que les électeurs s’étaient dispersés et avaient succombé aux sirènes des autres candidats de gauche, sans se poser de question sur la validité de son programme et sur l’efficacité de sa campagne. En 2005, au lendemain du référendum, le PS continuait de nier l’évidence et reprochait (reproche toujours d’ailleurs) aux électeurs d’avoir mal voté. Rien n’a été fait pour clarifier la ligne du PS. Ségolène Royal surfe aujourd’hui sur cette ligne attrape-tout, et symbolise la fuite en avant d’un parti qui court à la catastrophe parce que refusant de se confronter à ses vraies fractures et aux nécessaires déterminations idéologiques.

Tout donne à penser que l’ouverture de la véritable campagne présidentielle face aux compétiteurs de droite et d’extrême-gauche verra s’effondrer la candidate socialiste. N’incarnant aucune ligne idéologique claire entre l’extrême-gauche et la droite, Ségolène Royal sera désarmée. Sa fragilité idéologique et son travail d’équilibriste entre des thèses complètement contradictoires ne seront plus tenables. Et son parcours sera voué à l’échec : soit elle perdra sa popularité (ce qui fonde son assise électorale) en se confrontant au débat, soit elle refusera le débat et se disqualifiera d’elle-même de la course présidentielle. La partie sera facile pour ceux de ses adversaires qui aujourd’hui se taisent et attendent avec impatience la catastrophe arriver (ainsi peut-on interpréter le silence assourdissant du candidat Sarkozy face à la montée en puissance de Ségolène Royal).

Que restera-t-il du Parti socialiste, le jour où Ségolène Royal aura subi l’humiliation électorale prévisible ?

Des frustrations, celles des militants qui avaient le cran de choisir un cap et l’audace de se lancer dans une vraie campagne, avec des chances de gagner. Des rancoeurs, celles de tous ceux qui auront décidé de soutenir la candidate, victimes du mirage de sa popularité et du confort douillet du non-choix. Des décombres, ceux d’un parti qui aura bu le vin de la couardise jusqu’à la lie.


Lire l'article complet, et les commentaires