LE CIRQUE ÉLECTORAL Entretien avec Robert Bibeau sur « La démocratie aux États-Unis »
par Robert Bibeau
samedi 30 juin 2018
Par Ferdinand Mayega (LVC). Voici quelques questions au sujet du livre : La démocratie aux États-Unis. Les mascarades électorales paru chez l’Harmattan à Paris en janvier 2018 : http://www.les7duquebec.com/7-au-front/la-democratie-aux-etats-unis-les-mascarades-electorales/. (1)
Monsieur Bibeau, vous avez publié un ouvrage qui a pour titre : La démocratie aux États-Unis et pour sous-titre : Les mascarades électorales, qu'est-ce qui a motivé votre choix d'écrire un livre sur ce que l'on pourrait appeler la dictature démocratique dans la première puissance mondiale, un pays voisin du Canada ?
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LVC : dans votre ouvrage, vous fustigez l’État fétiche des riches, l'état-major central du grand capital, fondement de « l'industrie du cirque électoral ». D'après vous, les États-Unis n'ont pas de leçons de démocratie à donner aux autres pays du monde notamment ceux considérés comme moins démocratiques ou plus dictatoriaux. Pourquoi le pays de l'Oncle Sam n'est pas un modèle à vos yeux malgré son autoproclamation en tant que « gendarme du monde » ?
Robert Bibeau : notre webmagazine a publié de nombreux articles sur la démocratie électoraliste parlementaire. (2) L’un de ces articles avait pour titre : La dictature c’est ferme ta gueule et la démocratie c’est cause toujours. (3) Ce titre résume bien mon propos. La démocratie représente le bon policier qui nous incite à se mettre à la table de la collaboration de classe pour que le prolétariat, la classe sans pouvoir économique, politique ou idéologique, n’ayant que sa force de travail à vendre pour survivre, se compromette et remette son sort entre les mains de politiciens véreux, tous semblables. Si jamais l’un d’entre eux souhaitait défendre la classe ouvrière, il ne serait jamais élu, ou il serait abattu. La dictature c’est le mauvais policier qui réprimerait durement si on ne jouait pas docilement le jeu de la démocratie électorale, jeu où un simple ouvrier n’a aucune chance de gagner face à un gang de riches. Pensez un instant qu’un candidat à la présidence américaine doit recueillir un milliard de dollars pour parcourir le processus électoral bidon. Combien d’ouvriers peuvent amasser une telle somme pour faire campagne ? De fait, une mascarade électorale, aux États-Unis ou dans n’importe quel pays, est un processus par lequel différentes factions du capital mettent leur pouvoir dans la balance et se chamaille afin d’arracher l’appui du plus grand nombre de pèquenots ce qui leur donnera l’avantage de diriger, sous conditions, l’appareil d’État fétiche dans l’intérêt des riches. En période de croissance économique, les politiques des administrateurs des riches seront expansionnistes, concédant des avantages sociaux en récompense aux électeurs méritants. En période de récession économique, les thuriféraires administratifs des riches imposent l’austérité. Les populistes de gauche comme ceux de droite – bonnet-blanc et blanc-bonnet font la même chose.
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LVC : pourriez-vous nous expliquer la corrélation étroite qui existe entre la croissance de la désespérance sociale et la croissance du vote des partis d'extrême droite par exemple avec la montée du populisme aussi bien aux États-Unis, en France, en Italie, en Allemagne, en Hollande ?
Robert Bibeau : premièrement, entre un parti politique de droite, de gauche, ou de centre la phraséologie diffère, mais c’est exactement la même affaire. D’une élection à l’autre, les ouvriers sont à même de le constater. Parfois, un parti de gauche mène une campagne électorale sous un verbiage de gauche, une fois élue, il mène une politique de droite, car il n’a pas le choix, les impératifs économiques subsument les désidératas politiques. L’inverse est aussi vrai. Ainsi, dans mon livre je cite François Hollande qui a admis son impuissance face aux puissances d’argent. Deuxièmement, la populace n’a absolument aucune prise sur l’économie ou la politique. C’est pour cela que j’appelle l’exercice électoral une « mascarade » dont l’unique objectif est de faire dire aux électeurs ce que l’une ou l’autre des factions du capital veut entendre. Troisièmement, du postulat précédent il découle que pendant des années la machine de propagande médiatique se déchaine pour amener la populace à voter pour les populistes de gauche – c’est-à-dire pour les tenants des dépenses publiques effrénées – ce qui mène l’État des riches à la faillite – afin de justifier le mouvement suivant et la montée de la faction populiste de droite qui, dénonçant les mauvais résultats économiques des populistes de gauche – se propose comme alternative par des politiques d’austérité. Quatrièmement, vous devez considérer que politique d’austérité ou politique de gaspillage des deniers publics payés par les ouvriers – le résultat est le même… la récession. Donald Trump en fait la démonstration. Dans ce scénario les simagrées électoraux auxquels se plient les riches n’ont aucune incidence sur la marche des affaires économiques et après quelques siècles de ce jeu de chaise musicale gauche-centre-droite le prolétariat l’a compris d’où son abstention massive, sauf, dans les pays qui commencent à imposer ces jérémiades électorales. Éventuellement, l’expérience aura raison des illusions de la votation.
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LVC : d'après vous, cette corrélation étroite est entretenue et voulue par le grand capital pour maintenir les ouvriers, les plus défavorisées ou les moins nantis dans un état de dépendance. Comment cette stratégie du monde du capital est-elle ficelée ?
Robert Bibeau : d’abord, je voudrais m’excuser de la façon de présenter mon intervention qui donne l’impression d’un complot tricoté par une organisation secrète maitre de notre destinée. Pourtant, c’est exactement le contraire, les puissances d’argent ont si peu d’emprise sur le développement du mode de production capitaliste et de ses rapports de production que malgré leurs efforts ils ne parviennent nullement à enrayer la crise systémique et leurs stratagèmes pour stopper leur déveine sont vains. La machine économique, politique et idéologique fonctionne selon des lois inexorables et mène à la faillite du modèle capitaliste de développement. Ceci m’amène à votre question à propos d’une supposée corrélation entre la croissance de la désespérance sociale – la montée du vote populiste de droite ou de gauche – et un état de dépendance de la classe ouvrière – intentionnellement ficelé par les conspirateurs capitalistes.
a) J’ai répondu précédemment à propos de cette hypothétique corrélation qui n’est pas une fatalité, mais le fruit d’une réaction désespérée du système pour s’échapper. J’ajouterai que la tentation fascisante n’est pas du tout une prédisposition prolétarienne, mais strictement une tare petite-bourgeoise. Petite-bourgeoisie qui a charge ensuite de transmettre ce virus à la classe ouvrière qui s’en était très mal défendue dans les années 1930, mais s’en défend vigoureusement présentement. Je n’ai aucun doute que le système ne réussira pas une seconde fois le coup du « fascisme de droite » opposé au « fascisme de gauche » avec la chai à canon prolétarienne au centre.
b) Il est exact que la classe ouvrière dépend économiquement de la classe capitaliste. Mais cela n’est pas le résultat d’un complot ourdi par la méchante bourgeoisie. C’est plutôt un gène spécifique au mode de production capitaliste qui est fondé, dois-je le rappeler, sur la propriété privée des moyens de production, de commercialisation et de communication. Ce qui inclut la propriété privée de la force de travail que l’ouvrier doit vendre à vil prix sur le marché.
c) La dépendance économique de l’exploitée n’est pas le résultat d’un stratagème maléfique mené par les riches, elle est inscrite dans le génome du prolétaire qui ne pourra s’en défaire qu’en abolissant le propriétaire privée et l’État chargé de le perpétuer.
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LVC : après lecture de votre ouvrage, j'ai fait un rapprochement au sujet de l'exploitation du monde ouvrier par le grand capital avec une théorie économique développée dans les années 70 par certains économistes du développement, la théorie de la dépendance. Cette théorie affirme que le centre développé exploite la périphérie sous-développée à l'intérieur du système économique mondial plus précisément par l'échange inégal. Qu'en dites-vous ?
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LVC : l'économiste du développement H W Singer affirmait : "On ne peut pas indéfiniment prêcher la parole du bon ordre démocratique aux pays du Sud sans établir un bon ordre démocratique dans l'économie mondiale." Pour revenir à la démocratie aux États-Unis, pensez-vous qu'il sera possible un jour de construire une démocratie plus saine et humaine dans ce pays ? Sinon, quels sont les scénarios les plus prévisibles dans ce pays dans les prochaines années ?
Robert Bibeau : qu’est-ce que la démocratie ? Il y a bien des sortes de démocratie. À Athènes, l’antre de la démocratie sous le mode de production esclavagiste, l’assemblée démocratique regroupait l’ensemble des hommes libres et chacun avait le droit de parole, le droit d’élire et d’être élu. Les esclaves n’étant pas des êtres humains n’étaient pas conviés à ces assemblées « démocratiques » (sic). Aux États-Unis la démocratie du peuple, par le peuple, et pour le peuple, implique que chaque personne en âge de voter se rend aux urnes et appose une croix sur un bulletin de vote qui fait foi de son droit et de son égalité devant la loi. Hormis le petit-bourgeois, qui croira que le prolo surendetté, précariser, logeant dans sa voiture, à la recherche d’un emploi mal payé, a le même poids économique, politique et médiatique que le multimilliardaire propriétaire d’une chaîne de médias « libres et indépendants » (sic) ? Pire, si par inadvertance, et par solidarité, la multitude des pèquenots sans-le-sou se donnait la main pour voter pour un va-nu-pieds qui serait parvenu à se faufiler, quel ouvrier croit que l’élu serait assermenté avant d’être assassiné ? Si par mégarde invraisemblable l’élu est assermenté et intronisé et qu’il gouverne, quel ouvrier ne sait pas ce qu’il advint à Salvador Allende, le Président chilien assassiné ? Si ce pèquenot – tel un héros – parvenait à accomplir l’entièreté de son mandat que pourrait-il décider, imposer, ou légiférer ? Comme je le souligne abondamment dans l’ouvrage, le pouvoir d’un polichinelle politique est quasi nul. Barack Obama n’est pas parvenu à fermer la prison illégale de Guantanamo, une bien petite réalisation comparée à l'éradication de la pauvreté dans ce pays fragilisé. Il n’existe qu’une perspective à long terme pour l’Amérique et pour le capitalisme mondialisé, c’est d’être renversé par les ouvriers et un nouveau mode de production prolétarien devra être imaginé après la prochaine crise systémique. Le dilemme qui confronte le monde ne se réduit pas à une question de démocratie, mais à un problème de survie.
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LVC : le G7 au Canada vient de montrer un désaccord profond entre les États-Unis de Donald Trump et les six autres membres. L'escalade verbale a été perceptible entre Trump et Trudeau au point que Justin Trudeau est qualifié de traitre par l'administration Trump malgré la volteface de ce dernier pour un accord commun dans le communiqué final. Quelle analyse faites-vous de cette méfiance réciproque entre les deux voisins d'Amérique du Nord et partenaires historiques ?
Robert Bibeau : ce G7 au Canada (2018) est la démonstration de la déconfiture économique du monde capitaliste. Au cours de ce G7, Donald Trump a voulu imposer à ses alliés sa stratégie pour une sortie de crise économique et sociale agressive, ce que ses alliés ont refusé de peur de tout faire sauter dans leur entité respective. Les alliés des Américains pensent qu’il faut y aller de façon modérée et progressive pour étrangler les ouvriers sinon les ouvriers vont se révolter. Donald Trump pense que le capital n’a pas le temps d’attendre et qu’il faut frapper les ouvriers de manière répétée afin de les forcer à accepter les sacrifices qu’il a déjà commencé à leur imposer. Le rôle des médias est d’embrouiller tout cela et de laisser croire qu’en haussant les tarifs douaniers il défend les emplois aux USA, c’est tout le contraire qui surviendra. La puissance impériale américaine périclite et elle voudrait taxer ses partenaires en ne leur laissant rien pour profiter, les capitalistes du monde entier ont commencé à se rebiffer contre leur suzerain et les menaces de guerre sont grandes. Seule la résistance du prolétariat mondial nous protège d’une guerre menaçante. Pour le reste de mes prédictions en ce qui concerne cette guerre commerciale radicale je vous invite à lire notre éditorial sur notre webmagazine international. (6)
NOTES
1. Robert Bibeau (2018) La démocratie aux États-Unis. Les mascarades électorales. Paris. L’Harmattan. 150 pages. http://www.les7duquebec.com/7-au-front/la-democratie-aux-etats-unis-les-mascarades-electorales/ http://www.les7duquebec.com/7-au-front/la-democratie-aux-etats-unis-les-mascarades-electorales/
Le volume est disponible en anglais, français, italien, espagnole et portugais.
2. http://www.les7duquebec.com/?s=d%C3%A9mocratie
3. La dictature c’est ferme ta gueule et la démocratie c’est cause toujours
4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Cameroun
6. http://www.les7duquebec.com/7-au-front/lempereur-donald-redefinit-lalliance-atlantique-du-g7-au-g2/ et http://www.les7duquebec.com/7-au-front/six-indices-economiques-annoncant-leffondrement/ et aussi http://www.les7duquebec.com/7-au-front/trump-declare-la-guerre-commerciale-a-lue-et-au-canada/